4.3. Apprentissage social et toxicomanie

Concernant plus spécifiquement l'usage de drogues, R. L. Akers283 développe un modèle général de l'usage et de l'abus de drogues basé sur la consommation de marijuana chez des adolescents. Quelques ajouts sont apportés au modèle lorsqu'il s'applique à la consommation d'héroïne, notamment en ce qui concerne les phénomènes liés à la dépendance physique provoquée par cet opiacé. Toutefois le processus d'apprentissage social mis en évidence par le modèle est suffisamment général pour s'appliquer à tous les types de drogues et à l'ensemble des groupes d'âge concernés par la prise de drogues.

L'idée d'association différentielle avec les pairs, les membres de la famille et les autres personnes significatives est centrale dans le modèle, dans la mesure où l'environnement humain ainsi constitué va fournir les définitions favorables ou non à l'usage de drogue, les modèles de comportement à imiter et les renforcements différentiels des comportements adoptés par le sujet.

La famille, qui joue un rôle crucial jusqu'à l'adolescence, influence généralement la consommation de drogues illégales dans le sens de la désapprobation. Néanmoins, les habitudes de consommation de psychotropes chez les parents (alcool, médicaments) peuvent favoriser l'usage de toxiques chez les enfants devenus adolescents.

Dès l'adolescence le groupe des pairs et des amis proches aura une influence décisive sur l'entrée éventuelle dans le monde de la drogue. L'association différentielle avec les pairs usagers ou non de drogues s'avère par ailleurs être le meilleur prédicteur de l'utilisation de drogues.

L'initiation au produit est envisagée comme se faisant généralement dans le contexte d'un groupe de pairs qui véhicule des définitions des usages (jugements moraux), consistant en attitudes favorables à la prise de toxiques. L'apprentissage de ces définitions est primordial puisqu'il va déterminer les comportements face aux prises de drogues. Ainsi, des attitudes positives (qui valorisent l'usage de drogues) ou de neutralisation (qui justifient ou excusent l'usage) sont apprises au sein du groupe d'usagers et vont favoriser le recours aux drogues.

L'exposition au groupe qui légitime l'usage augmente la probabilité d'une entrée dans le cycle de la consommation de drogues dans la mesure où les obstacles moraux qui réfrènent l'usage sont écartés.

A côté de ces définitions données par les membres du groupe, il y a les comportements de prises de drogues que ceux-ci adoptent. De telles conduites représentent des modèles comportementaux valorisés et seront l'objet d'imitation, phénomène particulièrement important durant la phase d'initiation aux consommations.

Une fois le sujet installé dans la consommation, les conséquences effectives des prises de drogues interviennent sous la forme de renforcements différentiels de l'usage. Il s'agit du poids respectif des avantages et inconvénients liés à la consommation et à l'abstinence.

Ces conséquences concernent les effets physiologiques de la substance, mais aussi les gratifications relationnelles offertes par les membres du groupe. La consommation devient désirable en tant que moyen d'être accepté par le groupe. Ce mécanisme de renforcement social positif relègue à l'arrière-plan l'appréhension du risque de la dépendance, ainsi que la connaissance des effets négatifs du produit.

Lors des premières prises d'héroïne, les effets négatifs du produit permettent difficilement de ressentir des sensations agréables. C'est ici qu'intervient un phénomène d'apprentissage social qui permet au toxicomane de redéfinir comme agréables les perturbations physiologiques284 ressenties suite à la prise d'héroïne. A ce stade l'usage influence l'association différentielle dans la mesure où vont être préférentiellement choisis les pairs présentant des habitudes de consommation de drogues semblables.

Lorsque la consommation devient plus régulière, l'approvisionnement en quantité importante ne permet plus de rester dans le groupe où s'était faite l'initiation et nécessite l'établissement de contacts avec des personnes plus engagées dans le monde de la drogue. La participation à des activités illégales liées au commerce de produits illicites devient de plus en plus probable, surtout lorsqu'il s'agit d'une substance onéreuse comme l'héroïne.

Contrairement au renforcement positif qui est prépondérant durant la phase initiale de consommation orientée vers la recherche de plaisir, lorsque la dépendance de l'héroïne est installée, son maintien se fait principalement par renforcement négatif. C'est en effet la disparition des symptômes désagréables liés au manque qui est alors prioritairement recherchée.

En résumé, le processus d'acquisition d'un comportement toxicomaniaque se déroule en quatre étapes :

Notes
283.

R. L. Akers, op. cit.

284.

Phénomène déjà mis en évidence par des représentants de l'interactionnisme symbolique tels que A. Lindesmith (Opiate addiction, 1938, op. cit.) et H. S. Becker (1963, op. cit.) comme nous l'avons vu au chapitre précédent.

285.

R. Gassin, Criminologie, Paris, Dalloz, 1988.