5. Critères diagnostiques de dépendance à une substance

Nous allons maintenant présenter les principaux critères retenus par les deux grandes nosologies officielles pour le diagnostic de dépendance à une substance psycho-active. Ceux-ci peuvent être regroupés en trois catégories :

  1. Dépendance physiologique : observable par le biais de phénomènes tels qu'une tolérance envers le produit amenant le sujet à augmenter les doses pour obtenir un même effet (critère un99) et des symptômes de sevrage ou état de manque en cas d'arrêt ou de diminution de la consommation (critère deux), reflétant la nécessité dans laquelle le corps se trouve de recevoir régulièrement une dose du produit afin de maintenir son homéostase physiologique. La dépendance physiologique ne concerne toutefois pas toutes les drogues et n'est pas une condition nécessaire au diagnostic de dépendance à une substance psycho-active.

  2. Perte du contrôle de la consommation : la substance est consommée en quantité supérieure et sur une durée plus longue que ce qu'avait prévu l'usager (critère trois). Le désir persistant de la substance empêche de contrôler et d'interrompre son usage (critère quatre), malgré la survenue et la connaissance des conséquences néfastes (au niveau social, psychologique ou physique) induites par celui-ci (critère sept). Contrairement aux critères des deux autres catégories, ceux liés à la perte de contrôle sont particulièrement empreints de subjectivité dans la mesure où ils relèvent d'un jugement personnel de la part du sujet : le constat d'échec quant à la maîtrise de la consommation. Il va sans dire que ces critères ne peuvent se concevoir en dehors de la disposition psychique du sujet à vouloir interrompre l'usage du toxique. Par ailleurs, le constat d'échec voire d'impuissance peut être assimilé à l'expression d'une souffrance subjective, élément central en matière de trouble psychique.

  3. dysfonctionnement psychosocial : les symptômes d'intoxication, de sevrage et de récupération, de même que la recherche et la consommation du produit représentent un investissement en temps considérable (critère cinq). Il en résulte l'abandon d'importantes activités sociales, professionnelles ou de loisirs (critère six).

Les critères décrits ci-dessus concernent l'état de dépendance, il existe cependant une catégorie de moindre gravité (abus d'une substance pour le DSM-IV et utilisation nocive pour la santé pour l'ICD-10) utilisable lorsque seuls quelques symptômes sont présents.

Nous développerons plus loin chacune de ces catégories de critères, mais avant cela relevons que sur les sept critères, la présence de trois ou plus est suffisante pour poser le diagnostic. Il en découle qu'aucune des trois catégories spécifiées ci-dessus n'est nécessaire au diagnostic et qu'une d'entre elles (la perte de contrôle) peut être suffisante puisqu'elle contient trois critères.

En fonction de la répartition des critères dans les différentes catégories, on peut obtenir des configurations diagnostiques fort différentes d'un individu à l'autre et des types de dépendance très contrastés peuvent de la sorte être constitués. Ainsi, le diagnostic de dépendance à une substance ne recouvre pas une réalité homogène.

En ce qui concerne les héroïnomanes les critères de la dépendance physiologique sont habituellement validés, il ne reste donc plus qu'un ou deux critères à valider dans les deux autres catégories pour établir le diagnostic. En fonction des catégories impliquées on peut répartir les diagnostics en trois cas de figure :

  1. dépendance physiologique + perte du contrôle ;

  2. dépendance physiologique + dysfonctionnement psychosocial ;

  3. dépendance physiologique + perte du contrôle + dysfonctionnement psychosocial.

Le premier cas de figure concerne typiquement l'héroïnomane bien inséré socialement avec une bonne situation professionnelle et peu de dettes, manifestant le désir d'interrompre sa consommation car il souffre de sa dépendance.

Le second cas de figure présente une particularité notable par rapport aux deux autres dans la mesure où la souffrance subjective (aveu de perte de contrôle) est absente. Cette catégorie peut s'appliquer entre autre au toxicomane de rue qui revendique un mode de vie marginal sans vouloir se passer de l'usage de toxiques, mais aussi à l'ensemble des patients en cure de méthadone qui ne visent pas l'abstinence et poursuivent délibérément la consommation de toxiques. Relevons par ailleurs que l'absence des critères de perte de contrôle dans un diagnostic rend particulièrement difficile l'appréciation de la dépendance. En effet, si l'addiction est choisie délibérément est-il encore pertinent de parler de dépendance ? Nous reviendrons sur ce thème plus loin.

Le dernier cas de figure est proche du premier, avec toutefois la dimension des difficultés psychosociales en plus. Cette catégorie est de loin la plus fréquente parmi les populations cliniques de toxicomanes.

Notes
99.

Les numéros entre parenthèses renvoyent aux sept critères du DSM-IV.