Cas 2 : Anne

I : Pouvez-vous me dire dans quel contexte vous consommer l'héroïne ?

P : (partie manquante) et puis bon, au bout d'un moment on arrive à un stade où le fait qu'on ait pris de l'héroïne... actuellement moi je suis à un stade, je suis sous-dosée, alors bon, je tiens, j'arrive à tenir, je suis...

I : Vous êtes sous dosée par rapport à la méthadone ?

P : Ouais, tout à fait, j'en prends beaucoup en plus.

I : Vous en prenez combien ?

P : 70mg

I : Ça vous l'avez signalé ?

P : Ouais, même l'infirmière l'a déjà vu.

I : Et puis ? On vous augmente pas ?

P : Ben il paraît... Bon, le docteur essaye de faire par rapport à mon poids aussi.

I : Mmh

P : Et puis bon, il y a aussi le fait que je vis avec quelqu'un qui est encore plus sous-dosé que moi, mais lui c'est parce qu'il le voulait bien, si vous voulez, il a arrêté une cure, volontairement, il a pas tenu, il a pris de l'héroïne, bon moi je n'arrive pas à ne pas en prendre si on en achète devant mon nez, par rapport à ça je suis extrêmement faible et je le sais, désolé (rires). Mon copain a recommencé sa cure, mais il a commencé sa cure après une consommation d'héroïne de plusieurs mois, il est à, je crois, 30mg et puis, il est malade, et puis, il en prend aussi.

I : Mmh

P : Bon moi je lui en ai parlé tout ces temps, lui il en a pas repris, j'en ai pas repris pour le moment, j'espère que ça aller.

I : Mmh

P : Bon, il faut dire, moi je suis confrontée tout les jours à l'héroïne où je vis...

I : Mmh

P : tous les jours, tous les jours, tous les jours.

I : Où vous vivez c'est à dire...

P : Je vis dans un hôtel

I : Ahh

P : J'ai qu'à monter deux étages, j'ai un dealer, j'ai qu'à monter un étage, j'ai un dealer et je descends en bas, il y a des... je suis confrontée tous les jours, à l'héroïne, aux héroïnomanes, tous les jours, à part à mon boulot. Mon copain, lui il bosse pas, alors il est encore plus confronté à ça que moi.

I : Mais pour vous l'héroïne ça reste un désir important, enfin, c'est un besoin ? En fait, quel rôle ça joue...

P : Je peux pas vous dire, je sais pas comment vous dire ça, je peux rester des périodes sans en prendre, même des longues périodes et puis à partir du moment où ça va mal, je vais avoir recours à ça, je sais pas pourquoi. Et à partir du moment où j'ai commencé à avoir recours à ça, c'est un cercle vicieux et j'ai de la peine à m'en défaire c'est...

I : Vous l'utilisez pour soulager des sentiments de malaise psychologique ?

P : Ouais, le malaise, quand je suis angoissée, nerveuse, stressée.

I : En fait c'est des sentiments d'angoisse qui sont importants ou... que vous supportez pas ?

P : Euh... que je supporte pas, non disons... Oui et non disons, parce que si vous voulez c'est un peu un cercle vicieux, parce que moi, le fait de prendre de l'héroïne d'un côté ça m'angoisse, aussi parce que je me culpabilise par rapport à ça...

I : Mmh

P : Totalement... Alors c'est un cercle vicieux.

I : Donc au départ il y a une angoisse que vous essayez de calmer avec l'héroïne, mais après, la conséquence de la prise d'héroïne vous redonne des angoisses...

P : Tout à fait !

I : Vous retournez à la case départ ?

P : Tout à fait ! Ça dépend des quantités qu'on prend, le moment où une personne elle est dans l'état où elle pique du nez, où elle est comme on dit un peu dans l'inconscient, là on angoisse pas du tout, mais bon c'est pas...

I : En général quand vous en prenez, vous en prenez beaucoup au point de piquer du nez, vous en prenez une bonne dose ?

P : Non, au prix où c'est, non ! Mais je crois que inconsciemment c'est ce qui est recherché ouais !

I : Finalement c'est un peu comme si vous vous endormiez... enfin je sais pas, l'impression...

P : Non c'est différent quand même...

I : Bon est-ce que c'est pas une forme de.. parce que bon dans le rêve, le sommeil, on est dans une sorte de... cocon... on coupe les...

P : Ouais, on coupe avec la réalité, c'est un peu ça qui est recherché je pense, c'est un mal être général, de toute façon, que ce soit de fumer du haschisch, de boire de l'alcool, prendre des somnifères et tout, ça, c'est un mal être, tout à fait, je le nie pas, autrement je ne pense pas que j'aurais recours à une drogue s'il n'y avait pas un mal être...

I : Mmh, mais ce mal être, vous n'arrivez pas à le cerner, enfin...

P : Non je... à cerner pourquoi je l'ai... Non c'est plutôt...

