1. L’objet d’étude

1.1. La genèse d’une expérience de presse

Le choix de Lyon pour mettre en pratique le type de journal urbain voulu par la direction de Libération a été évoqué par Jean-Claude Perrier en ces termes :

‘Le 15 janvier [1986], Libération annonce la création de Lyon-Libération, qui paraîtra à partir du 1er septembre [première parution finalement reportée d’une semaine]. C’est René-Pierre Boullu [en provenance de la rédaction parisienne] qui en assumera la rédaction en chef, tandis que Jean-Louis Péninou [par la suite administrateur général du journal qu’il quitte en 1995] coordonnera la mise en place « d’autres quotidiens métropolitains ». Une conférence de presse se tiendra à Lyon le 31 pour présenter le projet. On se souvient que, très tôt, Serge July [directeur de le rédaction et gérant, cofondateur de Libération avec Jean-Paul Sartre] avait eu l’intention de lancer des « quotidiens de ville », décrochages de Libération en province, afin de se gagner un lectorat encore rétif. Ce n’est pas un hasard si cette création est faite en 1986, en pleine diversification du journal. Antoine Griset [alors administrateur général, a démissionné en février 1987 suite aux critiques du conseil de surveillance du journal pour les déboires financiers subis par l’entreprise après le lancement de Lyon-Libération et l’expérience ratée de radio libre avec Radio-Libération] juge que c’était une « bonne idée ». Mais les discussions ont été très longues avant de choisir la ville test. Michel Vidal-Subias [directeur de la publicité et directeur commercial], en revanche, pense que « c’était le plus mauvais choix possible, en raison du caractère très particulier de Lyon, de la mentalité fermée des Lyonnais. Mais Serge July pensait que si on réussissait à Lyon, on réussirait dans des villes beaucoup plus faciles, comme Lille, Toulouse, Strasbourg ».10

On passera ici sur les jugements à l’emporte-pièce que constituent les expressions “caractère très particulier de Lyon” et “mentalité fermée des Lyonnais”. Ce qu’il nous semble plus important de dire, c’est que l’acquisition du Progrès par Robert Hersant en janvier 1986 a certainement fait pencher le choix en faveur de Lyon, même si d’autres critères, en particulier d’ordre démographique et donc de lectorat potentiel, ont contribué à ce que le projet devienne effectif entre Rhône et Saône. Dès lors que le fleuron de la presse quotidienne régionale rejoint le groupe Hersant, l’installation dans l’espace lyonnais se double en effet d’un discours arguant de la nécessité de défendre le pluralisme de la presse dans la deuxième agglomération de France. A la limite, le souci de la préservation du pluralisme parvient presque à faire passer au second plan ce qui gouverne de fait la création de Lyon-Libération, à savoir la volonté d’une entreprise de presse nationale de pérenniser son action tout en en diversifiant les produits. Car outre Lyon-Libération, il ne faut pas perdre de vue que Libération est alors engagé dans un élargissement de son offre via Télélibération, Radio-Libération, l’agence photographique Vu et un service télématique. Nous sommes loin dès lors de l’expression des luttes ouvrières et du (prétendu) refus des interdits qui dominaient encore quelques années auparavant la démarche de Libération, y compris lorsqu’il fut décidé, à la fin des années 1970, de consacrer une part de la pagination à une production “locale” émanant d’un groupe de correspondants réunis autour de Claude Jaget. Pour en revenir à l’année 1986, il est clair que la prise de contrôle du Progrès par Robert Hersant a pour conséquence d’accélérer un processus qui était de toute façon déjà engagé. C’est ainsi que si le Monde lance une édition Rhône-Alpes dès le 28 janvier (l’équivalent d’une page et demie insérée dans le quotidien national en lieu et place de l’espace dévolu à la sélection “parisienne” des manifestations culturelles), il n’empêche que la production d’une page hebdomadaire consacrée à la culture dans la région (au sens large puisqu’elle va jusqu’à intégrer la Suisse romande) la précède. Quant à Lyon-Libération proprement dit, sa création fait partie de la stratégie de développement impulsée par Serge July au début des années 80, l’idée étant de parvenir à une diffusion moyenne de 200.000 exemplaires plutôt que de 80.000 sur la base d’un réseau de quotidiens métropolitains inspiré du groupe américain Gannett (plusieurs dizaines de journaux répartis dans tout le pays possèdent des pages communes couplées avec leur propre production “locale”). A ce titre, Robert Marmoz, ancien correspondant permanent de Libération à Lyon, rédacteur en chef de Lyon-Libération entre 1989 et 1991 et auteur, en janvier 1985, d’un rapport interne qui cerne les conditions de faisabilité du projet pour Lyon, nous a affirmé la chose suivante :

