1.2.3. Aspects socio-relationnels

L'état civil se réparti de la façon suivante dans l'échantillon total (N = 83)407 : 66% de célibataires ; 19% de mariés et 14% de divorcés ou séparés.

Cette variable diffère significativement (p = .05) en fonction de l'intensité de la consommation :

Il s'avère donc que les mariés consomment moins tant par rapport aux célibataires qu'aux séparés et divorcés. Notre hypothèse qui consistait à expliquer ce phénomène par un refus idéologique de l'institution du mariage ne peut toutefois être retenue, car ceux qui l'ont acceptée à un moment donné (les séparés et les divorcés) ne se différencient pas des célibataires quant à leur consommation de toxiques. Nous reviendrons plus loin sur l'explication de ce phénomène, car il est lié à d'autres variables que nous allons décrire maintenant.

La variable partenaire privilégiée se répartit comme suit dans l'échantillon :

Une majorité de patients a donc trouvé sa partenaire en dehors de la communauté des usagers de drogues ; ce constat montre que la population du centre thérapeutique, dont est issu notre échantillon, présente une immersion toute relative dans la sous-culture drogue. Nous sommes donc loin d'une population de toxicomane de rue, ce qui est cohérent avec l'orientation de l'institution dite à seuil moyen à élevé.

Le fait d'avoir ou non une partenaire privilégiée n'a pas montré en soi d'incidence sur la consommation de toxiques. Les pourcentages de sujets avec partenaire ne varient pas significativement entre les trois groupes409 :

De plus, en ce qui concerne la durée de la relation, on aurait pu s'attendre à une instabilité plus grande chez les GC, ce qui n'est pas le cas ; les durées moyennes en fonction des groupes de consommateurs sont globalement équivalentes. Chez ceux qui ont une partenaire (67% de l'échantillon) la durée moyenne est d'environ 5 ans (+/- 17 mois suivant les groupes, différences NS). Il en découle que la toxicomanie ne diminue pas les chances de fonder une relation de couple durable, et n'affecte donc pas l'intégration relationnelle à ce niveau.

On relève par contre un effet de la partenaire sur la consommation, lorsque celle-ci n'est pas toxicomane. En effet, si au score global de toxicomanie410 les sujets sans partenaire consomment tout autant que ceux ayant une partenaire toxicomane411 (3,5/8), ceux étant avec une partenaire non toxicomane consomment moins (2,6/8, p = .03). Seule la présence d'une partenaire non toxicomane peut donc représenter une instance de contrôle susceptible de freiner la consommation.

Comme nous allons tenter de l'expliquer, ces résultats valident nos hypothèses. En effet, en tant qu'instance de contrôle social, la partenaire non toxicomane décourage le recours au toxique. On voit donc bien qu'en tant que représentante de la société conventionnelle, c'est le lien renforcé avec celle-ci qu'offre la partenaire qui diminue l'importance de la déviance. Ceci va dans le sens de notre hypothèse fondée sur la théorie du lien social.

Quant à l'influence de la partenaire toxicomane, celle-ci est plus complexe à déterminer. A priori, elle serait inexistante puisque les personnes avec partenaires toxicomanes consomment tout autant que celles sans partenaires. Nous pensons toutefois que les effets de celle-ci sont mixtes et qu'ils s'annulent entre eux. Nous concevons en effet à côté du contrôle social, une autre source de régulation de la prise de drogues : le soutien affectif. Or, cet aspect est présent dans la relation avec une partenaire toxicomane et il devrait diminuer le besoin de drogues. Cet effet nous semble toutefois annulé par l'influence de l'imitation mis en évidence par la théorie de l'apprentissage social, laquelle se manifeste notamment par le risque d'entraînement réciproque dans la recherche du plaisir immédiat qui caractérise souvent la vie du couple de toxicomanes.

