5. Théorie des comportements problématiques : fonction du non-conformisme psychosocial à l'adolescence

R. Jessor286 a élaboré un modèle théorique qui rend compte de différents comportements problématiques à l'adolescence tels que la délinquance, l'usage de psychotropes et la sexualité précoce.

Cette théorie se situe dans une approche psychosociale et considère les comportements problématiques comme fonctionnels, intentionnels et instrumentaux en vue d'atteindre un but. Les comportements problématiques sont définis comme des comportements qui s'écartent des normes sociales et qui suscitent des réactions de contrôle social plus ou moins marquées allant de la simple désapprobation aux mesures d'emprisonnement.

Ce modèle considère que les buts liés à la consommation de psychotropes, la signification qu'elle prend pour l'individu et les différentes façons de s'engager dans ces comportements sont façonnés par les expériences personnelles et par la culture environnante. Les aspects biologiques et génétiques ne sont pas pris en considération au profit des aspects comportementaux, psychologiques et sociaux.

La structure conceptuelle de cette théorie repose sur trois domaines principaux de variables : personnalité ; environnement perçu et comportement. Trois ensembles de variables sont ainsi définis, ils évaluent différents types de facteurs de risque pour l'engagement dans les conduites transgressives.

Le système de la personnalité dans ses aspects socio-cognitifs concerne essentiellement les valeurs, croyances, attitudes et orientations envers soi et autrui :

Le système de l'environnement perçu 287 renvoie aux caractéristiques de l'environnement humain proche. L'environnement perçu est avant tout symbolique, il repose sur les significations que l'individu lui confère en interagissant avec lui. L'auteur s'est inspiré des travaux du sociologue W. I. Thomas qui a montré comment l'individu construit son environnement social en lui donnant un sens288. Les variables qui augmentent le risque de présenter des comportements problématiques sont les suivantes :

Le système du comportement réfère à un engagement dans les comportements problématiques (délinquance, usage de psychotropes, sexualité précoce289) et un engagement plus faible dans les comportements conventionnels (assiduité religieuse, résultats scolaires).

L'ensemble de ces variables reflète une dimension générale sous-jacente de non-conformisme psychosocial, laquelle constitue un facteur de risque global d'évolution vers différentes formes de déviance, dont la toxicomanie. L'interaction entre ces variables suggère qu'il est possible de parler d'un syndrome du comportement problématique adolescent constitutif d'un style de vie290.

Plusieurs auteurs291 292 considèrent les diverses modalités de comportements problématiques à l'adolescence (vols, abus de drogues licites et illicites, violence, rapports sexuels précoces) comme des équivalents fonctionnels, dans le sens où ils servent tous des buts semblables que le sujet ne parvient pas à atteindre autrement.

La théorie met en effet l'accent sur la signification individuelle et les différentes fonctions psychosociales que peuvent remplir les comportements problématiques. Ainsi, à un niveau individuel certains comportements tels que les abus de psychotropes peuvent servir de mécanisme de coping face à l'anxiété, la frustration ou l'échec. L'adoption de conduites dangereuses ou risquées peut traduire un besoin d'affirmation identitaire d'un rôle sexuel en réalisant des prouesses viriles chez les usagers de sexe masculin. Dans les relations aux pairs adopter ce genre de comportements peut également être un signe de solidarité et d'appartenance à la culture du groupe. De manière plus générale, les conduites transgressives peuvent aussi exprimer un refus des normes et des valeurs de la société.

Enfin, l'auteur insiste particulièrement sur la fonction de marqueur de transition des comportements problématiques pour l'adolescent. En tant que la plupart de ces conduites sont considérées comme inappropriées à un certain âge principalement (consommation de tabac et d'alcool, rapports sexuels, conduite automobile, etc.) et qu'elles cessent de l'être plus tard, le jeune cherche à affirmer sa maturité et à accélérer son accession au statut d'adulte en adoptant des comportements réservés aux plus âgés. La recherche d'indépendance vis-à-vis des parents est au coeur d'un tel mouvement de transition vers l'âge adulte. C'est pourquoi ces conduites s'inscrivent dans une tentative d'accomplissement des tâches développementales propres à la période de l'adolescence :

‘Overall, then, there is nothing necessarily irrational, perverse, or psychopathological about young people engaging in problem behavior, for adolescents, such behavior can fulfill important goals and can be an essential aspect of psychosocial development293.’

La théorie de R. Jessor donne une vision globale des troubles du comportement à tendance non conventionnelle tels qu'on peut en voir des expressions à l'adolescence. L'idée d'un syndrome général de déviance propre à cette période montre l'équivalence fonctionnelle de comportements pouvant paraître fort différents au premier abord.

Si cette théorie est efficiente pour expliquer les débuts de la prise de toxiques, elle l'est moins en ce qui concerne la persistance d'une toxicomanie à l'âge adulte. De plus, malgré l'association des différents comportements problématiques entre eux, ils ne suivent pas tous les mêmes voies développementales. Ainsi, alors que la délinquance atteint une fréquence maximale vers 17 ans, les prises de drogues augmentent encore chez les jeunes adultes294.

Notes
286.

 R. Jessor, Problem-behavior theory, psychosocial development, and adolescent problem drinking, British Journal of Addiction, 1987, 82, pp. 331-342.

287.

R. Jessor et S. L. Jessor, The percieved environment in behavioral science, American Behavioral Scientist, 1973, 16, 6, pp. 801-828.

288.

 "Si les hommes définissent les situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs conséquences". W. I. Thomas cité par R. Jessor et al., 1973, op. cit.

289.

 D'autres comportements ont également été évalués ponctuellement tels que le tabagisme, la conduite automobile dangereuse, les grossesses involontaires, etc.

290.

E. Vingilis & E. Adlaf, The structure of problem behaviour among Ontario high school students: a confirmatory-factor analysis, Health Education Research, 1990, 5, 2, pp. 151-160.

L. McGee & M. D. Newcomb, General deviance syndrome: expanded hierarchical evaluations at four ages from early adolescence to adulthood, Journal of Consulting and Clinical Psychology, 1992, 60, 5, pp. 766-776.

291.

M. Choquet, S. Ledoux et C. Maréchal, Drogues illicites et attitudes face au Sida, Paris, INSERM, 1992.

292.

 D. B. Kandel & al., The consequence in young adulthood of adolescent drug involvment, Archives of General Psychiatry, 1986, 43, pp 746-754.

293.

R. Jessor, op. cit. pp. 335.

Relevons qu'aux Etats-Unis en 1985, chez les jeunes de 18 ans, avoir fait l'expérience d'une drogue illégale représentait la norme. En effet, 61% d'entre eux avait au moins une fois fait une telle expérience !

294.

D. Kandel & al., Risk factors for delinquency and illicit drug use from adolescence to young adulthood, The Journal of Drug Issues, 1986, 16, 1, pp. 67-90.