‘Raisonnablement, il n’y avait que deux villes qui tenaient la route, c’étaient Toulouse et Lyon, Marseille étant considérée comme assez pauvre et ne pouvant pas correspondre, en tout cas en terme de recettes publicitaires, Toulouse étant une ville plus “évoluée” que Lyon du point de vue des moeurs (sic) et de l’ouverture d’esprit, mais Lyon ayant l’avantage de posséder un grand bassin de lecteurs et des richesses publicitaires autres que celles de Toulouse.11

Les créations du Monde Rhône-Alpes et de Lyon-Libération ne sont pas sans faire réagir le groupe Hersant. Une semaine avant la parution du premier numéro de Lyon-Libération le 8 septembre 1986, celui-ci lance Lyon-Figaro, un quotidien qui se veut lui aussi de type urbain mais encarté dans l’édition nationale du Figaro, ce qui représente somme toute un profil moins novateur - et techniquement plus facile à réaliser - que le journal “d’une seule main” qu’est Lyon-Libération. Si l’on ajoute à ces trois “extensions” de la presse quotidienne nationale l’édition Rhône-Alpes de l’Humanité (créée dès 1978) ainsi que les trois autres titres qui appartiennent au groupe Hersant - au Progrès et à Lyon Matin qui relèvent de la presse quotidienne régionale telle qu’on l’entend habituellement, il faut ajouter le Journal Rhône-Alpes, publication qui développe à partir de 1977 une information “régionale” privilégiant l’économique et dont la principale innovation est d’être le premier quotidien local de format tabloïd -, force est de constater que Lyon recèle alors, en comparaison avec les situations prévalant partout ailleurs en dehors de Paris, une concentration hors du commun de journaux quotidiens équivalente à celle qu’a connu la ville à la veille du deuxième conflit mondial12. La disparition du Monde Rhône-Alpes en juillet 1996, précédée de celles de l’Humanité Rhône-Alpes au printemps 1993 et de Lyon-Libération en 1992 - le dernier numéro paraît le 19 décembre - entraîne de fait une situation de monopole du groupe Hersant à Lyon, encore accentuée par la fusion fin 1992 de Lyon Matin et du Progrès, désormais distinguables l’un de l’autre par leurs seules unes, le Journal Rhône-Alpes étant l’unique représentant des quatre titres du groupe Hersant précédemment mentionnés à avoir cessé de paraître et ce, dès le mois de novembre 198713. Les raisons qui ont conduit le groupe Libération à décider le 8 décembre 1992 de mettre fin le 19 décembre 1992 à la publication de Lyon-Libération sont à rechercher selon le liquidateur dans ‘“la stagnation des ventes de Lyon-Libération, les difficultés du marché publicitaire national, l’absence de perspectives permettant de dégager un bénéfice d’exploitation structurel et durable, les difficultés rencontrées pour assurer un tour de table financier lyonnais permettant de couvrir les pertes du journal [et] le manque à gagner que représente pour Libération la concession de l’aire lyonnaise de diffusion à Lyon-Libération”’ 14. Bien que l’année 1992 coïncide avec l’arrêt de Lyon-Libération, elle n’en aura pas moins correspondu paradoxalement au meilleur résultat d’exploitation de toute l’existence du journal. La perte d’exploitation en 1992 est en effet de 1,5 MF (hors échanges avec Paris), contre 3,6 MF en 1991, 3,4 MF en 1990 et 3,3 MF en 1989. Avec dix jours de ventes de journaux en plus - rappelons que le dernier numéro est paru le 19 décembre - et la publication d’un numéro spécial (“Créer en Rhône-Alpes”), le liquidateur estime que la perte aurait été inférieure au budget. Les ventes de Lyon-Libération se sont élevées à 7940 exemplaires par jour en 1992 contre 8167 en 1991 (chiffres du liquidateur) et 8846 en 1987 (chiffres de l’Office de justification de la diffusion cités par InterMédia, n° 159 du 16 décembre 1988, p. 342). Pour les quatre premiers mois de son existence, la diffusion moyenne est de 12.000 exemplaires (chiffres de l’OJD, cités par InterMédia, n° 121 du 5 février 1988, p. 37). Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec la volonté affichée par la direction de Libération de vendre 16.000 exemplaires en moyenne la première année puis 25.000 par la suite, le seuil bénéficiaire étant fixé initialement au vingtième mois d’exploitation. Pour être complet, ajoutons que la poursuite de l’activité de Lyon-Libération au-delà du 19 décembre 1992 a été longtemps suspendue à une augmentation de capital de 3,5 MF, somme qui n’a pas été entièrement réunie. Cette prudence des investisseurs locaux est sans doute attribuable au fait qu’ils avaient déjà investi 6 MF dans le journal l’année précédente. Mais à toutes ces raisons “objectives” de la suspension de Lyon-Libération pourraient être ajoutés des éléments d’explication puisés dans la mutation même du journal, qu’ils ressortissent aux tensions internes (à Lyon ou entre Lyon et Paris) ou aux stratégies d’information fluctuantes adoptées au gré de deux restructurations et de trois changements à la direction de la rédaction, au risque d’entraîner une impossibilité de fixer un lectorat de manière durable. Nous pouvons d’ores et déjà signaler que c’est sur la base de ces trois changements qu’il nous a été possible d’envisager une étude contrastive, point sur lequel nous aurons tout loisir de revenir en deuxième partie de cette introduction, au moment de présenter nos axes de recherche. A ce stade du propos, il est malgré tout possible de donner à lire la façon dont les quatre périodes historiques de Lyon-Libération se décomposent, en révélant l’identité des rédacteurs en chef successifs et les paginations moyennes :

