3.2. Les fonctions sociales de l'étiquetage : exclusion et récupération

Le phénomène de stigmatisation visant à conférer une identité à un groupe d'individus qui s'écartent des normes admises peut remplir diverses fonctions sociales, nous détaillerons ici l'exclusion et la récupération.

L'exclusion et le rejet sont un premier mouvement presque naturel qui accompagne le phénomène de stigmatisation. Celui qui enfreint les règles est perçu comme dangereux puisqu'il remet en cause l'ordre social, soit, le fondement même de la vie en communauté. Il s'ensuit une réaction de rejet face à celui qui menace le bon fonctionnement de la vie en société et un besoin de l'isoler des membres non déviants.

Mais la stigmatisation associée à l'exclusion peut en outre être le fruit d'une volonté de masquer un problème social réel en considérant que les personnes concernées sont seules responsables de leur situation. Certains groupes minoritaires (chômeurs, malades, immigrés, etc.) peuvent ainsi non seulement être rendus uniques responsables de leurs difficultés mais encore être accusés de toutes sortes de maux qui ne les concernent plus et l'on tombe ici dans les processus de "bouc-émissarisation" tristement connus187.

Le poids de la connotation négative qui accompagne l'étiquette de toxicomane amène les usagers de drogues à devoir cacher leur pratique. Car dans bien des milieux professionnels lorsque l'employeur apprend qu'une personne a un problème d'abus de substances illégales il s'ensuit un licenciement, en dépit des compétences de la personne.

On peut également envisager le processus de stigmatisation comme une tentative de gestion de la déviance qu'adopte la société. Il s'agit là d'une stratégie de récupération où la société confine les sujets déviants vers un rôle et un statut déterminés (toxicomane, clochard, délinquant). Ainsi, une fois la désignation sociale opérée, il devient possible de prendre en charge, de traiter voire de réinsérer ces individus188, car désigner par une appellation spécifique tel individu, ce peut être le premier moment de sa neutralisation et d'autre part c'est le mettre dans une position de visibilité maximale au sein du groupe pour qu'il soit en mesure d'exercer son rôle d'exemple à l'égard du groupe dont il a enfreint les règles189.

Un tel processus de stigmatisation joue donc un rôle de contrôle social dans la mesure où il est attendu qu'une telle forme de dénonciation ramènera les comportements du sujet déviant dans la norme, lui évitera de récidiver et servira d'exemple pour le groupe dans son ensemble190. Ainsi les différentes fonctions de la stigmatisation peuvent être conçues comme une série d'étapes permettant de maintenir l'organisation sociale : exclusion, neutralisation et récupération.

Notes
187.

Cf. Article "Stigmatisation", in : J.-P. Fragnière et R. Girod, Dictionnaire suisse de politique sociale, Lausanne, Editions Réalités sociales, 1998.

188.

H. Bloch et al., Article "Déviance", in : Le grand dictionnaire de la psychologie, Paris, Larousse, 1991.

189.

N. Herpin, Les sociologues américains et le siècle, Paris, PUF, 1973.

190.

N. Herpin, op. cit. Relevons que dans cette conception le contrôle social est envisagé comme producteur de déviance alors que dans d'autres approches (notamment la théorie du contrôle social) il joue un rôle de réduction de la déviance.