1.3.2. Antécédents psychiatriques et troubles dépressifs récents

En ce qui concerne les antécédents psychiatriques infantiles (avant douze ans), 57% des sujets mentionnent avoir connu des difficultés psychologiques étant enfant. Les principaux symptômes sont l'onychophagie (20% de l'échantillon global, N = 82), les cauchemars (10%) et l'énurésie (9%).

Les consultations pédopsychiatriques pour cette même tranche de vie s'avèrent par contre beaucoup plus faibles puisqu'elles ne concernent que 13% de l'échantillon.

De manière générale les antécédents psychiatriques infantiles n'ont pas montré de liens avec les prises de drogues à l'âge adulte.

Concernant la période de l'adolescence (entre 12 et 20 ans), 51% des sujets pensent avoir vécu des difficultés psychologiques durant cette période. Les principaux symptômes sont l'onychophagie428 (27% de l'échantillon global, N = 82), les difficultés relationnelles avec les parents (10%), les fugues (9%), les tentatives de suicides (7%), les cauchemars (7%) et la dépression (4%).

Quant aux consultations psychiatriques non liées à la toxicomanie durant cette période, elles concernent 15% de l'échantillon.

L'évaluation durant l'entretien du syndrome DSM-III-R de personnalité antisociale 429 a nécessité une réévaluation des troubles des conduites survenus avant l'âge de 15 ans. Nous traiterons ici uniquement de cette première partie du diagnostic et non du diagnostic global de personnalité antisociale qui sera abordé plus loin. L'évaluation des troubles des conduites selon les critères du DSM-III-R montre qu'un tiers de l'échantillon est concerné par cet antécédent et qu'il ne présente pas de lien avec l'usage de drogues récent. Relevons néanmoins un élément significatif caractéristique des sujets avec antécédents de troubles des conduites : l'âge au début de la consommation de tabac est nettement inférieur (14 VS 15,6 ans, p = .002, N = 64).

De même que pour les antécédents psychiatriques infantiles, ceux concernant l'adolescence ne présentent de manière générale pas de liens avec la consommation de psychotropes à l'âge adulte.

Sauf mention explicite, les données suivantes concernent toute la durée de vie du sujet (lifetime).

On trouve des antécédents de tentative de suicide chez 19% des sujets (16 sujets, N = 83) et environ un tiers d'entre eux ont commis leur première tentative de suicide durant l'adolescence (avant 20 ans). Le nombre de tentatives de suicide varie entre 0 et 4 et plus de la moitié des suicidants (9 sujets) sont des récidivistes. Bien que l'on constate une élévation de la proportion de suicidants en fonction des trois groupes de consommateurs, celle-ci n'est toutefois pas suffisante pour dépasser le seuil de signification (15% des FC, 18% des CM et 28% des GC, p = .5, NS).

Les overdoses concernent 46% de l'échantillon (38 sujets, N = 82) qui se répartissent en 39% (32 sujets) d'overdoses sans hospitalisation et 16% (13 sujets) avec hospitalisation. Le nombre d'overdoses sans hospitalisation varie entre 0 et 20 et le nombre d'overdoses avec hospitalisation entre 0 et 4.

Les tentatives de suicide et les overdoses peuvent être considérées comme des comportements autodestructeurs. En raison de la parenté des motivations supposées sous-jacentes à ces deux types de conduites, celles-ci ont été utilisées pour l'élaboration d'un indice de tendance autodestructrice (cf. chapitre méthode). Un tel indice montre que 52% des sujets sont concernés par le vécu d'au moins une conduite autodestructrice au cours de la vie. Ces sujets ne se caractérisent toutefois pas par une consommation plus élevée de psychotropes au cours des six derniers mois, même si les plus autodestructeurs d'entre eux (26% de l'échantillon) ont tendance à consommer plus lorsqu'on envisage toute la durée de la cure (p = .04).

