3.2. Autoquestionnaires de personnalité et de dépression

La théorie sous-jacente à la méthode de l'autoquestionnaire de psychopathologie repose sur les concepts de trait de personnalité et d'état psychique.

Certains questionnaires, tels que le MMPI358, dont nous avons utilisé une forme abrégée, évaluent des traits de personnalité que H. J. Eysenck définit de la façon suivante :

‘Les traits sont des caractéristiques descriptives relativement durables d'une personne (...) généralement conçu comme des prédispositions au comportement ayant une cohérence trans-situationnelle, c'est-à-dire, menant à des comportements semblables dans une variété de situations359 .

La notion de trait évoque donc une permanence dans la façon d'agir et de réagir.

Au contraire, d'autres types de questionnaires évaluent des états psychiques qui renvoient à des pensées et des comportements temporaires. C'est le cas de notre second test, utilisé pour évaluer l'état dépressif : le QD2360.

Le questionnaire de personnalité utilisé est constitué d'un ensemble d'items tirés du MMPI. Il comporte 202 items soit environ 25 à 35 minutes de passation (cf. annexe 6). Le sujet répond par "vrai" s'il considère que l'énoncé décrit un trait ou un comportement qui caractérise sa personne, et par "faux" dans le cas contraire.

Les items du MMPI ont été sélectionnés en fonction de leur appartenance à certaines échelles issues d'une version abrégée du test361 jugées pertinentes pour notre étude. Il s'agit des trois échelles dites de validité et de quatre échelles cliniques. Nous y avons ajouté une cinquième échelle clinique de trouble de la personnalité borderline créée par L. C. Morey et al.362 à partir de la version longue du MMPI et en référence au DSM-III, en raison de l'importance de ce trouble dans les populations de toxicomanes.

Les échelles cliniques offrent l'avantage d'être bien étalonnées, d'avoir fait l'épreuve du temps et de permettre la comparaison à une norme par le biais d'une note T363. L'échelle borderline de L. C. Morey permet aussi le calcul d'une note T.

Parmi les échelles cliniques du MMPI, l'échelle Déviation Psychopathique (Pd) s'imposait pour une population de sujets présentant souvent des tendances antisociales. Trois autres échelles cliniques ont été sélectionnées (Paranoïa, Pa ; Psychasthénie, Pt ; et Schizophrénie, Sc) car elles sont constitutives du "psychoticisme", une des trois dimensions fondamentales de la personnalité mises en évidence par les analyses factorielles de H. J. Eysenck et al.364.

En effet, à côté de l'extraversion - introversion (E) et du "neuroticisme" - stabilité (N), le "psychoticisme" - contrôle surmoïque (P) constitue une dimension de la personnalité qui s'étend sur un continuum allant des troubles schizophréniques avérés aux comportements altruistes et très socialisés. Les échelles utilisées pour évaluer le "psychoticisme" ne permettent pas de poser un diagnostic de psychose, elles mettent par contre en évidence une prédisposition à développer ce type de troubles en situation de stress.

Il a été substitué à l'échelle dépression du MMPI le questionnaire de dépression élaboré par P. Pichot et al.365 (le QD2, cf. annexe 7) dans la mesure où il représente une version améliorée de cette dernière et en raison de la qualité de sa construction et de sa fiabilité.

En plus des échelles cliniques du MMPI, trois échelles dites de validité (L, F, K) ont été conservées, elles permettent de dépister respectivement les sujets répondant de façon peu sincère, au hasard, ou de façon trop défensive. L'échelle K intervient dans le calcul des notes T de certaines échelles cliniques.

