La famille remplit le rôle crucial de transmission des normes et des valeurs sociales tout au long de l'éducation des enfants. Les attitudes parentales vis-à-vis de l'enfant vont déterminer la qualité de l'attachement qui les unira. Ce lien parental peut être décomposé en deux dimensions que l'on trouve également dans le contexte du réseau social, il s'agit du soutien et du contrôle. Un soutien affectif sous-tendu par l'amour et l'acceptation, accompagné d'un contrôle basé sur des règles claires sont des ingrédients nécessaires au développement harmonieux de l'enfant.
Les dysfonctionnements de la structure familiale en tant qu'instance de socialisation s'avèrent jouer un rôle important dans les risques d'évolution vers la toxicomanie. Des études rétrospectives sur les conditions de vie familiale chez des personnes devenues toxicomanes, montrent qu'elles ont souvent été exposées à des modèles éducatifs extrêmes ou incohérents. Leur éducation s'était caractérisée par une absence de sanctions, ou au contraire par des interdits trop nombreux, ou encore par une alternance de laxisme et de rigidité avec souvent à la clé, l'enfant pris comme enjeu d'un conflit de couple sous-jacent301.
Les études réalisées auprès d'adolescents scolarisés302 montrent que ceux qui ont répété l'usage de drogues illicites perçoivent leurs relations familiales comme moins satisfaisantes. L'hostilité, l'indifférence ou l'excès d'intérêt perçus chez les parents attestent d'une perturbation des investissements relationnels intra-familiaux plus fréquente chez les consommateurs de drogues par rapport aux abstinents. De même, D. Kandel et al.303 montrent que la dimension de l'intimité perçue (particulièrement avec le père) a plus d'influence que le contrôle parental sur le recours aux toxiques.
Les styles éducatifs s'avèrent donc impliqués dans les facteurs liés à l'usage de drogues. La capacité parentale à fixer des limites, le contrôle parental sur les sorties et le travail scolaire sont inversement reliés à l'usage de toxiques. De plus, l'attitude parentale d'approbation de la consommation d'alcool par l'adolescent influence non seulement la fréquence de celle-ci, mais aussi celle des drogues illicites.
A fortiori, lorsque l'un des parents est alcoolique ou toxicomane, les risques de toxicomanie ultérieure chez l'enfant sont amplifiés304.
Une étude réalisée auprès d'adolescents élevés par des parents héroïnomanes a montré qu'un tiers d'entre eux ont connu des problèmes liés à l'abus d'alcool ou de drogues contre 15% dans un groupe contrôle305. Relevons que dans ces situations la toxicomanie parentale n'est pas seule en jeu puisque les enfants issus de ces milieux sont plus souvent exposés à d'autres problèmes, tels que négligences graves, violence familiale, sévices physiques ou sexuels.
Les familles caractérisées par une absence d'espace normatif cohérent 306 compromettent l'évolution de l'enfant vers l'autonomie, étape indispensable à l'acquisition ultérieure des compétences sociales. Les auteurs de disciplines fort éloignées (sociologie, psychanalyse, épidémiologie) s'accordent pour dire que le toxicomane a souffert dans nombre de cas d'un excès ou d'un défaut de prise en charge parentale qui a hypothéqué son accès à l'autonomie.
R. Lucchini, 1985, op. cit.
M. Choquet et al., 1992, op. cit.
D. Kandel et al., Antecedents of adolescent initiation into stages of drug use: A developmental analysis, Journal of Youth and Adolescence, 7, pp. 13-40.
H. Chabrol, Les toxicomanies de l'adolescent, Paris, PUF, 1992.
Cité par H. Chabrol, op. cit.
R. Lucchini, 1985, op. cit.