1.3.3. Psychopathologie actuelle évaluée par autoquestionnaires

Le questionnaire de personnalité orienté vers l'évaluation de traits psychopathologiques est constitué de trois échelles de validité, de quatre échelles cliniques du MMPI (version abrégée en 220 items) et d'une échelle de trouble de la personnalité borderline de L. C. Morey.

L'ensemble des cinq échelles cliniques étalonnées regroupées en un indice unique a permis d'identifier une psychopathologie durable chez 38% de l'échantillon, il s'agit de 26 sujets (N = 68) ayant obtenu une note T égale ou supérieure à 70 à au moins une des cinq échelles435.

Le seuil pathologique de 70436 est plus souvent dépassé pour les échelles borderline (22%), schizophrénie437 (21%) et psychasthénie (13%), que pour les échelles paranoïa (5%) et psychopathie (4%). Ce dernier résultat s'avère étonnamment bas si l'on en juge aux études américaines qui constatent le plus souvent une forte élévation de l'échelle psychopathie438 du MMPI. Il ne peut pourtant s'agir d'un artefact, car le diagnostic DSM-III-R de personnalité antisociale établi lors de l'entretien révèle que 7,6% de l'échantillon sont concernés par ce diagnostic, ce qui représente un pourcentage assez proche de celui obtenu par autoquestionnaire.

Nous comprenons cette caractéristique de notre population comme la conséquence à la fois du critère d'inclusion concernant une durée de cure d'au moins six mois (les plus instables quittent ou sont renvoyés du centre) et de la sélection opérée dès l'admission par le centre qui se veut d'un seuil d'accès moyen à élevé.

Relevons que les résultats obtenus au questionnaire de personnalité, mis à part l'échelle borderline, concernent avant tout la dimension du "psychoticisme" mise en évidence par H. J. Eysenck et al.439. Le modèle trifactoriel de la personnalité que propose cet auteur ("Psychoticisme", Extraversion, "Neuroticisme") permet en effet d'inclure dans la dimension du "psychoticisme" les quatre échelles cliniques du MMPI utilisées (Psychopathie, Schizophrénie, Psychasthénie, Paranoïa), l'échelle Psychopathie étant par ailleurs également saturée en facteur Extraversion.

Concernant la répartition des résultats à l'indice de psychopathologie durable (basé sur les cinq échelles cliniques du MMPI) parmi les trois groupes de sujets, on obtient la distribution suivante :

Bien que l'on observe une différence notable entre faibles consommateurs et gros consommateurs, elle ne s'avère pas statistiquement significative. Si l'on compare les faibles consommateurs au reste du groupe, on se rapproche par contre du seuil de signification sans toutefois l'atteindre (p = .07, NS).

De manière générale l'examen des résultats montre que la psychopathologie mise en évidence par le questionnaire de personnalité s'avère peu liée à la prise de drogues, quelle que soit la durée de consommation envisagée.

Le questionnaire de dépression (QD2) est d'un type différent puisqu'il a été conçu pour l'évaluation d'un état affectif de nature temporaire. Les résultats à ce test sont donc beaucoup plus fluctuants dans le temps, tout comme l'est l'humeur de manière générale, en comparaison au test précédent qui évalue des dimensions stables de la personnalité.

La moyenne générale au QD2 pour l'échantillon global (N = 78) est de 12,5 items répondus positivement (dans le sens du symptôme) sur un total de 52 items. Cette moyenne s'avère plus proche de la norme (9,57) que de celle d'une population de malades psychiatriques (24,3), somatiques (18,6) ou déprimés légers à graves (28,4 à 37,1)440.

Le test permet d'identifier dans notre échantillon un taux de sujets déprimés de 18% (14 sujets, N = 78)441, taux ne variant par ailleurs pas du tout en fonction de l'intensité de l'abus de toxiques442. Ce pourcentage s'avère notablement plus élevé que celui de la population générale, puisque avec le même instrument et pour une tranche d'âge semblable il est de 7%443. De plus, il faut tenir compte du fait que les psychotropes consommés (y compris ceux prescrits médicalement) abaissent l'intensité des symptômes dépressifs444.

L'absence de liens significatifs entre l'évaluation de la dépression et l'intensité de la toxicomanie est au premier abord surprenante puisque nous avons déjà relaté plus haut un tel lien lorsque l'évaluation de la dépression porte sur les six derniers mois. Cette différence vient du fait que le questionnaire de dépression évalue l'humeur actuelle (les derniers jours), alors que l'évaluation de la prise de drogues porte sur les six derniers mois445. Les échelles temporelles étant trop différentes, il n'est pas possible de voir apparaître des correspondances entre les deux variables.

Notes
435.

Ce taux de psychopathologie est dans une certaine mesure relatif à l'instrument utilisé, un MMPI complet aurait vraisemblablement donné un taux supérieur. Relevons toutefois que ce taux de 38% est très proche du taux de patients sous traitement psycho-pharmacologique (35%).

436.

Ce seuil correspond à deux écarts-types au dessus de la moyenne, seul 2,5% de la population tout venant ont des résultats qui dépassent ce seuil.

437.

Rappelons que chacune des échelles du MMPI ne permettent pas de poser un diagnostic quant au syndrome clinique en question, mais qu'elles évaluent une disposition particulière à développer la symptomatologie.

438.

M. Douglas Anglin et al., The MMPI profiles of narcotics addicts. I. A review of the literature, The International Journal of the Addictions, 1989, 24(9), pp. 867-880.

439.

H. J. Eysenck & M. W. Eysenck, 1985, op. cit.

L'échelle borderline de Morey n'a pas pu être située sur le modèle trifactoriel d'Eysenck en raison de l'absence de telles données.

440.

Ces données figurent dans l'article de P. Pichot, op. cit.

441.

Ce taux est calculé en fonction du dépassement du seuil 6/7 pour les 13 items de la version abrégée du questionnaire (QD2A), selon les indications fournies par l'auteur du test dans l'article déjà cité (les items du QD2A sont répertoriés en annexe 8).

Relevons que lorsque le critère d'une durée minimum de six mois de cure est aboli et que l'on inclue dans l'échantillon des patients en début de cure, le taux de sujets dépressifs augmente pour passer à 21% (N = 89).

442.

En effet, nous obtenons la distribution suivante :

- Faibles consommateurs : 17,4%

- Consommateurs moyens : 18,9%

- Gros consommateurs : 16,7% (N = 78, NS)

443.

P. Pichot, D. Widlöcher et J. C. Pull, Epidémiologie de l'anxiété dans la population générale française, Psychiatrie et Psychobiologie, 1989, 4, pp. 257-266.

444.

S'il apparaît un décalage entre la moyenne au test (plutôt proche de la norme) et le taux de dépressif (nettement supérieur à la norme) cela est dû à une distribution différente des résultats dans les deux populations. Notre échantillon comporte probablement plus de sujets avec des scores très bas que dans la population tout-venant.

445.

Une évaluation sur une durée plus courte, les 30 derniers jours, a été réalisée pour la consommation d'héroïne. Ces données n'ont toutefois pas montré de liens significatifs avec les troubles dépressifs mis en évidence par le QD2.