4. Théories de la déviance culturelle : socialisation vers la déviance

4.1. Théorie de l'association différentielle

La théorie de l'association différentielle est le fruit des travaux d'E. Sutherland271 (1883-1950) professeur de criminologie à l'Université de Chicago272. Elle s'inscrit dans un des principaux courants de la sociologie américaine de la déviance ; la théorie de la déviance culturelle. E. Sutherland est par ailleurs considéré comme le fondateur de cette dernière273.

Etant donné que l'orientation théorique générale de l'Ecole de Chicago est celle du contrôle social, E. Sutherland occupe une position différenciée au sein de cette école274. Il se différencie d'autres auteurs de l'Ecole de Chicago tels que W. I. Thomas, F. Znaniecki et C. R. Shaw dans la mesure où bien qu'adhérant à l'idée que la position dans la structure sociale influence l'évolution vers la déviance, il privilégie l'étude des processus sociaux menant à celle-ci275.

La théorie de E. Sutherland est ambitieuse puisqu'elle vise à identifier les causes nécessaires et suffisantes du crime, néanmoins l'auteur ne prétend pas rendre compte de l'ensemble des facteurs menant au crime. Il cherche à différencier les niveaux d'analyse en séparant chronologiquement les facteurs de délinquance et en ne prenant en considération que les plus tardifs. Il s'agit des facteurs qui ont un rapport direct avec les comportements délinquants et qui concernent les connaissances liées aux techniques et attitudes morales face aux actes en question. Car de nombreux facteurs sont susceptibles d'influencer l'association différentielle avec les milieux délinquants versus non délinquants, mais le parti de l'auteur est d'expliquer le crime et non l'association différentielle.

Ce sociologue considère que le comportement délictueux est appris en s'associant avec des délinquants. Cet apprentissage social se fait par la transmission et l'imitation de techniques et d'attitudes délinquantes dans un processus de communication et d'interaction avec les membres d'un groupe constitué en sous-culture276.

Un individu adopte un comportement délinquant lorsque son exposition aux définitions favorables à la violation des lois l'emporte sur les définitions défavorables à de tels actes. Les croyances et valeurs sous-culturelles adoptées par l'individu sont donc considérées comme une cause principale d'évolution vers la déviance 277 .

L'appartenance au groupe délinquant, par le biais d'un processus de socialisation, va permettre l'acquisition de techniques et d'attitudes délinquantes véhiculées par la sous-culture du groupe. Une fois les apprentissages réalisés, l'individu pourra à son tour perpétrer des délits.

La théorie envisage donc un lien de causalité entre l'interaction avec des délinquants et la commission de délits. De plus les mécanismes d'apprentissage de la déviance sont conçus comme semblables à ceux qui mènent à la conformité, seuls leurs contenus diffèrent.

Les données empiriques n'ont toutefois jamais pu totalement confirmer ce modèle. En effet, dans le domaine de la délinquance, certains auteurs278 ont par la suite défendu un modèle explicatif où l'activité délictueuse serait première et à l'origine du choix des amis et connaissances, lesquels influenceraient dans un second temps l'activité délictueuse.

En ce qui concerne une activité déviante telle que la prise de drogues, on peut décrire un processus semblable à celui qui mène à l'acte délinquant. Car si les usagers de drogues apprennent des attitudes et des techniques de consommation au sein du groupe des consommateurs, ils éprouvent rapidement des besoins d'autojustification et de soutien moral face à leurs conduites prohibées. C'est pourquoi ils vont être amenés à rechercher la compagnie des plus aptes à leur offrir cette aide, c'est-à-dire ceux qui partagent leur condition. Ainsi, l'activité déviante serait tout autant cause que produit de l'appartenance au groupe déviant.

Les critiques de la théorie de l'association différentielle n'ont toutefois pas empêché le concept d'association différentielle d'être repris et intégré dans des théories ultérieures telles que celle de l'apprentissage social.

Notes
271.

 E. H. Sutherland & D. R. Cressey, Principe de criminologie, (éd. orig. américaine 1924), Paris, Lujas, 1966.

E. H. Sutherland, Le voleur professionnel, (éd. orig. américaine 1937), Paris, Spès, 1963.

272.

En fin de carrière il ira enseigner à l'université d'Indiana où il aura notamment comme étudiant A. Cohen qui reprendra à son compte les notions de sous-culture délinquante et de transmission culturelle.

273.

P. Besnard, op. cit.

274.

A. Coulon, L'Ecole de Chicago, Paris, PUF, 1992.

275.

E. Rubington & M. S. Weinberg, The study of social problems, New York/Oxford, Oxford University Press, 1989.

276.

Ceci résume les quatre premières propositions de sa théorie. Elle sont complétées par cinq autres qui expliquent entre autre la notion d'association différentielle.

277.

 La parenté de la théorie de l'association différentielle avec la théorie de l'étiquetage, développée au chapitre précédent, n'est pas fortuite. Les écrits d'E. Sutherland ont servi de base aux travaux d'auteurs tels que E. Lemert et H. Becker, même si le contexte épistémologique n'était plus du tout le même.

278.

S. Glueck & E. Glueck, 1950 ; A. E. Liska, 1974 ; A. E. Liska et M. D. Reed, 1985, cités par M. Killias, Précis de criminologie, Berne, Staempfli & Cie SA, 1991.