4. La sous-culture drogue et ses modes de vie

4.1. Genèse et fonction de la sous-culture drogue

On peut distinguer deux temps dans la genèse de la sous-culture liée au milieu de la drogue ; le premier temps remonte au début du siècle avec la criminalisation de la consommation de morphine, et le deuxième temps se situe au moment de l'apparition des mouvements contestataires chez les jeunes de la fin des années soixante.

La première apparition d'une sous-culture propre au milieu de la toxicomanie est la conséquence de la désignation sociale des conduites d'abus de drogues comme déviantes ou en d'autres termes, de l'identification d'un ensemble de comportements comme constituant un problème social.

Nous avons vu qu'historiquement, tout se passe comme si les sociétés occidentales à un moment donné (entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle) en étaient venues à créer activement une nouvelle catégorie de déviants en voulant à tout prix contrôler l'usage non médical des drogues.

La criminalisation de l'usage d'opiacés a non seulement créé la nouvelle catégorie sociale du toxicomane telle qu'on la connaît aujourd'hui, mais a également amené les personnes dépendantes à se regrouper afin d'échanger des informations propres à leur pratique. Ils ont élaboré de cette façon une sorte de bulletin d'information informel et oral donnant par exemple des renseignements sur la qualité des drogues disponibles ou sur les techniques de consommation211. Il s'est créé ainsi une sous-culture leur permettant de nouer des contacts, d'assumer leur habitude proscrite à l'abri des instances répressives et d'apprendre comment échapper au contrôle qu'elles exercent. A ce titre elle possède donc avant tout une valeur adaptative.

Ainsi, la production d'un ensemble de représentations et de pratiques culturelles par la communauté informelle des toxicomanes a été initialement suscitée par le statut illégal de leur pratique.

Le deuxième temps de la genèse de la sous-culture drogue correspond à l'apparition du phénomène drogue chez les jeunes de la fin des années soixante. Il s'est développé alors une contre-culture s'opposant aux valeurs matérialistes d'une société de plus en plus robotisée ressentie comme laissant peu de place à l'imaginaire et à la créativité.

La croyance dans les utopies hippies qui prônaient l'amour inconditionnel et le retour à la nature s'est toutefois estompé au fil des années. A partir des années 80 le milieu de la toxicomanie s'est progressivement durci212, les relations entre consommateurs se sont dégradées notamment sous l'influence d'une criminalité montante liée au trafic des stupéfiants. Le milieu actuel de la drogue, et principalement de la drogue dure, se caractérise par un mercantilisme extrême qui reproduit certains aspects des sociétés capitalistes et par-là l'apparente plus à une forme de sous-culture, fruit d'une perte de cohésion au niveau de la culture globale213, qu'à une véritable contre-culture. La consommation de drogues a de la sorte progressivement perdu son statut d'acte politique orienté vers la contestation du système en place.

Notes
211.

R. C. Stephens, The street addict role, a theory of heroin addiction, Albany, State University of New York Press, 1991.

212.

M. Xiberras, La société intoxiquée, Méridiens Klincksieck, 1989.

213.

C. Olievenstein et A. Braconnier, Les toxicomanies, in : S. Lebovici, Traité de Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, Paris, PUF, 1985.