1.2.2. Déviance scolaire, délinquance juvénile et délinquance adulte

La toxicomanie étant une conduite débutant pour ainsi dire exclusivement à l'adolescence, il nous a semblé judicieux d'analyser le vécu de la période de fin de scolarité obligatoire (avant 16 ans) afin de mieux comprendre la genèse des conduites addictives, ainsi que la nature des liens qui s'établissent avec certains groupes déviants et qui peuvent annoncer une éventuelle évolution vers des difficultés d'intégration sociale.

Cette période est concomitante des premières prises de cannabis pour 82% de l'échantillon, et des premières prises d'opiacés pour 24%, le reste des sujets ayant fait ces expériences après 16 ans.

L'indice de déviance scolaire, qui repose sur l'intérêt pour l'école, les problèmes de discipline et l'école buissonnière, montre qu'il s'agit d'un phénomène fréquent chez les toxicomanes puisque seuls 23% de l'échantillon n'ont pas connu ce genre de problèmes comportementaux. Toutefois, cette caractéristique n'a pas révélé de lien significatif avec la prise de drogues à l'âge adulte.

La délinquance juvénile est évaluée par le biais d'une variable concernant le fait d'avoir eu ou non affaire au tribunal de la jeunesse. Cet antécédent se retrouve dans le quart de l'échantillon et n'a également pas montré de lien avec la consommation de toxiques à l'âge adulte.

L'usage précoce de psychotropes est évalué au moyen d'un indice binaire qui devient positif lorsque soit le début de la consommation de cannabis soit une des trois étapes de la consommation d'héroïne (première prise ; prises quotidiennes ; première injection) apparaissent avant l'âge moyen de l'échantillon. Le début précoce de l'entrée dans le monde de la drogue tel que défini par cet indice concerne 57% de l'échantillon. La toxicomanie de ce groupe de patients durant les six derniers mois de cure se caractérise par une intensité supérieure à celle du reste de l'échantillon (3,5 VS403 2,7, p = .05, N = 81).

De nombreuses études ont mis en évidence un syndrome de déviance générale404 qui regroupe à l'adolescence une constellation de troubles du comportement caractérisés par la transgression de normes communément admises. C'est pourquoi nous avons élaboré un indice de déviance générale précoce (cf. méthode) qui regroupe la déviance scolaire, l'interruption prématurée de l'école, la délinquance juvénile et l'usage précoce de drogue. Lorsque l'on compare les sujets dépourvus de déviance précoce (14% de l'échantillon, N = 74) avec les autres, on obtient des différences notables à l'indice de consommation de drogues au cours des six derniers mois (1,8 VS 3,3, p = .009). Les sujets n'ayant pas vécu de déviance précoce consomment moins à l'âge adulte. On peut donc en déduire que l'absence de déviance précoce est un facteur protecteur quant à l'évolution de la toxicomanie 405, ce qui confirme partiellement nos hypothèses.

En ce qui concerne la délinquance adulte, un nombre important de sujets (47%, N = 81) a été condamné par un tribunal pour adulte et 40% (N = 82) ont subi au moins une incarcération. Les raisons des condamnations sont les suivantes :

  • trafic de stupéfiants (18,4%) ;

  • consommation de stupéfiants (13,5%) ;

  • vol (14,8%) ;

  • refus des obligations militaires (7,4%) ;

  • cambriolage (7,4%).

Parmi ceux qui possèdent le permis de conduire (73% de l'échantillon total, N = 74), plus de la moitié se le sont fait retirer au moins une fois (57%, N = 54).

Contrairement à nos attentes, aucune de ces variables n'est liée à l'intensité de la consommation de psychotropes dans notre échantillon et il en va de même lorsque nous les regroupons en un indice unique de délinquance adulte. Ceci est d'autant plus surprenant qu'une variable beaucoup plus éloignée dans le temps telle que l'indice de déviance générale précoce (qui concerne l'adolescence), s'est avérée avoir une influence (bien que restreinte à une faible minorité) sur la toxicomanie à l'âge adulte. Tout se passe comme si les actes délictueux perpétrés à l'âge adulte avant la cure de méthadone étaient sans liens avec le niveau d'engagement dans la toxicomanie406.

Notes
403.

VS : versus.

404.

D. W. Osgood, L. D. Johnston, P. M. O'Malley & J. G. Bachman, The generality of deviance in late adolescence and early adulthood, American Sociological Review, 1988, 53, pp. 81-93.

L. McGee & M. D. Newcomb, General deviance syndrome : expanded hierarchical evaluations at four ages from early adolescence to adulthood, Journal of Consulting and Clinical Psychology, 1992, 60, 5, pp. 766-776.

H. R. White, Early problem behavior and later drug problems, Journal of Research in Crime and Delinquency, 1992, 29, 4, pp. 412-429.

405.

Il s'avère que l'intensité (moyenne ou forte) de cette déviance n'influence pas la consommation de psychotropes ultérieure.

406.

Il n'est toutefois pas à exclure qu'une évaluation des arrestations et incarcérations sur les douze ou six derniers mois, puisse être liée à la gravité de la toxicomanie.