Cas 3 : Nicole

I : est ce que vous pouvez vous souvenir de la dernière fois que vous avez pris de l'héroïne ?

P : Me souvenir ?

I : Ouais.

P : Y a pas très longtemps (rires).

I : Donc vous avez pas un grand effort de mémorisation à faire...

P : Non !

I : D'accord, est ce que vous pouvez me décrire les circonstances dans lesquelles vous avez pris l'héroïne ? Le contexte en fait ?

P : Normal... Qu'est-ce que vous voulez ?

I : Euh, avec qui vous étiez, dans quel état d'esprit vous vous trouviez ?

P : Mais toujours, c'est toujours la même personne, c'est toujours le même endroit.

I : Ah ouais, c'est à dire avec votre ami ?

P : Non, non, absolument pas, il n'en prends pas. Non c'est pas... c'est, c'est un ami... L'état d'esprit ? euh, mais c'est tout le temps comme ça, vous savez, un jour ça va, un jour ça va pas, donc... changeant quoi, fatiguant.

I : mmh

P : Beaucoup d'effort pour rien.

I : Mmh... mais si vous essayez de vous souvenir du moment précis, où vous avez pris...

P : Vous entendez quoi, le moment précis ?

I : Ben c'est à dire, je sais pas, ça remonte à combien de temps ?

P : C'était il y a une semaine, il y a pas longtemps...

I : Et donc ça se passait...

P : Non, même pas, le début de cette semaine, j'ai une assez mauvaise mémoire pour ça.

I : Donc euh... est ce que vous pouvez décrire dans quel état vous vous trouviez avant ?

P : Avant, ben j'étais partagée entre l'idée d'en prendre et de pas en prendre, et puis pas craquer.

I : Et puis finalement vous avez craqué...

P : Mmh mmh...

I : Et puis, en fait comment vous expliquez, alors peut-être de façon plus générale, comment vous expliquez le besoin persistant d'héroïne ? Quel rôle ça joue dans votre...

P : Mais persistant, il y a un jour oui, un jour non, où ça me dégoûte, puis un autre jour euh... Je sais pas, je sais pas pourquoi... Parce que je trouve que c'est pas... une fois de temps en temps, ouais, moi c'est plus que de temps en temps, je vois pas le, trop le danger en ce moment, parce que comme il y a la cure, il y a un soutien, c'est un peu, vous voyez, c'est dangereux cette cure quoi. En même temps, j'ai envie de la finir, pour voir de quoi je suis capable toute seule, sans cette cure. Puis je sais pas, parce qu'il y a des fois où vous avez envie de déconnecter, puis voilà, parce que c'est planant, parce que voilà. Souvent c'est quand je suis fatiguée, ça me redonne de l'énergie.

I : Ouais, euh...

P : Puis je me rends pas bien compte, pas du danger, mais du, de la chose quoi, pour moi, j'ai l'impression de fumer une cigarette.

I : Mmh

P : C'est peut être ça, j'arrive pas bien à voir l'importance de la chose.

I : Ouais, mais le besoin de déconnecter, euh, c'est à dire, c'est de plus...

P : Ouais, parce qu'en fait, c'est oppressant tout ce qui se passe... Le boulot que je fais, c'est inintéressant... ouais ça fait du bien, un moment ailleurs quoi...

I : Mmh, vous vous sentez opprimée durant la journée ?

P : J'aime bien, par ce que ça se passe tout seul, je travaille tranquillement j'entends. Mais je dis pas que le lendemain ou deux jours après j'en ai envie, pas du tout.

I : Mais vous en prenez avant d'aller au travail ?

P : Ouais, en général je travaille.

I : Non, mais vous prenez de l'héroïne avant d'aller travailler ?

P : A midi.

I : A midi. Et la dernière fois, c'était à midi ?

P : C'était à midi. Moi ça me, je travaille encore mieux, je travaille tranquillement. Non, mais j'entends, c'est pas... ouais ! Mais par exemple le lendemain ou le surlendemain, j'y pense plus. Vous voyez ce que je veux dire ? Après, pour un moment, je vais plus y penser, puis après ça va de nouveau m'obséder, et tant que j'en aurais pas pris, je vais de nouveau y repenser.

I : Mmh

P : Vous voyez, et puis là je suis bien, ça va un moment.

I : Ah ouais. Donc en fait ça... c'est comme une sorte d'idée fixe...

P : Ouais, une idée fixe, ouais.

I : C'est quelque chose qui...

P : Ouais, tout à fait.

I : Vous en prenez une fois, puis pendant quelque jours ça passe ?

P : Puis après, j'y pense plus. Puis après, je suis pas contente, je m'en veux, j'entends, parce que je fais quand même un effort ici, et je veux dire, puis j'ai pas du tout envie d'en reprendre, pas du tout, du tout, jamais cette idée, mais... puis après il y a ici, il faut tout le temps se justifier, pfouh c'est pénible j'entends.

I : Mmh... Est ce que vous pensez que ça a un rapport...

P : Mais, je comprends pas pourquoi.

I : La personne avec qui vous la prenez...