Les épisodes psychiatriques pendant la cure concernent 37% de l'échantillon (27 sujets, N = 73). Il s'agit principalement d'épisodes dépressifs (29%)430. Le lien entre le vécu d'un épisode psychiatrique durant le traitement et la consommation de toxiques est faible dans la mesure où bien que les sujets ayant eu un épisode psychiatrique durant la cure présentent une consommation plus importante au cours des six derniers mois, celle-ci n'atteint pas le seuil de signification. On ne peut qu'observer une tendance à consommer légèrement plus sur l'ensemble de la cure (indice de toxicomanie générale : 4,2 VS 3,4, p = .06, NS).

Quant aux consultations psychiatriques après 20 ans pour des motifs autres que la toxicomanie, elles s'avèrent plutôt rares et ne concernent que 6% de l'échantillon. De plus, cette variable ne présente pas de lien avec l'abus de drogues.

L'utilisation d'un indice d'antécédents psychiatriques qui regroupe quatre variables431 s'est également avéré sans lien significatif avec la toxicomanie récente.

Les troubles dépressifs récents (durant les six derniers mois) sont évalués par le biais d'une échelle clinique à trois degrés432, les fréquences sont les suivantes (N = 77) :

  1. aucun moment dépressif : 34% ;

  2. moments dépressifs inférieurs à deux semaines : 47% ;

  3. moments dépressifs supérieurs à deux semaines : 19%.

En ce qui concerne la consommation globale de psychotropes au cours des six derniers mois, on obtient des différences significatives lorsqu'on regroupe les degrés de dépression 2 et 3 et qu'on les compare au degré 1. Ainsi, ceux n'ayant pas vécu de moments dépressifs consomment moins que ceux ayant vécu de tels troubles (indice de toxicomanie récente : 2,7 VS 3,8, p = .03). Il en résulte que la présence de troubles dépressifs même légers s'accompagne d'une consommation plus forte de psychotropes 433.

La prescription de médicaments psychotropes au cours des 12 derniers mois a également été choisie comme indicateur de psychopathologie. Un tel traitement concerne 35% de l'échantillon (27 sujets, N = 78). Vingt-trois pour-cent ont reçu des antidépresseurs, 15% des benzodiazépines et 4% des neuroleptiques.

Cette variable s'avère liée à la prise de drogues puisque les sujets sous traitement pharmacologique ont une consommation de toxiques plus élevée au cours des six derniers mois (indice de toxicomanie récente : 3,7 VS 2,8, p = .03). Notons que cet indicateur de psychopathologie est fiable puisque parmi les sujets au bénéfice d'un traitement psychopharmacologique, 92% ont connu des moments dépressifs (supérieurs ou non à deux semaines) au cours des six derniers mois, contre 54% des sujets dépourvus de médications psychotropes (p = .0001)434.

On peut dès lors supposer que l'usage de toxiques seconde, en quelque sorte le traitement médical et qu'il prend une valeur autothérapeutique des troubles dépressifs.

Notes
428.

On ne saurait tirer de conséquences de l'importance de ce symptôme dans notre échantillon, car la prévalence de l'onychophagie dans la population générale est très élevée. Certaines études l'ont évaluée à 45% chez des adolescents. cf. A. K. Leung & W. L. Robson, Nailbitting, Clinical pediatrics, 1990, 29 (12), pp. 690-692.

429.

L'évaluation de la personnalité antisociale n'a pu être réalisé qu'avec 66 sujets.

430.

Les autres catégories étant les décompensations psychotiques (4%), les tentatives de suicide (3%), les overdoses (3%) et les auto-mutilations (1,4%).

431.

A savoir : les consultations psychiatriques dès 12 ans ; les problèmes psychologiques à l'adolescence ; l'indice de conduites autodestructrices et les épisodes psychiatriques durant la cure.

432.

Evaluation abrégée : humeur dépressive ou perte d'intérêt / de plaisir aux activités sur une durée de plus de deux semaines, avec ou sans idées suicidaires (cf. méthode).

433.

Par ailleurs, l'intensité de la dépression (degré 2 ou 3) n'influence pas la consommation de manière significative.

434.

L'augmentation de la fréquence des traitements psychotropes est de plus liée à l'intensité de la dépression.