3.3. La polémique : les guillemets

Sous-employés dans la dernière période, les guillemets sont surreprésentés dans la première (+4). On sait que ce type de métamorphème, selon l’expression d’Yves de La Haye212, ne sert pas uniquement au locuteur à indiquer au destinataire qu’il met à distance un terme, un syntagme ou une phrase (voire davantage) qui n’est pas de son cru. Pour ce qui n’est que de la mise entre guillemets de termes et de syntagmes dans le discours éditorial de la première période rédactionnelle (profils assurément les plus répandus), force est de constater que l’on y trouve représentée une large palette de fonctions, qui n’est pas sans fournir du reste, comme pour les points de suspension mais de façon plus prononcée encore, l’image que le journal se fait non seulement de ses lecteurs mais aussi de lui-même par rapport à eux. Sans doute la profusion de guillemets, derrière des usages fort disparates, construit en retour, et en certains endroits du texte, l’image d’un lecteur au fait des subtilités qu’offrent tout autant les niveaux de langue que ceux de discours. Comme l’affirme Dominique Maingueneau, ‘“le seul fait de multiplier les guillemets est significatif d’un lectorat cultivé, particulièrement sensible à la variété interdiscursive”’ 213. L’éditorial produit par René-Pierre Boullu après les élections sénatoriales de septembre 1986214 nous semble offrir un condensé assez représentatif des différents emplois de guillemets repérables tout au long de la première période. Nous allons donc citer les passages qui les contiennent tout en prenant soin de préciser au fur et à mesure la nature des guillemets utilisés :

‘(...) les plus locales de nos élections envoient à Paris, pour un bail de neuf ans, les élus d’une « Chambre haute » [description indéfinie référant au Sénat et au rôle qui lui est dévolu par rapport à l’Assemblée nationale] qui peut prendre le maximum de distance avec les réalités que vivent les « petits » électeurs [allusion au fait que le Sénat est élu par des “grands” électeurs - conseillers généraux, conseillers municipaux et, pour la première fois en 1986, conseillers régionaux - et non au suffrage universel direct].
(...)
Si personne, en l’état des choses, ne saurait prétendre au monopole du modernisme dans la classe politique lyonnaise, il est clair que tous les autres partis, auraient intérêt à s’inquiéter de cet aspect de leur image et de leur réflexion face à la poussée, aujourd’hui « notable » [superposition de deux niveaux de langue], de Michel Noir et de ses nouveaux soutiens « socio-professionnels » [aspect approximatif du syntagme, à tel point qu’il pourrait être complété par : “si l’on ose dire”].
(...)
L’archaïsme ne retombe pas que sur la classe politique, mais sur toute la ville quand, après le « Herald Tribune » [convention typographique] TF1 passe un week-end entier dans la métropole à s’égarer dans les traboules des poncifs lyonnais. Vue de Paris, la « capitale des Gaules » [description définie en lieu et place de “Lyon”], bien loin des rêves et des réalités de « technopoles » [terme qui pourrait être accompagné de l’incise “comme on dit”], a vite fait de se retrouver bloquée « entre Rhône et Saône, et beaujolais » [énoncé tenant lieu de poncif]... tant que l’image de Lyon est remise dans les mains « d’autres qui soyent d’ailleurs » [fragment prélevé dans les écrits de Rabelais].’

