2. Considérations sur la prise en charge des usagers de drogues

Nous avons vu que les antécédents de déviance précoce (comportements problématiques à l'école, interruption prématurée du cursus scolaire, délinquance juvénile, usage précoce de toxiques licites et illicites) étaient liés à la gravité de la toxicomanie à l'âge adulte ainsi qu'à l'instabilité professionnelle.

Les dispositifs de prise en charge psychosociale durant la période de l'adolescence sont donc particulièrement importants, dans la mesure où ils ont un rôle central de prévention. Un accès facilité et non stigmatisant à des services psychosociaux implantés dans les institutions scolaires devrait représenter une priorité pour les services de santé.

Nous avons également démontré que la toxicomanie était plus liée aux difficultés d'intégration sociale conventionnelle qu'à la psychopathologie. Il en découle qu'en agissant au niveau du premier élément, les effets sur la réduction des prises de drogues devraient être logiquement plus importants qu'en intervenant sur le second élément. Si les dispositifs de soins actuels dans le domaine de la prise en charge des toxicodépendants reposent sur un modèle de médecine bio-psychosociale mis en oeuvre par des équipes pluridisciplinaires, il n'en demeure pas moins que certaines stratégies d'aide demeurent sous-développées, notamment en ce qui concerne l'aide aux associations d'usagers de drogues ou de produits de substitution. Ces associations représentent en effet une manière alternative d'établir un lien entre le monde de la drogue et la société globale. Selon la théorie du contrôle social, on sait que l'éloignement d'avec la société conventionnelle et l'amenuisement des liens avec celle-ci tend à accroître les comportements déviants, or de telles associations représentent une opportunité précieuse de rapprochement entre les usagers de drogues illicites et les instances sociales et politiques. La position d'interlocuteur à part entière qui peut leur être ainsi donnée et le rôle actif qu'ils peuvent prendre dans un tel contexte contribuent à faire sortir le toxicodépendant de son statut trop souvent limité à celui de malade ou de délinquant.

A côté des associations d'usagers, il existe d'autres types de groupes d'entraide, tels que ceux inspirés des alcooliques anonymes, à savoir les narcotiques anonymes. Leurs objectifs diffèrent toutefois de ceux des associations d'usagers, puisqu'il s'agit de s'entraider pour rester abstinents et non pas de défendre une identité d'usagers de drogues et de revendiquer le droit au plaisir chimique.

Nous n'aborderons pas ici les diverses méthodes de traitement des troubles addictifs. L'éventail actuel des offres thérapeutiques, qu'elles émanent des secteurs médicaux ou socio-éducatifs, est particulièrement étendu. En Suisse, cet éventail va des centres résidentiels axés sur l'apprentissage de l'abstinence aux centres ambulatoires de prescription d'héroïne injectable, en passant par les programmes méthadone (sevrage rapide ou cure de maintenance). Cette diversité des approches est essentielle pour que chaque individu puisse trouver la méthode qui répondra le mieux à ses besoins.

Nous conclurons avec quelques mots sur une attitude nouvelle qui s'est développée dans les milieux médicaux surtout depuis l'apparition du Sida et qui s'inscrit tout à fait dans les réflexions développées dans notre travail. Il s'agit des stratégies thérapeutiques de réduction des risques qui ont pris de plus en plus d'importance dans la prise en charge des personnes toxicodépendantes et qui suscite pourtant encore aujourd'hui de nombreux débats et controverses notamment quant à la facilitation de l'accès aux seringues stériles.

Cette démarche de santé publique fait appel à une vision anthropologique non jugeante des prises de drogues. Celles-ci sont considérées non plus comme une maladie, mais comme un style de vie et les objectifs axés sur la maîtrise des prises de toxiques deviennent secondaires vis-à-vis d'objectifs pragmatiques et réalisables dans le court terme. Par ailleurs les usagers de drogues sont responsabilisés et considérés comme des partenaires dans la mise en place de stratégie de soins et de prévention. Une telle approche repose enfin sur le respect des Droits de l'Homme qui considèrent le droits aux soins et le devoir de soigner comme imprescriptibles (cf. annexe 11).