Cas 4 : Pierre

I : Pouvez-vous me parler de vos consommations récentes de drogues ?

P : Ouais bon, j'ai fumé, mais vraiment peu, je veux dire, je veux plus que ça fasse partie de ma vie. Déjà, par le mode de vie que ça comporte, j'ai plus envie de revivre ça, bon, j'ai pas encore la volonté de dire que plus jamais j'en reprendrai. Mais en fait, ce qui c'est passé, c'est que vendredi passé je m'emmerdais, je suis redescendu en ville pour voir des gens et puis, comme ça faisait des années qu'en allant là bas... ça a été en fait comme une sorte de réflexe, parce que je savais pas quoi faire...

I : Mmh

P : Tandis que maintenant j'essaye plutôt euh...

I : Ça c'était la dernière fois que ça vous est arrivé ?

P : Ouais, et puis je me suis dit, euh, j'essaye plutôt de... si j'ai rien à faire, bon ben j'irai plutôt à la Placette, et je resterai une heure à écouter des disques, peut être que j'en achèterai un, peut être que j'en achèterai pas du tout, j'essaye de faire d'autres choses...

I : Mmh, c'est à dire dans ce moment vous aviez un espèce de sentiment de vide intérieur ?

P : Ouais, de vide.

I : D'ennui...

P : D'ennui, de pas savoir quoi faire quoi. Et puis de solitude, pas mal de solitude...

I : Donc ça c'était un jour, vous ne travailliez pas ou bien ?

P : C'était un vendredi soir, le week-end arrivait euh..

I : Ouais...

P : Bon normalement le vendredi soir on est tous content, on sort, soit on va dans une... en général c'est là qu'on retrouve ses amis, on fait une soirée, on fait n'importe quoi, et j'avais rien de programmé... il y avait aucun concert, il y avait rien, alors que est ce que j'ai fait ? Je suis redescendu automatiquement au Mollard pour voir des gens, et puis ça a été un automatisme irréfléchi, en fait. Puis arrivé chez moi, ben j'étais encore plus mal qu'avant parce que j'étais tombé dans le piège, j'étais retombé dans le panneau. Par contre, ça m'est déjà arrivé de descendre au Mollard, d'être seul, hyper bien, d'y penser et puis de me dire, non, je le fais pas, ce qui fait qu'après, je rentre chez moi, même si la soirée sera pas excellente, au moins je suis content de moi, parce que j'ai eu la force de dire non, et puis de pas retomber dans cet automatisme, parce que je m'ennuie.

I : Mmh

P : Je compte beaucoup sur le sport, d'essayer de refaire de nouvelles connaissances quoi.

I : Mmh

P : Le surf, malheureusement, on arrive en fin de saison, alors, je vais commencer le judo, on verra, et puis je laisse venir.

I : Mmh. Donc en fait dans ces moments, c'est souvent dans le même contexte que ça survient le besoin d'héroïne ? C'est-à-dire dans le même état affectif de solitude...

P : Ouais, dans des moments de vide.

I : C'est presque tout le temps comme ça ?

P : Ouais, quand j'en prends, c'est si je suis tout le temps... maintenant de moins en moins, parce que je commence à avoir mes journées bien occupées, c'est vrai qu'arrivé au week-end, si je vais pas surfer, ou si je vais pas skier, en tout cas pour l'hiver, ben je sais pas quoi faire, quoi, puis j'ai plus envie de rester devant la télé pendant tout mon week-end, ça m'intéresse plus...

I : Mmh

P : Ce qui fait que je me retrouve seul, je sais pas vraiment quoi faire, alors automatiquement ben je vais faire ce que j'ai fait le plus souvent ces dernières années, c'est à dire... euh... ben me shooter quoi.

I : mmh, mais est ce que vous pensez pas qu'il y a une partie de vous même qui a peut être envie de rester dans sa... dans cette union avec l'héroïne, enfin, avec la drogue, dans le sens ou vous êtes un peu en autosuffisance ?

