2. La socialisation

2.1. La socialisation : porte d'entrée dans le groupe

Avant d'aborder les diverses modalités de socialisation qui concernent le toxicomane adulte dans ses rapports au social, nous donnerons un aperçu général du phénomène de la socialisation.

La socialisation vise au développement du pôle social de l'identité par intériorisation de la culture, elle cherche à rendre les individus semblables entre eux. Elle s'oppose à la personnalisation qui concerne le développement du pôle individuel de l'identité et qui tend vers la différenciation des individus entre eux. Ces deux processus sont donc à l'origine de la bipolarité de l'identité humaine, bipolarité dont E. Durkheim rendait compte en considérant qu'il existe en chacun de nous un être individuel et un être social.

L'être individuel ou privé est constitué de notre tempérament, notre caractère, notre hérédité et notre situation personnelle, donc de tout ce qui fait notre singularité et notre différence vis-à-vis d'autrui. A l'inverse l'être social ou collectif représente ce qui nous rend semblable à autrui, il s'agit des systèmes d'idées, de sentiments et d'habitudes que nous avons en commun avec les groupes sociaux auxquels nous appartenons240.

Lorsque les manières de faire, de penser et de sentir du groupe sont intériorisées, il en résulte un sentiment d'appartenance envers celui-ci. Ce sentiment est la composante affective de l'identité sociale, il détermine la force du lien social qui unit l'individu avec les divers groupes dont il fait partie. De plus, les positions occupées dans les différents types de groupes constituent un ensemble de référents identitaires constitutifs de la définition de soi241 242.

L'orientation de l'individu vers des modèles de conduites partagés par l'ensemble du groupe s'exerce par le biais du contrôle social 243 qui peut s'effectuer de façon informelle dans le cadre des groupes primaires (famille, groupe des pairs, voisinage) ou de façon institutionnalisée dans les groupes secondaires (généralement régis par des lois ou des règlements tels que partis politiques, associations).

Une fois socialisé, l'individu devient également agent du contrôle social. Cette transmission de générations en générations des modèles de comportements et des moyens de les réguler assure le maintien et la reproduction de la structure sociale.

La socialisation pousse donc à l'uniformisation et à la conformité des individus en les amenant à partager les normes, valeurs et modèles de comportements propres à l'ensemble du groupe. Il s'agit d'un processus d'interactions complexes où le sujet cherche à répondre aux attentes du groupe, et par-là structure sa personnalité. G. Rocher donne la définition suivante de la socialisation :

‘le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au cours de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l'influence d'expériences et d'agents sociaux significatifs et par-là s'adapte à l'environnement social où elle doit vivre244.’

Cette citation montre bien à quel point le concept de socialisation permet d'articuler l'individuel et le social. Elle met en évidence trois aspects du processus que nous allons développer dans la suite de ce sous-chapitre :

  1. les mécanismes psychiques responsables de l'acquisition de la culture (connaissances, modèles de comportements, valeurs, manières de faire, penser et sentir) et des phénomènes d'apprentissage ;

  2. les agents de socialisation que constituent les personnes et les groupes qui influencent l'individu ;

  3. les conséquences de la socialisation qui peuvent être soit la déviance soit la conformité et qui déterminera le type d'adaptation sociale.

Notes
240.

R. Campeau et al. op. cit.

241.

 G. N. Ficher, Les concepts fondamentaux de la psychosociologie, Paris, Dunod, 1987.

242.

R. Mucchielli, L'identité, Paris, PUF, 1994.

243.

M. Cusson donne la définition suivante du contrôle social : "l'ensemble des processus par lesquels les membres d'un groupe s'encouragent les uns les autres à tenir compte de leurs attentes réciproques et à respecter les normes qu'ils se donnent". In : R. Boudon, Traité de sociologie, Paris, PUF, 1992, p. 407. Nous aborderons plus en détails cette notion au sous-chapitre suivant consacré à la théorie du contrôle social.

244.

G. Rocher, Introduction à la sociologie générale, 1. l'Action sociale, Paris, Seuil, 1970, p 132.