On retrouve ici la référence à l’auteur de Pantagruel, déjà signalée au moment d’évoquer les contextes récurrents de « certainement » dans la première période. Il s’agit probablement, une fois encore, de faire rejaillir sur le journal le “prestige” d’une oeuvre de la Renaissance. A ce titre, le recours à la description définie « la « capitale des Gaules » » à la place de « Lyon » ne nous paraît pas recouvrir un simple procédé de substitution, mais permet avant tout au journal de se positionner en faux par rapport à ce genre d’intitulé, en particulier dès lors qu’il l’“instancie”, autrement dit qu’il le fait être produit, depuis un site “parisien”215. On aura remarqué que le terme « traboules », du nom de ces passages creusés dans certains immeubles de Lyon et qui permettent de s’abstraire d’une rue pour en rejoindre sans détour une autre, n’est pas mis entre guillemets216. Dans le présent contexte discursif, cette absence de distanciation semble accentuer la référence à un être-ensemble (le journal et ses lecteurs, auxquels il n’est pas besoin de mettre en valeur un terme qui leur est commun) pour mieux marquer le décalage avec les représentations médiatiques “extérieures”. Il est à noter encore que l’incise « comme on dit » est avérée pas moins de sept fois dans la première période, ce qui semble concordant avec le sur-emploi des guillemets217.

Mais ce sur quoi nous voudrions nous arrêter en ce qui concerne les guillemets, c’est l’usage qui en est fait dans le registre de la polémique, non décelable comme tel dans les extraits que nous avons présentés. Si tout au long du discours éditorial de Lyon-Libération, il n’est pas toujours aisé d’apprécier à sa juste valeur une expression entre guillemets - reprise fidèle ? production dont l’objectif est de conserver l’esprit d’un dire initial, au risque d’être appréhendée par le lecteur comme une reproduction en bonne et due forme ? -, il est au moins une certitude : seule la première période prend prioritairement appui sur les guillemets pour tenir un discours polémique. Pour Catherine Kerbrat-Orecchioni, celui-ci engage trois actants abstraits : ‘“un locuteur polémiste, qui vise à discréditer une cible aux yeux d’un destinataire, que [le locuteur] cherche à se constituer comme complice”’ 218. Pour Dominique Maingueneau, le discours polémique est la conséquence de ‘“contradictions objectives (non linguistiques) : l’incompréhension mutuelle est la condition de possibilité même de la polémique”’ 219. Cette vision nous semble faire la part trop belle aux deux partenaires - le polémiste et celui qui en constitue la cible -, un peu comme si, après un premier stade où ils seraient convenus de leur différend ou de leur incompréhension, les protagonistes admettaient d’un commun accord la nécessité de polémiquer à défaut d’être parvenus à trouver un terrain d’entente. C’est sans doute oublier (même s’il est vrai qu’à travers la définition qu’il en donne, l’auteur ne vise pas en particulier le discours polémique susceptible d’avoir cours dans l’univers médiatique) qu’au niveau d’un discours éditorial, c’est le journal qui est en position de dicter la règle du jeu, de “faire la polémique” comme du reste il “fait l’opinion”, d’une certaine façon sans autorisation préalable. Mais ce qui paraît plus prégnant encore dans ce que nous avons pu observer, c’est que Lyon-Libération ne cherche pas, dans sa période initiale, à polémiquer “dans le vide” (ce qui constituerait en soi un discours de l’ordre de l’attaque) mais à (é)prouver à chaque fois le bien-fondé de ce qu’il avance. Parler d’(é)preuve nous semble particulièrement bien convenir au type d’échelle sur laquelle il serait possible de projeter les différents cas de figure rencontrés. Une extrémité serait ainsi caractérisée par la citation-épreuve tandis qu’à l’autre bout de l’échelle se trouverait la citation-preuve. Nous allons maintenant passer en revue chacune des situations polémiques en remontant progressivement dans l’échelle, ce en quoi nous terminerons par un exemple qui relève de la citation-preuve par excellence.