P : Non par ce que, enfin pas vraiment, parce que chaque fois que j'en prends, je me retrouve, je suis pas mieux qu'avant, déjà je la sens pratiquement pas, c'est... En fait, c'est le fait que ça va occuper mon temps pendant quelques heures, de devoir chercher, de trouver, de remonter chez moi, mais après, après l'avoir pris, je suis en général beaucoup plus mal qu'avant quoi, je veux dire... je suis là...

I : Ouais...

P : A me bouffer la tête, à me dire, quel con, pourquoi tu as fait ci, t'aurais pu faire ça, t'as 100 francs en moins, t'aurais pu acheter des CD, mais sur le moment, euh, j'y réfléchis pas, quoi, j'ai pas envie de rester dans ce milieux, parce que il y a rien, il se passe rien...

I : Quand vous sentez ce sentiment de vide, en fait vous savez pas vraiment ce qui vous manque, vous savez pas ce dont vous avez besoin ?

P : Ouais, je suis un peu perdu, je ne saurais pas vraiment... je ne saurais pas vraiment... pas ce qui me fait plaisir mais euh, ouais il me manque... c'est un effet de solitude quoi, je me retrouve seul, et j'aime pas la solitude. J'aime pas être seul en général quoi.

I : Ouais. Mais dans ce moment de solitude en fait, de quoi vous avez besoin, il y a quelque chose qui vous manque ?

P : Une copine, ou une relation... ouais, un copain ou une copine, quelqu'un avec qui causer, avec qui faire quelque chose, je veux dire arriver à se motiver l'un l'autre.

I : Mais là alors, à un certain moment vous court-circuitez ce désir, parce que vous avec besoin de quelqu'un, et puis à un moment vous, c'est comme si vous remplacez la personne par un produit ?

P : Ouais, c'est un peu ça, puis aussi ce qui ce passe quand on cherche de la poudre, on rencontre des gens, je veux dire, ça se fait pas tout de suite dans les 5 minutes, il y a quand même, faut la chercher, faut discuter, c'est, je sais pas si c'est pour le fait d'avoir des relations avec ces gens, mais... C'est pas pour la poudre en elle même, c'est pour le fait que ça me fait faire quelque chose en fait...

I : Ouais...

P : Ça m'arrive rarement de, ça m'arrive une ou deux fois de me retrouver puis d'être complètement paumé, de plus savoir ce que je veux faire... me dire je vais au cinéma ?, je vais manger ?, puis je fais rien quoi, puis je suis là, au milieu de la ville et puis perdu quoi. Bon ça m'arrive rarement de... d'être comme ça dans cet état, de plus savoir ce que je veux faire, puis d'arriver à rien faire, alors en général je remonte chez moi, soit je mets de la musique ou soit j'allume la télé, en général j'allume la télé, parce que ça me fait comme une compagnie, ou de la musique, mais bon, ça m'arrive rarement d'être perdu comme ça, maintenant de moins en moins disons.

I : Mais là en fait c'est comme s'il vous manque les personnes vers lesquelles vous pourriez vous tourner ?

P : Ouais, c'est ça en fait.

I : Mmh... c'est comme si vous n'aviez pas à l'esprit, si vous gardiez pas en tête des personnes qui pourraient, avec qui vous pourriez aller, que vous pourriez rencontrer ?

P : Ben je sais que la plus part, j'en connais pas beaucoup, la plupart sont occupés dans ces moments là... et puis ouais, c'est ça, je me retrouve seul et puis c'est en fait, c'est remplacer la poudre pour... à la place des copains quoi, enfin, je pense...

I : Ouais...

P : J'y ai jamais vraiment réfléchi je dois dire...

I : Mmh...