  • Première période (8 septembre 1986 - 7 décembre 1987) : René-Pierre Boullu, 16 pages puis 12 à compter de la première restructuration intervenue à la mi-février 198715 ;

  • Deuxième période (8 décembre 1987 - 30 septembre-1er octobre 1989) : Michel Lépinay, 8 pages ;

  • Troisième période (2 octobre 1989 - 22 juillet 1991) : Robert Marmoz, 6-7 pages ;

  • Quatrième période (23 juillet 1991 - 19 décembre 1992) : Michel Lépinay, 4-5 pages.

Parmi les grandes orientations qui ont caractérisé la production du journal, il faut retenir la publication de pages appelées “Métropole” près de six mois d’affilée, à compter du lancement du titre. Pour sa part, la troisième période a été l’occasion d’un “rapatriement” en tête du journal des pages “culturelles” jusqu’alors cantonnées à la fin du support, au point de n’y faire apparaître désormais plus que les informations dites de “service”. En fait, ce transvasement à l’intérieur de la pagination se double alors d’une volonté de faire changer les habitudes de travail de ceux qui ont en charge le secteur “culture” au sein de la rédaction, ainsi que nous en a fait part celui qui est à l’origine de cette initiative, le rédacteur en chef Robert Marmoz :

‘A sa sortie en 1986, le journal devait être tiré par une locomotive “surpuissante” qui s’appelait Libération. Il se trouve qu’une semaine avant le lancement de Lyon-Libération, Libération a sorti une nouvelle mouture qui était illisible (il y avait 15 caractères et 10 polices différentes à la une). Surtout, le journal, qui ouvrait auparavant sur les faits de société - ce qui faisait sa force -, ouvrait désormais sur un grand “tunnel” d’économie. Là-dessus sont venues se surajouter 24 pages de Lyon-Libération. L’idée était tellement de faire comme si ce journal était entièrement fabriqué à Lyon qu’on pouvait mettre les pages lyonnaises un peu là où on voulait... Surtout, ces pages n’étaient même pas “marquées”, il n’y avait rien qui montrait que c’était Lyon [une indication “Lyon” - première version - ne surmonte les pages concernées qu’à compter du numéro du 11 novembre 1986]. Lyon était le centre du monde et c’était de là que tout partait. Une de mes premières “bagarres” a été de demander une lisibilité des pages, et c’est de cette manière qu’on a introduit les petits filets gris avec les traits [Robert Marmoz veut parler ici des liserés qui apparaissent pour la première fois en haut des pages “lyonnaises” dans le numéro du 25 mars 1987, avec comme fonction essentielle d’assurer une démarcation plus nette vis-à-vis des pages “nationales”]. Par cette astuce graphique, les “petits traits là-haut” montraient qu’on était sur Lyon, dans Lyon. Quand ces “petits traits” sont arrivés, on avait déjà compris qu’il fallait un peu rationaliser les deux parties du journal (première partie : actualité générale ; deuxième partie : culture/modes de vie). Du point de vue de la rédaction, qu’est-ce que cela donnait ? Une équipe qui travaillait à son rythme “speedé” du quotidien et une autre qui travaillait en autarcie sur ses rythmes “culturels” et qui venait à peine aux réunions de rédaction de la “première partie”, en tout cas ne nourrissait pas de sa vision de la ville, de ses modes de vie, la réflexion de la première. Si les gens de la culture ne m’expliquaient pas que dans le théâtre Machin, on allait signer une pétition pour qu’il se passe telle chose, je ne pouvais pas le renvoyer à la politique. Cela permettait de remettre la culture non pas au centre mais dans le journal, complètement. Ce que je voulais, c’était resserrer vraiment les liens et que chacun prenne confiance. Que les gens de l’économie et de la politique sachent ce qui se passe en culture.16

La question des acteurs qui font le journal est également au centre de la démarche retenue quant aux pages “Métropole”, dont la responsabilité incomba à Bernard Fromentin, lyonnais comme Robert Marmoz. Celles-ci firent principalement les frais de la restructuration de février 1987. Leur disparition mit fin à la collaboration avec une dizaine de correspondants que Bernard Fromentin, pour l’essentiel, avait pris soin de choisir sur entretiens avant le lancement du journal en septembre 1986 (il a fallu procéder à la mise à l’écart de 4 postulants sur 5, la douzaine de zones finalement retenues par le journal n’étant “couvertes” chacune que par un seul correspondant). Il est important de noter à cet égard la volonté du journal de ne pas disposer d’un réseau de correspondants tel qu’on l’entend habituellement dans la presse quotidienne régionale17. A cet égard, Bernard Fromentin nous a affirmé la chose suivante :