I : D'où il vient...

P : D'où il vient, je sais pas, je pense.. je sais pas, déjà je sais pas où s'arrête, où est chez moi la limite entre ma nervosité et puis, l'angoisse, parce que j'ai toujours les deux je pense... et puis bon, je sais pas...

I : Parce que c'est quelque chose de physique, ou bien c'est lié à des personnes cette angoisse ?

P : Non c'est... ça peut être physique quand je suis seule, ça peut être lié à des situations...

I : Quand vous êtes seule, là vous avez... une angoisse...

P : Ça dépend, si je fais rien, que je réfléchis, oui ça peut m'arriver oui.

I : Quelles sont les pensées qui vous viennent à ces moments là ?

P : ... (long silence) ... Ben je... déjà le fait de prendre des drogues, non pas du shit, par rapport à ça je me culpabilise pas du tout, je me culpabilise d'avoir éventuellement... d'un côté non, parce que c'est contradictoire, d'un côté je me reproche de ne pas m'être mis des bâtons dans les roues (sic), enfin, inconsciemment, au niveau du travail, de l'appartement, enfin au niveau de tout ce que les gens de mon âge ont déjà, donc matériel ou de leur manière de vivre. D'un autre côté... j'ai aussi pris de la drogue parce que je rejetais cette manière de vivre, mais c'est pas ça qui m'a aidé à être bien, tout en étant pas...

I : Vous rejetiez cette manière de vivre, c'est-à-dire...

P : Métro, boulot, dodo, oui c'était un peu ça, au début, quand j'ai commencé à prendre de la drogue, le shit c'était pareil, j'ai commencé jeune, j'avais 16 ans, enfin, jeune, mon copain a commencé à 14 ans.

I : Mais est ce que c'était une partie de vous-même que vous n'acceptiez pas ou bien ?

P : Non je pense pas, je la rejette toujours, il y a des choses que je trouve, je vis avec, je fais avec, il y a tout qui est installé, c'est comme ça, mais je trouve que c'est n'importe quoi ce qu'on a fait, on a foutu en l'air plein de choses, on a fait des tas de conneries, on est une catastrophe ambulante. Autant on a fait des choses très bien, autant on a fait des horreurs, mais bon ça c'est depuis toujours...

I : Ouais, quand vous dites, métro, boulot, dodo, c'est l'aspect sérieux de l'existence une routine ou bien quelque chose de réglé, mais quand vous vous décrivez comme scolaire vous avez aussi tout un côté très réglé, sérieux.

P : Ouais, disons scolaire, oui, mais c'est réglé d'une certaine manière, mais tant qu'on apprend, on a toujours un plus, on reste pas en place, tandis qu'au travail, enfin, bon, personnellement, une fois qu'on sait faire tout ce qu'on doit faire, même si c'est pas tous les jours qu'on fait la même chose, c'est toujours la même chose, enfin le mien de travail en tout cas.

I : Mmh. Mais justement, l'aspect que vous...

P : Mais j'arrive à le... j'arrive tout à fait à me lever le matin, à faire mon travail pendant des années... Puis bon, moi quand je suis au travail, je pense pas trop (rires) mais ça sera après où je me sentirai mal, où je m'énerve si je fais une vie de tarée, mais ça sera pas au moment où je le ferai, je pense pas. Donc j'arriverai à assumer ce cercle, mais bon, au fond de moi, c'est pas du tout ce que j'aimerais.

I : Donc en fait, ces sentiments d'angoisse que vous ressentez et qui vous poussent à prendre de la drogue, vous pensez que c'est lié à une mauvaise estime de vous-même, c'est à dire que dans ces moments c'est des moments de dépression ou bien ?

P : Oui et non.

I : D'angoisse...

P : Oui et non, disons que moi, la première fois que j'ai pris, c'était par curiosité. En plus, maintenant les jeunes ils sont avertis, moi j'étais pas vraiment avertie, on m'avait dit : les drogues c'est pas bon, mais c'est tout. J'avais eu un cours à l'école, mais ça avait pas été bien loin, donc c'était plus par curiosité... et puis... et puis c'est plus tard, après avoir pris pendant une période, la première fois que j'ai croché, c'est parce qu'on en avait donné à mon copain une assez grosse quantité et puis donc c'est après avoir croché une première fois, décroché une première fois, c'est à partir de cette période que je retournais au produit, que je me sens mal. Au début je sais plus, je pense que c'était par rapport à des conflits, après j'ai fait une première cure, en XX, après, j'ai fait trois ans d'études et j'ai rien touché pendant une année et demi, ni méthadone ni héro et j'ai recommencé à en prendre en période d'examen, donc à un moment où je me sentais mal. Et puis à partir du moment où... moi j'arrive pas à en prendre un jour et puis dire stop...

I : En période d'examen vous aviez une crainte de l'échec ?