P : Mais l'effet d'être stone, d'être avachi sur un lit, ça me plaît plus. Puis en général, quand j'en prends, c'est jamais le cas, je suis jamais... je pique plus du nez, bon je me renferme sur moi même c'est clair, je vais dans ma chambre, mais euh, ouais ça me plaît plus trop quoi. Vous allez me dire pourquoi est ce que je le refait ? Mais, si je le savais, je le referai plus quoi...

I : Mmh

P : Si je trouvai un autre palliatif, alors, maintenant j'essaye que ce palliatif ça soit le sport, bon ça peut pas être le sport toute la semaine...

I : Mais est ce que pour vous, ça représente un danger, le fait de nouer une relation profonde avec quelqu'un ou euh...

P : Je sais pas, ça m'est jamais réellement arrivé, en tout cas avec une fille, je suis jamais sorti longtemps avec une fille, peut-être au cycle, mais bon, on est gamin, puis après, il y a eu les histoires de poudres...

I : Il y a peut être quelque chose qui vous angoisse dans une relation profonde, d'établir une relation profonde...

P : Le problème, c'est de faire le premier pas, c'est d'arriver à la déclencher la relation, dès que le premier pas est fait, ça va quoi, c'est d'arriver à faire ce premier pas soit pour rencontrer quelqu'un quoi, ou comme ça quoi. Mais ouais, d'un côté ça me plairait, puis de l'autre c'est vrai que j'aime quand même mon indépendance, il y a des jours où... j'en ai pas du tout envie, mais je sens que ça me manque, quoi que ça me ferait peut être un peu peur, parce que je l'appréhende, je l'appréhende, parce que je l'ai jamais vécue, puis d'un autre côté, je le souhaite vraiment.

I : Mmh

P : Puis j'ai peur de ne pas être à la hauteur à la rigueur, de pas avoir assez à offrir à l'autre personne...

I : Donc à la limite, vous préférez rester avec vous même, comme ça vous ne risquez pas la déception, enfin, si vous restez avec votre "copine" l'héro, vous ne risquez pas d'être déçu ?

P : Ouais, je risque pas d'être déçu, ça risque pas de mal tourner, mais enfin, je suis quand même déçu...

I : Enfin, vous avez l'illusion de ne pas être déçu, parce que vous êtes pas dans la réalité, alors, forcément, ça peut pas marcher non plus, mais disons que vous pouvez garder l'illusion de...

P : Que ça arrivera un jour, que... que je la rencontrerai un jour, puis euh, mais c'est vrai que je fais pas grand chose pour, je dois dire, je sort peu, bon je sort très peu ces temps quoi...

I : Mmh, peut-être que si vous faites pas grande chose pour, c'est justement parce qu'il y a encore un côté de vous même qui n'arrive pas à renoncer au fait de se passer de l'autre, et puis de pouvoir se sentir bien avec un produit dont on dispose, qu'on peut utiliser comme on veut. Parce que c'est un peu l'illusion de pouvoir vivre le paradis sur terre, de pouvoir utiliser une substance qui nous offre le bonheur, c'est un peu... alors peut-être que vous n'avez pas renoncé à ce genre de paradis ?

P : Ben disons que maintenant je le considère plus comme un paradis, c'est euh...

I : Ouais, mais il y a quand même un côté de vous même qui...

P : Qui y retourne...

I : Qui y retourne, donc sans doute qu'au fond de vous même, inconsciemment, il y a quelque chose qui vous pousse à y rester...

P : Ouais, c'est une crainte de faire le premier pas, ou d'une déception, de pas être à la hauteur...

I: Ouais.

P: Mais normalement ça devrait... Je pense que plus ça va aller de l'avant, pour l'instant tout va bien, que ce soit les cours, que je vois que j'ai donné tout les jours, que j'apprends, que ça rentre, j'espère que... J'ai comme but d'y arriver et puis de rencontrer la personne qu'il me faudra quoi, alors je sais pas quand est-ce que ça arrivera, et puis voilà quoi...