Ces échelles de validité n'ont toutefois pas été utilisées pour valider les réponses des sujets366, nous leur avons préféré une reprise clinique de quelques items critiques (quant à la psychopathologie à laquelle ils renvoient) permettant d'obtenir une information individualisée quant au vécu du symptôme auquel renvoie le contenu de l'item en question. Une telle méthode permet également de se rendre compte dans une certaine mesure de la fiabilité des réponses du sujet. Les associations des patients quant à leurs réponses positives ou négatives rendent compte du travail introspectif réalisé lors de la lecture de l'item. Un seul sujet ne s'est pas avéré capable de répondre aux sollicitations de la reprise clinique. En fait, ce sujet, dont la psychopathologie était particulièrement grave, avait répondu au questionnaire au hasard, de façon mécanique (suite de réponses vraies et fausses sans alternance). De ce fait, ses réponses aux questionnaires de personnalité et de dépression n'ont pas été conservées.

Un programme informatique permet de calculer les scores aux différentes échelles sur la base des réponses du sujet, celui-ci répondant directement sur le clavier d'un ordinateur portable en utilisant les touches "V" (vrai) et "F" (faux), les items du test apparaissant à l'écran.

Les quatre échelles cliniques du MMPI et l'échelle borderline de Morey sont combinées en une seule variable permettant d'obtenir un indice de psychopathologie durable. Cet indice est binaire et devient positif sitôt qu'une des cinq échelles cliniques dépasse la note T de 70 (le seuil pathologique étant situé à deux écarts-types au-dessus de la moyenne).

Contrairement aux items du questionnaire de personnalité qui visent à évaluer des traits constitutifs de dimensions stables, ceux du questionnaire de dépression QD2 évaluent un état affectif temporaire. En raison de la nature différente de l'évaluation obtenue par le QD2, celui-ci n'a pas été inclu dans l'indice de psychopathologie durable.

L'analyse factorielle de ce test a mis en évidence quatre facteurs : perte d'élan vital ; anxiété et manifestations somatiques ; humeur dépressive ; et ralentissement intellectuel. Un taux de sujets déprimés peut être calculé en fonction du dépassement du seuil 6/7 pour les 13 items de la version abrégée du questionnaire (QD2A), selon les indications fournies par l'auteur du test dans l'article déjà cité (les items du QD2A sont répertoriés en annexe 8).

Notes
358.

Minnesota Multiphasic Personality Inventory.

359.

H. J. Eysenck, Traits theories of personality. In : A. M. Colman (ed.), Companion encyclopedia of psychology. Volume 1. London, Routledge, 1994, p. 622.

360.

P. Pichot et al., Un questionnaire d'auto-évaluation de la symptomatologie dépressive, le questionnaire QD2, Revue de Psychologie Appliquée, 1984, 34, 3, pp. 229-250.

361.

A. Gehring und A. Blaser, MMPI Deutsche Kurzform für Handauswertung Handbuch, Bern, Verlag Hans Huber, 1982.

362.

L. C. Morey, R. K. Blashfield, W. W. Webb & J. Jewell, MMPI scales for DSM-III personality disorders : a preliminary validation study, Journal of Clinical Psychology, 1988, Jan., Vol 44, No 1, pp. 48-50.

L. C. Morey, M. H. Waugh & R. K. Blashfield, MMPI Scales for DSM-III Personality Disorders : Their Derivation and Correlates, Journal of Personality Assessment, 1985, 49, 3, pp. 244-251.

363.

Cette note T représente une conversion de la note brute au moyen d'une formule statistique faisant intervenir la moyenne et l'écart-type. Il en résulte qu'une note brute correspondant à la moyenne aura comme valeur 50, et qu'une note brute d'un écart-type au dessus de la moyenne aura 60 comme valeur, un écart-type valant 10.

364.

H. J. Eysenck and M. W. Eysenck, Personality and individual differences, New York, Plenum Press, 1985.

365.

P. Pichot et al., op. cit.

366.

A titre indicatif 13,2% des sujets ont au moins une des trois échelles de validité au dessus de 70. C'est surtout l'échelle F qui détermine ces résultats puisque 8,8% des sujets ont un score supérieur à 70. Cette échelle F concerne des items rarement répondus dans le sens du symptômes car très pathologiques. Cette élévation s'explique par le fait que dans notre échantillon les résultats à l'échelle "schizophrénie" dépassent souvent le seuil pathologique (21,1%), or on sait que l'échelle Sc et l'échelle F sont corrélées.