‘L’enjeu était de dire : on ne fait pas le tour chaque jour dans chaque commune de ce qui s’est passé du point de vue de la gendarmerie, de l’actualité de l’institution locale, aussi petite soit-elle, que ce soit la mairie, l’ANPE ou le centre culturel, on propose notre présence, notre regard, notre choix, ce qui revient à proposer au total une sélection qui ne renvoie qu’à une seule responsabilité, celle de ceux qui ont fait le choix et qui pensent que l’addition de ces choix produit du sens. Là, on rentrait dans un pari énorme qui revenait, c’est vrai pour une part, à mettre la barre très haut, ma conviction étant que pour réussir cela, il aurait fallu avoir les meilleurs journalistes de toute la rédaction pour assurer ce recensement d’informations, cette observation et cette écriture. Or, pour des raisons notamment financières, c’était strictement impossible. Donc, on a recruté des gens qui étaient la plupart journalistes avec une carte professionnelle - mais pas tous - et qui ne disposaient pas tous forcément de l’investissement leur permettant d’accepter d’être la vigie de leur zone. Ce qui était difficile, c’est que l’on aurait eu besoin pour faire cela de journalistes très expérimentés et acceptant de considérer qu’écrire 15 lignes tous les jours ou tous les deux jours était un exploit, une tâche journalistique difficile. Ce qui aurait supposé des gens ayant un statut permettant d’assurer ce travail-là sans avoir l’angoisse d’être payé à la ligne, alors que petit à petit on avait mis au point un système pas très satisfaisant qui aboutissait à les payer de telle manière que cela ne pouvait pas leur constituer un statut à temps plein, bien que le travail qu’on leur demandait représentait à vrai dire un statut de présence d’un gros mi-temps au minimum. (...) L’objectif, on commençait à le sentir prendre réalité au bout de l’expérience des pages “Métropole” : on avait un réseau d’observateurs de proximité de la ville, de l’agglomération, qui tendanciellement pouvait être un dispositif formidable eu égard à la définition du correspondant qu’on donnait et qui n’avait rien à voir - ou pas grand chose - avec celle du Progrès : avoir une présence du journal au plus près des entités de l’agglomération, c’est-à-dire aussi bien des institutions que des habitants, faite d’observation, de constats, de repérages et de compréhension. Une des grandes difficultés, cela avait été très vite une difficulté relationnelle, pédagogique - de communication si on veut - avec ceux qui se tenaient pour responsables de ce qui se passait dans leur secteur. C’est-à-dire souvent les maires, les secrétaires de mairie, les hommes influents du pouvoir local. En gros, leur problème était qu’on leur proposait un nouveau regard possible sur leur entité, un regard journalistique, alors qu’ils étaient habitués à un regard relevant plus de la communication que de la présence journalistique. Par conséquent, la bataille principale - la micro-bataille - qu’avaient à assumer les correspondants n’était rien d’autre à mon avis que la