P : Ça a un rapport, moi j'aime beaucoup cette personne, elle est littéraire comme moi, pour moi, on shoot pas hein, moi je la shoot pas.

I: Ouais.

P: Donc il y a déjà un truc qui est mieux, je la shoot pas. Donc... c'est une personne que j'aime beaucoup, mais que je peux pas aller voir si on est pas pété, j'entends. Je sais que si je vais la voir, on a beaucoup de choses en commun et il continue sa vie, c'est pas le dernier des junks, vous voyez ? Je veux dire, je vois que ça peut se passer très bien, on peut continuer sa vie tout en... je veux dire, des gens comme ça qui en prendront toute leur vie, vous voyez ce que je veux dire ? C'est pas... c'est quelqu'un que je trouve très bien, et qui continue ça. Vous voyez ?

I : Mmh

P : J'ai pas le... je sais pas comment expliquer... et puis c'est toujours difficile de la voir sans craquer.

I : Mmh. Parce que c'est elle qui vous en offre ?

P : Oui. Non, bon, qui en offre... je veux dire, ouais, c'est là.

I : Donc c'est...

P : Et puis moi j'ai envie de voir cette personne, et puis en même temps, je me dis vas-y, je résiste souvent de pas aller la voir. Pour justement pas en prendre.

I : Mmh

P : Puis il y a un moment où pff, c'est dur tout le temps, tout le temps... pas tout le temps, mais tant que je l'ai pas résolu, enfin, que je suis pas tranquille pendant un moment, je vais y penser. Puis je vois que la maintenant ça fait une année et demi, j'arrive pas encore à m'ôter ça, bien que je veux pas du tout reprendre la vie que j'avais avant. Pas du tout. Alors je sais pas, je peux pas expliquer cette faiblesse, c'est...

I : Mais est ce que c'est pour compenser quelque chose que vous ne pourriez pas avoir dans la relation avec cette personne ?

P : Non, non, c'est moi, alors c'est pour compenser rien du tout, j'entends c'est pas du tout, j'y vais pas parce que ahah, je me suis engueulé avec tel, vous voyez, je veux dire, c'est plus une récréation, je veux dire, je m'accorde ça, j'estime que j'ai luté, enfin, luter, je veux dire on bosse ! On s'emm... enfin je veux dire, la vie de tout les jours, on se lève et tout, j'estime qu'il faut une petite récompense. Ouais, moi je prend ça comme ça, comme vous allez au cinéma, ou je sais pas... (rires) C'est pour ça que je dédramatise la chose, mais c'est pas bon pour moi, parce que après en même temps, a coté de ça, je peux être très clair, pas y penser, puis j'ai plus aucun ami qui est là dedans, plus... j'en ai très peu.

I : Mmh

P : Donc j'ai déjà fait un grand pas en venant ici, je veux dire, j'ai liquidé tout le monde. Il reste plus que cette personne à liquider, moi j'aimerais bien qu'elle arrête, comme ça on pourrait se voir tranquillement, je cherche pas des excuses, j'entends, c'est, j'ai qu'à pas du tout aller la voir.

I : Mmh. Donc en fait, c'est un peu une fuite, alors vous fuyez les frustrations de la vie de tout les jours ?

P : Ouais, je...

I : A travers l'héroïne.

P : J'arrive pas à dire: "plus jamais", dans ma tête c'est pas concevable de me dire que plus jamais j'en prendrai, même en étant ici, ça je l'ai dit, en commençant, c'est affreux, mais bon, j'arrive pas à me dire... je me dirai: "plus jamais tous les jours", ça c'est clair. Mais m'accorder ça une fois par mois, ou de temps en temps, je peux pas dire... peut être qu'un jour ça sera terminé, j'aurais un dégoût, mais j'arrive pas encore à me dire plus jamais.

I : Mmh. Parce que en fait dans ce moment là, euh, vous vous sentez, qu'est-ce que vous retrouvez ? Vous retrouvez quelque chose que vous auriez perdu ? Ou...

P : Non, mais... Déjà j'ai hyper mal au dos, tout le temps, tout le temps, là, au moins pendant une journée, j'ai plus mal au dos. J'ai plus mal nulle part. J'ai des problèmes de dos, là, après, je sens plus rien. Je veux dire, je suis anesthésié, ça me fait du bien, je dois me prendre dix panadol pour que je sente un effet. Là, hop, ça va tout de suite. Il y a déjà ça, puis après, je sais pas, je fais les choses, ouais, je suis poussée quoi. Ça me paraît plus facile, mais bon, le lendemain, c'est pire. Mais je pense pas au lendemain.

I : Ah ouais, le lendemain c'est ...

P : C'est le retour, ouais c'est pas... c'est comme si vous prenez une cuite ou comme ça, vous êtes pas très, parce que mon corps, il le rejette maintenant, je veux dire, il est plus habitué, donc euh, mais bon.

I : Mais ça survient toujours dans le même contexte ou bien c'est ?

P : C'est, je dois dire...

I : C'est toujours avec quelqu'un quand vous en prenez ? Ou vous pouvez en prendre seule...

P : Ah, je peux en prendre seule, ça sans problème. Non, ça c'est pas le problème.