P : Ouais, de pas faire assez bien, pas de l'échec, non. Je savais que je passerai, sur toute les notes cumulées, mais ça a toujours été.

I : Donc vous en avez repris à ce moment là, par crainte de pas faire assez bien ?

P : Ouais, un peu.

I : Pour calmer cette angoisse ?

P : Ouais, je pense.

I : Donc vous aviez un grand désir de réussir brillamment ?

P : Non, c'était pas... c'était plutôt parce que moi je me sentais mal, que j'avais envie de me sentir mieux, j'ai toujours eu un peu.. moi dès que je suis devant une feuille où il y a une note à la clé, je suis soulagée quand j'ai posé le crayon et que j'ai fini. Par exemple, un truc tout simple qui vous ferait voir : si je passais mon permis de conduire, je suis sûr que la théorie je réussirais du premier coup et la pratique, je me planterais, simplement parce qu'il y aura un gulu à côté de moi qui sera en train de me contrôler, comment je conduis.

I : Vous craignez le risque de vous placer dans une situation où vous pouvez faire faux, ou bien être...

P : Non, c'est pas...

I : Une situation de faiblesse ou de...

P : Oui, d'un certain côté oui, puis d'un autre côté c'est peut être aussi le fait qu'on me contrôle, ça me stresse, et puis à ce moment là, je sais que je fais des erreurs.

I : En fait l'héroïne c'est un peu comme si ça vous permettait de surpasser ces sentiments de faiblesse, de manque...

P : De crainte...

I : Ça vous permet un peu de rejoindre ce besoin d'être presque parfaite, de bien faire les choses...

P : Parfaite, non, personne n'est parfait, mais de faire le moins d'erreurs possible, de faire le mieux possible.

I : Mais par exemple, quand vous prenez de l'héroïne, dans les examens, ça avait quel effet ?

P : Rien, ça ne me change pas mon comportement, ça ne m'empêche pas d'apprendre.

I : C'est juste au moment où vous la prenez que...

P : Ben ça dépend combien j'en prends.

I : ouais..

P : Je peux tout à fait en prendre, si j'en prends pas trop, et aller étudier derrière, oui, je pense ça a usé un peu mes capacités à la longue, mais sur le moment c'est pas ça qui me fera moins apprendre. Je sais que j'ai moins bonne mémoire à long terme, mais ça je crois que c'est plus le haschisch que l'héroïne. Parce que avant que je commence l'héroïne, je prenais du haschisch, je commençais déjà à avoir ce problème.

I : Mmh

P : Je parle pour de l'appris par coeur, je parle pas pour des événements... ou des...

I : Donc vous avez l'impression que systématiquement quand vous prenez de l'héroïne c'est pour lutter contre cette nervosité, enfin la plus part du temps ?

P : Ben, quand j'en prends, le moment ou j'en prends, c'est que je me sens mal dans ma peau, autrement je n'irai pas en prendre, je chercherais pas à être dans un état autre que celui où je suis, ça c'est un fait.

I : Ah oui, c'est systématique.

P : Je sais pas, j'irais pas prendre de l'héroïne si je me sens bien

I : Parce qu'il y en a qui disent : "J'en prends pour le plaisir".

P : Ah non ! non. Je peux en prendre par envie d'en voir, oui.

I : Mmh

P : Mais pas pour le plaisir, comme ça. Mais bon, si j'en vois... non, si je me sens vraiment bien, j'arrive à en voir sans en prendre.

I : Si vous vous sentez vraiment bien, vous pouvez dire non.

P : Oui.

I : Alors, quand vous vous sentez mal dans votre peau, c'est un peu une angoisse diffuse, une nervosité, de temps en temps, vous ne pouvez pas vraiment définir ?

P : Non, l'estomac un peu serré...

I : Vous ne le mettez pas en rapport avec des éléments de vie ou d'autre ?

P : Non j'arrive pas à l'associer à des événements de ma jeunesse...

I : Parce que c'est un peu comme s'il y a quelqu'un en vous, un juge un peu sévère, qui dit, tu dois être comme ça...

P : Non, je me juge, ben bon déjà... Oui, ça m'arrive...

I : Parce que vous vous jugez négativement ? Dans ces moments d'angoisse, vous vous dites, ah, mais...

P : Ouais, mais bon de toute façon, c'est un cercle vicieux, parce qu'après, je me juge négativement parce que j'estime que prendre de l'héroïne c'est pas une chose bien non plus.

I : Mmh. Donc vous êtes à la fois...

P : Ah ça devient assez impossible.

I : Vous êtes juge et bourreau en fait ?

P : Ouais voilà, si vous voulez !

I : Mais en tout cas je prends pas de l'héroïne pour chercher à me détruire. Dans ma tête en tout cas, c'est pas pour ça. Y a des gens, ils recherchent ça inconsciemment...

P : Mais vous c'est plutôt pour échapper à un malaise intérieur.