bataille que Libération, globalement, assumait sur Lyon en tant que métropole de la deuxième région de France. Ce qui m’intéressait énormément, c’était à la longue de construire une présence, disons diversifiée, dont les principes, qu’il s’agisse du rédacteur en chef ou du correspondant de Vaulx-en-Velin, étaient de même nature. Et ce dernier, bien qu’ayant plus souvent affaire au maire de Vaulx-en-Velin que le rédacteur en chef du journal, était néanmoins le représentant du titre. Ce qui voulait dire représentant d’une approche rédactionnelle, d’une politique de l’information. On touchait là du doigt un phénomène énorme qu’on ne pouvait contrecarrer que sur le long terme, bien au-delà de 6 ans et demi. Ce qui à mon sens était une résistance “culturelle” à une approche de l’information [telle que traditionnellement admise au niveau locale]. L’enjeu de l’expérience de Libération se situait soit à l’échelle des correspondants de “Métropole”, soit à celle - globale - du titre Lyon-Libération. Ce qui revenait à expérimenter la possibilité de créer un dispositif d’information de presse écrite quotidienne capable de constituer, en tout cas pour des actifs de la cité, une alternative par rapport à l’achat obligé du journal local.18

Par rapport au dernier point soulevé ici par Bernard Fromentin, on se doit de préciser que Lyon-Libération aura été diffusé de façon “exclusive” sur l’ensemble de la communauté urbaine de Lyon, ainsi qu’à Villefranche-sur-Saône et à Belleville, mais “en concurrence” avec Libération dans la plupart des villes importantes de la région Rhône-Alpes, où il était avant tout disponible dans les gares et les aéroports19. A partir d’avril 1991, un supplément hebdomadaire “Entreprises” est créé avec un double objectif : amener les PME à s’abonner et attirer les annonceurs (ce en quoi il est imprimé sur papier couché, avec brochure par agrafes). Celui-ci est diffusé sur l’ensemble de la région Rhône-Alpes, autrement dit avec Lyon-Libération tout autant qu’avec Libération le cas échéant. Dans la continuité d’une telle option, la dernière période de Lyon-Libération est marquée par la publication, mensuelle cette fois, de suppléments “thématiques”. Il y a loin par conséquent entre ceux-ci et les deux suppléments “papiers” hebdomadaires “Cinéma” et “Week-end” (ce dernier supervisé là encore par Bernard Fromentin) qui les ont précédés dans la deuxième période - ils ont du reste été arrêtés en même temps que celle-ci prenait fin -, diffusés pour leur part avec le seul Lyon-Libération. Ces suppléments, d’une certaine façon à la périphérie du reste de la production “lyonnaise”, auront donc correspondu à une projection vers l’extérieur - c’est ainsi que le supplément “Week-end” visait explicitement la “grande région”, jusqu’à intégrer à son contenu les sites genevois et... parisien - au moment même où le “recentrage” sur l’agglomération avait été préférée à l’option de développement vers les Alpes proposée par René-Pierre Boullu et dont la non-acceptation avait entraîné le départ.

Notes
10.

