Chapitre 4 : LES DETERMINISMES PSYCHOSOCIAUX DE LA TOXICOMANIE

1. Introduction

Après nous être intéressé au phénomène de la construction sociale d'une déviance, aux bénéfices que tire la société à fabriquer divers stéréotypes pour appréhender le problème "drogue" ainsi qu'aux caractéristiques de la sous-culture drogue, nous quittons l'approche interactionniste symbolique pour nous tourner vers des approches beaucoup plus déterministes.

Comme au chapitre précédent, nous allons explorer les liens entre toxicomanie et intégration sociale, mais en mettant l'accent cette fois-ci sur le rôle des principaux agents de socialisation avec une centration sur la période de l'adolescence. Ceci afin de repérer les contextes environnementaux favorisant l'évolution vers la toxicomanie.

Nous commencerons par aborder le phénomène général de la socialisation en tant que formateur de l'identité sociale (le pôle social de la personnalité). Ceci nous permettra de mieux cerner la nature des liens qui unissent l'individu au groupe social et le type de prérequis nécessaire à l'intégration et au développement d'un sentiment d'appartenance et de familiarité avec les membres du groupe. Si le développement de l'identité subjective peut être vu comme une quête de la similitude et de la différenciation sociale238, c'est donc au premier de ces deux termes que nous nous sommes intéressés.

L'identification du rôle des différents groupes d'appartenance en tant qu'agents de socialisation permettra de différencier leur fonction respective aux différentes étapes du développement de la personnalité, de même que de repérer les troubles de la socialisation qu'ils peuvent induire.

La finalité de la socialisation étant la conformité et l'adaptation sociale, nous nous pencherons sur les situations où cette issue est tenue en échec, laissant place à l'évolution vers la déviance avec le risque d'exclusion sociale qu'elle comporte.

L'évolution vers la toxicomanie passe par une série d'étapes qui implique le passage de l'abus de drogues licites aux drogues illicites, puis à l'usage de drogues aux effets toujours plus puissants. Cette escalade des produits et de leur dosage s'accompagne d'une participation toujours plus intense au groupe des usagers de drogues, où le sujet apprend les croyances, normes et techniques de consommation, ce qui va modifier son identité, comme nous l'avons vu au chapitre précédent.

Plusieurs théories cherchent à rendre compte des mécanismes psychosociaux qui conduisent vers une telle déviance sociale. Nous aborderons deux grands courants théoriques de la sociologie américaine de la délinquance, la théorie du contrôle social et la théorie de la déviance culturelle (dont celle de l'apprentissage social), que nous compléterons avec un modèle théorique plus spécifique aux troubles du comportement chez l'adolescent, la théorie des comportements problématiques (problem behavior theory).

Ces théories cherchent à rendre compte de la dynamique des liens sociaux et des appartenances groupales qui influencent l'adoption de certains modèles de comportements. L'individu y est considéré comme se situant au coeur d'un jeu de forces où des modèles de conduites différents (déviants et conventionnels) s'affrontent.

La dernière partie de ce chapitre sera consacrée à une présentation de recherches empiriques concernant les caractéristiques psychosociales des usagers de drogues adolescents et jeunes adultes, avec une centration sur la nature des liens sociaux établis avec la famille, l'école et le groupe des pairs. La période de l'adolescence sera traitée avec une attention particulière puisque la quasi-totalité des problèmes de toxicomanie prend naissance à cette époque de la vie. Parmi les problèmes d'adaptation sociale qui accompagnent les abus de substances illégales, nous aborderons plus spécifiquement la question du lien entre délinquance et toxicomanie.

Pour clore le chapitre, nous mettrons à l'épreuve les deux théories principales de la déviance, à savoir la théorie de la déviance culturelle et la théorie du contrôle social, en nous référant à une étude comparative de la qualité des réseaux d'amitié chez des usagers de toxiques adultes et des abstinents239. En dernier lieu nous définirons une nouvelles fois dans notre conclusion les deux axes conceptuels centraux qui orienteront au chapitre suivant l'analyse des résultats.

Notes
238.

Selon le titre de l'article de J.-P. Codol : La quête de la similitude et de la différenciation sociale. Une approche cognitive du sentiment d'identité, in : P. Tap, Identité individuelle et personnalisation, Paris, Privat, 1979.

239.

D. Kandel & M. Davies, Friendship network, intimacy, and illicit drug use in young adulthood: a comparison of two competing theories, Criminology, 1991, 29, 3, pp. 441-469.