  1. La citation-dialogue : nous empruntons cette appellation à Maurice Mouillaud, lequel voit en ce type de citation une reproduction à deux voix (ou polyphonique pour parler comme Bakhtine). Dans le discours assumé de Lyon-Libération, on en trouve une application en marge d’un entretien accordé par Jean Généty, l’adjoint aux sports et aux loisirs de Francisque Collomb, par ailleurs responsable des installations sportives de la ville. Ce que le journal reproche à la ville de Lyon, c’est de ne pas se donner les moyens d’accueillir David Bowie au stade de Gerland pour qu’il y donne un concert (la municipalité avance alors le risque de dégradation de la pelouse) alors même que le pape, quelques mois plutôt, ne s’était pas vu empêché d’accéder dans la même enceinte : ‘Il est vrai que les danseurs aux gracieux mouvements venus l’honorer portaient, comme le relève avec beaucoup d’esprit l’adjoint aux sports, des chaussons. Ce même adjoint, reflétant sans doute l’état d’esprit d’une municipalité tournée vers l’avenir et la jeunesse, propose toujours avec beaucoup d’humour que « l’on fasse des tournois de volley-ball à l’Auditorium ». Devant tant de pertinence, on a presque envie de dire : « Chiche, pourquoi pas ? »220 ’ Nous sommes là en présence d’une production à double voix dont l’enjeu a été parfaitement démonté par Maurice Mouillaud dans un propos qui s’applique en l’état au passage que nous venons de citer :
    ‘Le discours de l’autre est ici reproduit tel quel mais le journal se place au même niveau que lui et parle dans le même registre. On est à la limite de la citation et au bord du dialogue : deux voix s’interpellent. Le journal ne rapporte pas un discours, il se fait lui-même un actant parmi les actants du jeu politique.221

  2. La “connotation autonymique” : Dominique Maingueneau a développé une idée intéressante selon laquelle la rupture syntaxique entre discours citant et discours cité n’a plus lieu d’être dès lors que l’on a affaire à un terme - et non plus à un énoncé - entre guillemets (et/ou en italique), ‘“l’expression guillemétée étant à la fois utilisée et mentionnée, relevant donc de la « connotation autonymique »”’ 222. Cette procédure se trouve à l’oeuvre dans notre corpus après l’inauguration de la troisième édition du Salon des métiers de bouche. Le journaliste de Lyon-Libération en charge de la rubrique “gastronomie” en vient à suivre une démarche métalinguistique de glose explicative vis-à-vis du terme “convivialité” tel qu’il est actualisé par deux fois dans le discours de Georges Delangle, traiteur président du salon :

‘On chercherait en vain un quelconque discours sur la cuisine qui n’utilisât pas aujourd’hui le mot « convivialité ». Emprunté à Brillat-Savarin, épousseté plus récemment par Ivan Illich, peu concerné pourtant par le sabodet ou la mortadelle, le terme est devenu aussi indispensable à l’assaisonnement des propos de table que, par ailleurs, le sel et le poivre. (...) [Georges Delangle] a parlé de « la convivialité d’une manifestation de joie bien lyonnaise ». Le mot lui paraissait même une telle gourmandise qu’il y est revenu dans sa conclusion. « La convivialité, s’est-il écrié, fait tant pour la paix ». (...) Cette « convivialité » est sélective. Quelques instants plus tard, le Président du salon s’en prenait aux grévistes, ces « nantis », ces « irresponsables qui cherchent à déstabiliser notre économie » alors qu’ils « sont retranchés derrière la garantie de l’emploi ». (...) Comme, auparavant, Delangle avait stigmatisé le « système fiscal et bancaire » français très attardé par rapport à ses voisins, on se serait cru revenu au plus beau temps du poujadisme-boeuf-gros-sel. (...) le mot « convivialité » déjà passablement galvaudé, perd son dernier rogaton de signification quand il n’est pas synonyme de tolérance.223
  1. La citation-preuve : celle-ci prévaut quand ‘“on fait intervenir une citation au cours d’une argumentation, soit pour réfuter, soit pour étayer un argument”’ 224. Le journal y a recours par deux fois, au lendemain de la “prestation” d’Henri Amouroux lors d’une émission à caractère politique (l’Heure de vérité, avec Harlem Désir - alors président de SOS-Racisme - comme invité) et du jugement intervenu dans le cadre de l’“affaire Fulchiron”. Dans ces deux exemples, la citation-preuve n’entraîne cependant pas les mêmes effets. Pour ce qui concerne Henri Amouroux, présenté d’emblée comme membre de l’Institut, journaliste au Figaro-Magazine et éditorialiste du Journal Rhône-Alpes (références biographiques ayant pour effet d’en faire une figure d’homme “public”, avec tout ce que cela implique en terme de “responsabilités”), il s’agit de montrer que le « parler vrai » dont il se réclame - « Il faut employer les mots qu’il faut quand il faut, ne pas les utiliser n’importe comment, laisser aux choses leur proportion » - ne se trouve pas vérifié dans ses propres dires lorsque, en évoquant ce qui représenterait les quartiers les plus difficiles de France, il cite pêle-mêle « Marseille-Nord... certains quartiers du premier arrondissement de Lyon et Givors ». C’est à ce niveau de son développement que Robert Marmoz convoque des citations faisant office de preuves, qu’elles soient amenées indirectement ou directement :

