4. Addiction : un concept transnosologique

Après avoir circonscrit la notion de dépendance dans un contexte très général, nous allons revenir au domaine psychiatrique descriptif afin de repérer les différents troubles psychiques présentant des similitudes avec la dépendance à une substance. Ces troubles sont classés sous le terme générique d'addiction, mais relevons d'emblée qu'il n'existe pas de consensus à l'heure actuelle quant à l'extension de cette catégorie.

Parmi les troubles répertoriés dans le DSM-IV, certains figurant aux chapitres troubles du contrôle des impulsions non classés ailleurs (jeu pathologique, kleptomanie, pyromanie, trichotillomanie) et troubles de l'alimentation (boulimie) partagent plusieurs caractéristiques avec la dépendance à une substance psycho-active, à savoir les aspects d'impulsivité, de répétition et de dépendance.

C'est particulièrement le cas de la catégorie jeu pathologique, où tant les critères liés à la perte de contrôle (échec des tentatives d'arrêter de jouer, durée et montant des jeux plus importants que prévu) que ceux liés au fonctionnement psychosocial perturbé (temps et argent perdu, inaccomplissement des obligations sociales) sont en correspondance quasi parfaite avec la catégorie qui nous occupe94. Etonnamment, même les critères concernant la dépendance physiologique se retrouvent dans le cas du jeu compulsif. En effet, le besoin d'augmenter la fréquence et le montant des mises rappelle le phénomène de la tolérance ; l'irritabilité en cas d'empêchement de jouer ressemble aux symptômes de sevrage et le besoin de rejouer pour compenser les pertes se rapproche de la prise de substances pour supprimer les symptômes de sevrage.

Il apparaît donc possible de mettre en évidence des similitudes pour différents types de comportements impulsifs et compulsifs95. Afin de conceptualiser ces parentés de comportements et de fonctionnements psychiques, le terme d'addiction a été défini de la manière suivante :

‘"Addiction", employée de manière descriptive, désigne donc la répétition d'actes susceptibles de provoquer du plaisir mais marqués par la dépendance à un objet matériel ou à une situation recherchés ou consommés avec "avidité"96.’

Les auteurs de cette citation proposent de regrouper prioritairement sous le terme d'addiction la dépendance à une substance, la boulimie et le jeu pathologique, d'autres comportements tels que la kleptomanie, la pyromanie, la trichotillomanie, les tentatives de suicide répétées, la sexualité compulsive, les achats compulsifs et les conduites de risque ne présentent que des analogies partielles avec le noyau dur des addictions.

Une démarche similaire caractérise l'oeuvre de S. Peele97 qui propose son modèle général de l'addiction envers une expérience (addiction to an experience) et qui s'applique à tous les domaines de comportements répétitifs et compulsifs. L'auteur en donne la définition suivante :

‘La forme de l'addiction la plus reconnaissable est un attachement extrême et dysfonctionnel à une expérience qui est fortement nuisible à l'individu, mais qui est une partie essentielle de son écologie et à laquelle il ne peut pas renoncer98.’

La conduite addictive y est conçue comme l'échec d'une tentative d'ajustement à l'environnement. Le véritable objet de l'addiction est le vécu global d'une expérience, avec ses sources physiologiques mais surtout avec sa dimension de construction individuelle et culturelle.

Notes
94.

T. A. Widiger & T. S. Gregory, Substance use disorder : abuse, dependance and dyscontrol, Addiction, 1994, 89, pp. 267-282.

95.

Sur la distinction de ces deux termes qui renvoyent tout deux à la dimension active de l'addiction (en opposition à la dépendance qui évoque une dimension passive), l'approche psychanalytique envisage l'impulsivité comme l'expression de défenses par l'agir (prise de conscience après l'acte) alors que la compulsion renvoie à des défenses mentalisées liées à une conflictualité intrapsychique (lutte consciente contre la survenue de l'acte).

Cf. J.-L. Venisse, A. Rault et M. Sanchez, Conduites addictives - Objet de l'addiction, Psychologie médicale, 1989, 21, 12, pp. 1767-1770.

J. L. Pedinielli, P. Bertagne et G. Rouan, Psychopathologie des addictions, Paris, PUF, 1997.

96.

 J. L. Pedinielli, P. Bertagne et G. Rouan, op. cit., p. 8.

97.

S. Peele, op. cit.

98.

S. Peele, op. cit., p. 97, traduction personnelle.