Le roman vrai de Libération, Paris, Julliard, 1994, p. 266. Journaliste, Jean-Claude Perrier est alors responsable du secteur culture de Jeune Afrique.

11.

Entretien avec l’auteur, le 11 septembre 1998. Sur le dernier point évoqué par Robert Marmoz, il est à noter que Lyon-Libération ne s’est attaché les services d’un directeur de la publicité qu’un mois après son lancement et que le journal a dû faire face à la reconstitution d’une régie publicitaire unique au sein du groupe Hersant, ce qui a eu pour corollaire d’accentuer l’emprise de ce dernier sur le marché des annonceurs.

12.

En 1939, outre le Progrès, Lyon compte en effet Lyon Républicain, le Nouvelliste, le Nouveau Journal, le Salut Public ainsi que Lyon-Soir, édition du soir de ce dernier.

13.

Bien que créé en 1977 par le groupe Dauphiné Libéré dans le but de contrer les velléités lyonnaises de Robert Hersant (de même que Lyon Matin, l’équivalent du Dauphiné Libéré “en terre lyonnaise”, est lancé en 1980 par le groupe isérois après la rupture des accords de coopération qui avaient été passés entre le Progrès et le Dauphiné Libéré à la fin des années 60), le Journal Rhône-Alpes n’en terminera pas moins dans l’escarcelle du groupe Hersant après l’acquisition par ce dernier du Dauphiné Libéré en 1983, l’arrivée de Lyon-Figaro en septembre 1986 lui étant finalement fatal.

14.

Rapport du liquidateur sur les comptes au 31 décembre 1992.

15.

Prenant acte du fait que les charges mensuelles de la filiale de Libération représentent quasiment le double de ses recettes (1,9 MF contre 1 MF), le journal procède au licenciement de 17 de ses salariés permanents sur 54, dont trois journalistes et trois secrétaires de rédaction, ce qui ramène à 25 l’effectif de la rédaction. Une deuxième restructuration sera mise en oeuvre entre les troisième et quatrième périodes, portant l’effectif à quinze journalistes permanents, cinq pigistes spécialisés, trois administratifs et cinq commerciaux.

16.

Entretien avec Robert Marmoz, le 11 septembre 1998. Il paraît bon d’ajouter d’une part que celui-ci aurait été partisan d’appeler le journal Libération-Lyon - la dénomination finalement retenue étant le fait des “Parisiens” - parce que “ce n’était pas Lyon qui faisait Libération mais c’était Libération édition de Lyon” et, d’autre part, qu’à son arrivée à la tête de la rédaction, il s’est montré favorable à un journal davantage “généraliste”, l’enjeu revenant à “donner les clefs de la ville”, dans le sens d’“aller chercher le dessous des cartes” mais aussi en vue d’“ouvrir la porte de l’exposition (c’est à quelle heure et c’est
où ?)
”.

17.

Le système de traitement de l’information du localier est (...) dominé par une large délégation de la collecte des faits à des correspondants, choisis en fonction de leur proximité et de leur capacité d’accès à des réseaux sociaux diversifiés (associations, églises, milieux économiques, etc.). Les correspondants n’ont, eux, aucune formation particulière et pas d’encadrement professionnel strict. Ce sont des
« amateurs » de l’information locale, mais qui collectent bien souvent près de 70 % de l’information traitée par un quotidien régional. Leur immersion dans un milieu peut être un handicap conduisant à amplifier des réflexes liés à leur milieu social ou à leur inscription dans une communauté
” (Jean-Marie Charon et Claude Furet, “Le journaliste local face à l’événement exceptionnel : déontologie et éthique”, in Les Cahiers de la sécurité intérieure, 20, 1995, p. 101).

18.

Entretien avec Bernard Fromentin, le 8 septembre 1998.

19.

A ce propos, il était également possible de le trouver gare de Lyon à Paris, ainsi qu’à l’aéroport d’Orly. D’après Sorj Chalandon, grand reporter à Libération, certains lecteurs lyonnais n’hésitaient pas à se rendre à la gare de Perrache pour acheter Libération en lieu et place de Lyon-Libération... (Allez savoir. Les entretiens de Grand amphi, Université Lumière Lyon-2, 1995, p. 66).