Un dernier élément de la vie relationnelle est le mode d'habitation. Sa distribution est la suivante (N = 82) :

Les analyses qui suivent sont réalisées en regroupant toutes les catégories de cohabitation (67%) en les comparant à ceux qui vivent seuls (33%)412.

La comparaison des deux catégories ainsi créées en ce qui concerne les prises de drogues montre que les sujets vivant seuls tendent à consommer plus que ceux qui cohabitent 413 (indice de toxicomanie : 3,7/8 VS 2,8/8, p = .04). Ceci s'explique par le rôle de contrôle social et de soutien affectif exercé par l'entourage déjà évoqué précédemment. Ces résultats pourraient également donner lieu à une autre interprétation : les grands consommateurs auraient tendance à vivre seuls, donc à rechercher ou subir une forme d'isolement social. Cet isolement serait toutefois tout relatif, car nous venons de voir que la présence d'une partenaire n'est pas moins fréquente chez eux.

Revenons maintenant à notre premier constat, le fait que les mariés consomment moins. Au prime abord, on pourrait penser que cette différence reflète le fait d'avoir ou non une partenaire. Pourtant ce n'est pas le cas, car nous avons vu que la comparaison des sujets avec et sans partenaires ne révélait pas de différence de consommation significative. De plus, les sujets mariés ne se trouvent pas plus souvent que les autres avec une partenaire non toxicomane, facteur de protection en matière de toxicomanie.

Il reste donc le mode d'habitation comme éventuelle piste explicative. Nous avons vu que le fait de cohabiter constitue un facteur de protection contre la toxicomanie, or c'est sur ce point que les mariés se différencient des autres puisque tous les mariés cohabitent alors que ce n'est le cas que des deux tiers des non mariés.

De plus, lorsqu'on ne considère que ceux qui cohabitent, on ne trouve plus de différences de consommation entre les mariés et les non mariés. L'effet de l'état civil sur la toxicomanie est donc essentiellement lié au mode d'habitation.

Notes
407.

Lorsque le nombre N (taille de l'échantillon) n'est pas mentionné, c'est qu'il correspond à l'échantillon global des 83 sujets.

408.

Malgré le pourcentage de mariés nettement plus élevé chez les FC, celui-ci reste inférieur au pourcentage de mariés dans la population générale qui est de 46,7% pour les hommes et de 52,9% pour les femmes (données concernant les 20-39 ans du canton de Genève en 1992).

409.

Etant donné que les gros consommateurs présentaient légèrement moins de sujets avec partenaires, nous les avons comparés avec le groupe combiné des consommateurs faibles et moyens. Les différences se sont toutefois révélées à nouveau non significatives.

410.

Afin d'alléger le texte, lorsqu'il n'est pas fait mention de la durée sur laquelle porte le score de consommation globale de psychotropes, il est sous-entendu qu'il s'agit des six derniers mois. Le score de consommation globale sur l'ensemble de la cure étant utilisé plus rarement.

411.

Qu'elle soit en traitement ou non.

412.

Ce pourcentage de patients vivant seuls est supérieur à celui de la population générale. En effet, à Genève, en 1990, dans la tranche d'âge 20-39 ans, on dénombre 21,2% d'hommes habitant seuls et 18,0% de femmes seules (cf. Office cantonal de la statistique, Aspects statistiques No 104, Ménages et familles à Genève, Vol. 7, mars 1996).

Ce pourcentage varie en fonction du degré de toxicomanie, ainsi chez nos trois groupes de consommateurs (FC, CM, GC) il est respectivement de 24,2%, 29,0% et 55,6%. Nous voyons que les faibles consommateurs (FC) ne vivent pour ainsi dire pas plus souvent seuls que les non toxicomanes de la population générale.

413.

Les différents modes d'habitation concerne la cohabitation avec les parents, avec la partenaire, avec la partenaire et les enfants. Ces différents modes d'habitation sont équivalents quant à leur influence sur l'abus de psychotropes.