2.5. Les deux grandes approches de la déviance

La déviance peut être abordée avec deux points de vue différents selon que l'on adopte le paradigme épistémologique positiviste, objectiviste et centré sur la recherche des causes des comportements déviants, ou le paradigme interactionniste, relativiste et visant à déterminer les conditions d'application des normes.

Alors que le présent chapitre est centré sur une approche interactionniste, l'approche positiviste servira de cadre de référence au chapitre suivant orienté sur les phénomènes de socialisation antécédents aux comportements déviants.

Selon l'orientation positiviste, la déviance est considérée comme une réalité objective touchant certains individus dont il s'agit de définir les caractéristiques. La désignation de certains comportements comme déviants est envisagée comme ne se développant pas dans le vide et comme présupposant des actes qui enfreignent souvent gravement des normes que la majorité des individus partagent. C'est pourquoi une telle approche met beaucoup plus l'accent sur le donné que sur le construit 179.

Cette approche s'avère de plus particulièrement éclairante quant à la recherche des causes. Ainsi, lorsque l'on s'intéresse aux caractéristiques des individus déviants, on constate que certaines formes de déviances (vol, violence, toxicomanie, alcoolisme, suicide) montrent entre elles un degré important de corrélation180. On peut donc en déduire qu'il existe chez certains individus un penchant à la déviance se manifestant par des transgressions polymorphes. Il est plausible dès lors d'envisager une causalité commune à l'origine des divers actes déviants susmentionnés, liée à une prédisposition générale à la transgression des normes, même si d'autres variables peuvent intervenir au moment où le penchant à la déviance tend à se fixer dans une expression particulière.

Selon le second point de vue, l'approche interactionniste, la déviance est perçue comme relative à un système normatif donné basé sur une morale construite socialement issue généralement de certains groupes d'individus politiquement influents.

Selon l'approche interactionniste, la notion de déviance concerne donc beaucoup moins des comportements atypiques individuels qu'un mode de réaction sociale à ce type de comportements. C'est l'aspect construit socialement de toute catégorie déviante donnée qui est en jeu ici, indépendamment de la nature objective des comportements concernés. De plus cette construction sociale est conçue comme arbitraire puisqu'elle fait intervenir un jugement de valeur habituellement prononcé par un groupe social en position de force.

Dans cette optique la question de savoir s'il existe des toxicomanes maîtrisant ou cachant suffisamment bien leur consommation pour n'être aucunement perçus comme déviants ne se pose pas, car un tel comportement n'entrerait plus dans la définition de la déviance dont le critère majeur est justement la réaction qu'elle produit.

Notes
179.

M. Cusson, op. cit.

180.

Sont liées de façon particulièrement fortes : vol et toxicomanie, de même que déviance scolaire et délinquance juvénile.