‘Du premier arrondissement dont les téléspectateurs ont pu penser qu’il s’agissait d’un nouveau Chicago, les élus lyonnais disent eux-mêmes que le grave problème qui s’y pose est... celui du stationnement. Quant à Givors, les policiers du commissariat s’y sont étranglés en découvrant que leur ville est un haut lieu de la délinquance : « Le dernier grave problème de cohabitation que nous avons connu remonte à cinq ans lors d’une fête du PCF. »225

Il est clair qu’ici, l’objectif du journaliste est de discréditer sa cible en mêlant le témoignage à l’ironie, ce que montre bien l’ultime phrase de son billet : « Il avait raison Henri Amouroux - de l’Institut : « Il ne faut pas utiliser les mots n’importe comment ». » (ce que le billet, censé délivrer une morale, aura pris soin d’illustrer a contrario).

Le deuxième texte prenant appui sur une citation-preuve est assurément celui qui correspond le mieux à la définition qu’en a donnée Dominique Maingueneau puisque la preuve est précisément apportée par la justice, via un tribunal correctionnel (parole que nous avons déjà eu l’occasion de qualifier en amont de performative) :

‘Que le lecteur ne s’y trompe pas : la « lourde imprudence » épinglée par le tribunal est plus lourde qu’il n’y paraît. L’expression est presque classique : « lourde imprudence » que celle des bijoutiers Chaumet, « lourde imprudence » que celle de l’ex-ministre Nucci... qui les a conduits où l’on sait, « même si leur bonne foi » était a priori « entière ».226

A la lecture de ces deux phrases qui ouvrent l’éditorial du rédacteur en chef publié au lendemain du jugement, il ressort que le journal ne se contente pas de faire écho à ce qu’a prononcé le président du tribunal correctionnel la veille, mais s’efforce d’en élargir la portée à des affaires précédentes. Plus exactement, il transpose à celles-ci l’attendu du jugement exprimé à propos de la seule “affaire Fulchiron”. Ce glissement ne se limite pas du reste au seul syntagme « lourde imprudence » mais également aux deux autres fragments entre guillemets qui apparaissent dans le passage susmentionné. Le texte original est ainsi composé : ‘“ATTENDU (...) qu’il [Roland Fulchiron] s’est ainsi placé dans une situation telle qu’il peut être ainsi suspecté, même si sa bonne foi était entière, et si aucun avantage personnel n’était recherché, de faire courir un risque certain à la fonction qu’il tenait de la puissance publique”’ 227. On voit que la transposition oblige le rédacteur en chef à modifier le message initial en substituant « leur » à “sa”. Mais ce n’est pas tout. Par le fait d’intercaler « a priori » entre “bonne foi” et “entière” et de signaler au lecteur que cet ajout - non placé entre guillemets - est de sa responsabilité, le journal donne la possibilité au lecteur d’inférer l’idée selon laquelle le délit est constitué, par-delà la “bonne foi” et le jugement rendu. René-Pierre Boullu fait d’ailleurs un nouvel usage de l’expression « lourde imprudence » à la fin de son éditorial :

‘Quant à ceux qui s’étonneraient qu’un tribunal puisse ainsi mettre en cause « la lourde imprudence » d’un élu sans que l’Etat ne lui en demande ouvertement des comptes au nom « du peuple français », nous ne pouvons que leur rappeler la notion difficile « d’opportunité » des poursuites judiciaires qui guide le Parquet.’

