10.Traitement par la méthadone, intégration sociale et toxicomanie persistante

Le traitement médico-psychosocial de la toxicomanie par la méthadone représente actuellement une des principales modalités de prise en charge ambulatoire des héroïnomanes.

Dès la fin des années soixante, V. Dole et al.151 ont posé les bases scientifiques de ce traitement de substitution. Aujourd'hui ce type de traitement s'est généralisé, notamment en raison de son efficacité dans la diminution des risques de propagation du virus du Sida.

Cette thérapeutique de substitution a fait l'objet d'évaluations multiples de la part d'organismes officiels152 et privés153. Les principaux avantages mis en évidence154 155 sont avant tout:

Les effets favorables sur l'intégration sociale résident essentiellement dans la modification du style de vie qu'entraînent non seulement la prescription de méthadone mais surtout la prise en charge globale médico-psychosociale assurée par une équipe pluridisciplinaire. De fait, le fonctionnement psychosocial du toxicodépendant qui consiste à renoncer à une part essentielle de sa vie personnelle et sociale s'avère particulièrement modifié lors de la mise en place d'un tel traitement. Avec la prescription journalière de méthadone, l'usager de drogues qui devait dépenser énormément d'énergie, d'argent et de temps pour se procurer son produit voit son emploi du temps se modifier considérablement. Ainsi, lorsque cela s'avère nécessaire, une réhabilitation psychosociale devient envisageable moyennant un recours aux institutions adaptées (de type socio-éducatif). De plus, la prise de méthadone à heure fixe prend une forme ritualisée, ce qui tend à régler la vie de ceux dont les journées ne sont plus rythmées par le travail.

Il est certain que la substitution d'une drogue illégale par un opiacé prescrit médicalement diminue voire supprime les retombées négatives liées à l'exercice d'une pratique considérée comme délictueuse et favorise une certaine normalisation du mode de vie.

Les sujets qui devaient auparavant "galérer" durant toute la journée pour s'approvisionner en opiacé se retrouvent subitement avec une quantité considérable de temps à disposition. Presque spontanément, certains renoncent d'eux-mêmes à tout un ensemble d'activités illégales devenues inutiles. Ceci leur ouvre une grande porte pour remanier leur style de vie en adoptant des activités plus conventionnelles. Certains saisiront l'occasion alors que d'autres n'y trouveront pas leur compte et retourneront à leur ancien mode de vie.

Relevons toutefois que la substitution reste partielle dans la mesure où l'appétence pour les toxiques, bien souvent, continue à se manifester. Par ailleurs, dans certains cas la tendance au rejet des normes sociales tend à court-circuiter les aides prodiguées par les professionnels de l'insertion sociale.

Avec la prise en charge médico-psychosociale des héroïnomanes par la méthadone, nous sommes au coeur d'une rencontre (parfois d'un affrontement) entre deux milieux culturels qui véhiculent des normes et des valeurs souvent diamétralement opposées. En effet, alors que les soignants, représentants d'une société fortement médicalisée, oeuvrent pour la réduction des risques et l'adoption de comportements favorables à la santé (avec en filigrane une visée d'abstinence à plus ou moins long terme), les patients restent souvent tributaires d'un mode de vie axé sur une valorisation du plaisir immédiat et des prises de risques.

Néanmoins, ces derniers peuvent se montrer preneurs lorsqu'on leur propose, de manière non moralisatrice, des solutions aux problèmes concrets qu'ils rencontrent. Ce fut le cas en Suisse avec la mise en vente libre des seringues en pharmacie (en 1986) dans le cadre de la prévention contre le Sida156.

Finalement, on peut envisager un des aspects du travail des équipes soignantes comme une forme de restauration d'un lien rompu (ou risquant de le devenir) entre des individus marginalisés et la société. De tels programmes jouent donc un rôle d'interface entre une sous-culture menacée d'exclusion et la société globale, ce qui va dans le sens d'une meilleure cohésion sociale de celle-ci.

Notes
151.

V. Dole & M. Nyswander, Heroin addiction : A metabolic disease. Arch. Intern. Med., 1967, 120, pp. 19-24.

152.

World Health Organization, Division of Mental Health, The uses of methadone in the treatment and management of opiod dependence, WHO/MNH/DAT/89.1, Geneva, 1989.

153.

J.-J. Déglon, Evaluation d'un programme de traitement des héroïnomanes par la méthadone, Psychotropes, 1988, 4, pp. 31-37.

154.

J. C. Ball & A. Ross, The Effectiveness of Methadone Maintenance Treatment. New-York, Springer-Verlag, 1991.

155.

A. Mino et M. Del Rio, Marginalisation médico-sociale, toxicomanie, méthadone, Médecine et Hygiène, 1991, 49, pp. 2488-2493.

A. Mino, Les maintenances à la méthadone, L'information psychiatrique, 1995, 3, pp. 237-246.

156.

C. L. Robert, J.-J. Déglon, J. Wintsch, J.-L. Martin et al. Behavioural changes in intravenous drug users in Geneva : rise and fall of HIV infection 1980-1989. AIDS, 1990, 4, 4, pp. 657-660.