3.5. Réaction du public : désignation par peur du phénomène drogue

Le public au sens large peut être considéré comme un agent de désignation dans la mesure où il véhicule des représentations stéréotypées du problème "drogue". Influencé par les médias et par des situations individuelles transmises de bouche à oreille, le profane n'accède qu'à une vision partielle et déformée de la réalité du phénomène. Face à l'inquiétude que peuvent susciter les comportements de prises de drogues, le public développe diverses attitudes que nous allons détailler.

R. Lucchini204, auteur d'une étude approfondie sur le milieu de la drogue basée sur une approche interactionniste, donne d'intéressants éclaircissements sur la fonction que peut avoir pour le public un mécanisme comme la stigmatisation.

Cette attitude concerne un public angoissé par un problème qui le touche et qu'il ne peut expliquer. En réagissant par la condamnation morale, il opère une discrimination entre des comportements jugés bons et d'autres mauvais. De la sorte, conférer une identité bien que négative aux toxicomanes, dans la mesure où ils constituent ainsi une entité autre et bien délimitée, permet de circonscrire clairement ce groupe social et par-là diminue la menace qu'il est supposé représenter.

Selon ce sociologue suisse, classer des individus dans des catégories connues et homogènes permet de réduire un phénomène diffus et complexe à un ensemble d'éléments restreints autorisant sa gestion par des jugements simples et définitifs, procédé se soldant par un effet sécurisant pour le public.

Relevons que ces attitudes renvoient à un phénomène conceptualisé par la psychologie sociale comme la manifestation d'un stéréotype négatif ; cas particulier du mécanisme de catégorisation sociale, lequel étant un processus plus ou moins grossier de structuration de l'environnement humain. Le stéréotype est le fruit d'une part d'une schématisation entraînant une simplification et une généralisation abusive, et d'autre part d'une attitude réactionnelle à une situation collective caractérisée par des tensions entre groupes205.

Quant à savoir pourquoi les symptômes toxicomaniaques suscitent des passions tellement vives et s'avèrent si peu tolérables pour le public206, c'est justement parce qu'ils caricaturent les modèles de comportements que la société propose. En effet, J. Bergeret207 montre bien comment le recours à une substance extérieure perçue comme dotée du pouvoir magique de supprimer tous malaises intérieurs est en parfaite analogie avec le credo propre à notre société de consommation qui place dans les biens matériels le salut de chacun.

Le toxicomane ne fait donc qu'exagérer des besoins propres à chacun. En fait, le mode de fonctionnement de la plupart des toxicomanes n'est pas radicalement différent de celui de l'homme moyen nous dit J. Bergeret208. Les stratégies anti-dépressives utilisées par l'un comme par l'autre ne différant que par le caractère plus adapté socialement de celles qu'utilise l'homme qui a su trouver sa place dans la société.

On comprend mieux dès lors pourquoi le comportement du toxicomane interpelle tant l'opinion publique. Il est en effet d'autant plus perçu comme une menace qu'il se fonde en partie sur des valeurs communément partagées par chacun.

Notes
204.

 R. Lucchini, Drogues et société, Essai sur la toxicodépendance, Fribourg, Editions Universitaires Fribourg Suisse, 1985.

205.

 J. Maisonneuve, Opinions, stéréotypes et représentations collectives, in : Introduction à la psychosociologie, Paris, PUF, 1985.

206.

Le bas seuil de tolérance face au problème de toxicomanie est d'autant plus révélateur que l'opinion publique ne s'émeut pour ainsi dire pas face à des problèmes sociaux tout autant voire bien plus dévastateurs tels que l'alcoolisme, le tabagisme ou les tentatives de suicide des jeunes.

207.

J. Bergeret, Toxicomanie et personnalité, Paris, PUF, 1982.

208.

J. Bergeret, 1983, op. cit.