I : Ça varie ?

P : Ouais. Non, mais maintenant, c'est différent, c'est convivial, c'est marrant, enfin moi, c'est toujours avec la même personne. C'est plus comme avant où c'était un besoin. J'aurais très bien pu ne pas passer et puis ne pas en prendre, mais, j'ai pas eu la force...

I : Mmh

P : Je dois dire, en plus c'est... réellement dans le truc, c'est trop facile pour moi, j'ai une personne avec qui je m'entends hyper bien, qui est à deux pas de mon travail, qui est là tout les jours, qui a tout le temps tout ce qu'il faut. C'est un... souvent, j'y suis allé la voir, mais sans prendre quoi que ce soit, mais ça me demande quand même encore... je dois encore faire du travail.

I : Mmh...

P : Alors me dire de plus voir une personne avec qui je m'entends tellement bien, parce qu'il y a ça, c'est tuant des fois.

I : Mmh. Mais vous pensez pas à la voir ailleurs ?

P : Oui, on peut, tout à fait, il y a une possibilité, mais il y a toujours un peu cette obsession, je fais le parallèle quand je la vois.

I : Mmh

P : Mais bon...

I : Finalement, c'est un peu comme si c'était votre préoccupation principale, cette...

P : Non, il y a les deux, c'est par vrai, parce qu'il y a les deux choses, mais ça va ensemble, je veux dire, on a, je sais pas, moi je vois pas où est le problème... de tant en temps, comme ça, je trouve pas que ça soit un grand problème.

I : Mmh

P : Mais il faut que ça passe, non, mais je suis bien consciente qu'il faut que je raye ça complètement, ça c'est sûr.

I : Ouais, en dehors de la cure méthadone, c'est vrai que si vous avez le même comportement, vous recrochez assez rapidement.

P : Ouais, justement, mais là, après, je suis pas bien, je suis pas fière de moi quoi.

I : Mmh

P : Je suis pas fière du tout de moi. Mais comment, comment vous voulez l'expliquer, enfin, on explique rien, comment justifier, enfin je sais pas...

I : Mmh. Vous avez pas l'impression de lutter contre...

P : Mais c'est pas journalier, faut pas croire que...

I : Ouais.

P : Je veux dire, là, je vais refaire une semaine deux semaine, puis peut être de nouveau que là, ouais c'est pas... c'est pas toujours facile quoi...

I : Mais est ce qu'il y a des sentiments que vous cherchez à éviter...

P : Comment ?

I : Ou à masquer, des sentiments désagréables, des choses à l'intérieur de vous même qui...

P : Mais, je saurais pas bien quoi, non. Mais je sais pas, voir ces gens, ils sont tous monotones, ils font tous la même chose, je veux dire, il y des fois où... c'est fatiguant.

I : Ces gens, c'est à dire ?

P : La société, tous les gens qui m'entourent.

I : Mmh... Vous voyez la société de façon monotone, et c'est...

P : Un peu, bon, là, ça devrait aller mieux, parce que j'ai enfin pu m'organiser comme je voulais pour le début de l'année prochaine, alors euh... ça devrait mieux se passer.

I : Et puis, pour sortir...

P : Puis je sais pas, je viens ici, j'ai pas l'impression d'être... j'ai l'impression qu'on me prend comme une malade, je veux dire, je me sens pas malade, moi, je me sens pas la dernière... je sais pas, je me sens claire comme tout le monde.

I : Ici, c'est à dire euh...

P : Venir faire cette cure, j'en ai ras le bol, j'ai envie de l'arrêter, je veux plus venir ici quoi, c'est trop, trois fois par semaine, vous vous rendez compte ? Je bosse et tout, je dois encore venir ici pfouh... tout d'un coup, c'est l'étau.

I : Mmh

P : Puis c'est pas en faisant des conneries qu'ils vont me baisser la méthadone, c'est un cercle vicieux quoi.

I : Ouais. En fait c'est vous qui êtes dans une sorte d'étau, c'est à dire entre votre désir d'héroïne et puis...

P : Ouais, Je me mets entre, parce que je sais très bien que je suis mieux sans, je le sais très bien, mais c'est...

I : C'est un peu comme si...

P : Je vous dis...

I : en vous changeant à l'intérieur de vous même, vous essayez de changer votre perception du monde, pour que ça ne soit plus monotone, pour que le monde ne soit plus monotone, vous avez besoin de changer votre intérieur ?

P : Ouais, ouais, ouais, tout à fait.

I : Mais là, c'est un peu comme si il y avait un mélange entre ce qu'il y a à l'extérieur et puis ce qui est en vous même.

P : Y a toujours un mélange, tout le temps.

I : C'est comme une solution magique, un peu...

P : De facilité...

I : Ouais, de penser que ça puisse changer l'extérieur...

P : L'espace d'une journée, c'est tout, et après, ça reprend, puis changer, c'est même pas du tout ça, c'est simplement... c'est un grand mot, simplement, peut-être que je prends les choses avec distance, enfin...

I : Mmh

P : Puis je me pose même pas de question, c'est ça le pire, je veux dire...