Il est ici fait référence aux principes qui guident le parquet, à tel point que l’on pourrait avancer que les guillemets employés - « du peuple français », « d’opportunité » - sont directement en prise avec l’institution, dans l’esprit et dans la lettre. Ce qui anime Lyon-Libération, c’est au final d’indiquer les moyens qui sont à la disposition de la justice pour faire en sorte que Roland Fulchiron rejoigne effectivement le rang de ceux qui, répondant des mêmes accusations (selon l’effet d’amalgame voulu par le journal), ont été condamnés en conséquence. C’est en cela que le message semble avant tout destiné au procureur de la République, sous une forme dont nous pensons qu’elle n’est pas sans s’inspirer, de façon sous-jacente, du mode de composition des attendus de jugement. Il suffit du reste de paraphraser le court texte - titré “L’affaire glissera-t-elle sur le parquet ?” - que le journal a publié le lendemain de l’audience, en marge du compte-rendu, de l’éditorial et des réactions dans la classe politique, pour mettre au jour une certaine analogie dans la démarche. Nous pensons d’ailleurs que le caractère opératoire de cette mise en parallèle illustre la position de Jean-Blaise Grize selon laquelle les attendus de jugement sont de facto des discours argumentatifs228. En respectant l’esprit de l’article tel qu’il a été publié, la progression est la suivante (on trouve entre crochets l’expression qui appartient en propre aux attendus de jugement et qui n’est bien sûr pas avérée ici, tandis que le fragment final, entre parenthèses, est de l’ordre de l’implicite) :

Il est clair que dans ce dernier cas, qui n’a aucun équivalent ailleurs dans la production du journal, il y a une double visée dénonciatrice, à l’encontre de celui qui est jugé comme de celui qui est censé rendre la justice. Comme on l’a vu, le recours à la parole de l’autre peut être mis en oeuvre à des fins polémiques qui recouvrent elles-mêmes différentes stratégies du journal à l’égard de ces opérateurs citationnels particuliers que sont les guillemets, selon l’expression de Catherine Kerbrat-Orecchioni230. Il y a cependant une manière d’invariant dans les exemples qui ont été présentés puisque tous se ramènent en effet à une mise en cause d’acteurs qui sont partie prenante, d’une manière ou d’une autre, de la société lyonnaise. On remarquera toutefois que ceux qui sont issus de la classe politique prédominent, ce qui nous amène à affirmer que le registre polémique, dès lors qu’il prend appui sur du dire qu’il convient de publiciser, sert prioritairement à Lyon-Libération dans son discours assumé de la première période à remettre en cause la loi proxémique ainsi définie par Michel Mathien : ‘“Plus un organe de communication de masse est proche de ses sources habituelles d’information, moins il peut évoquer des faits ou des événements les compromettant”’ 231. Il est une situation polémique qui n’a pas été approchée ici dans la mesure où elle l’avait été au moment de passer en revue les contextes récurrents de« certainement », c’est celle dans laquelle le journal extrait du programme défendu par Florent Dessus (en vue d’accéder à la présidence de la fédération radicale du Rhône) le terme “lyonnitude” afin d’avancer que « cette « lyonnitude »-là [celle prônée par la confrérie des Boyaux rouges] n’est certainement pas toute la « lyonnité » »232. En fait, le billet de René-Pierre Boullu qui contient ce passage et l’éditorial qu’il a signé au lendemain du jugement du tribunal correctionnel ne sont séparés que par deux jours. A l’intérieur de ce dernier, on trouve trace une nouvelle fois de la confrérie en des termes similaires - « Décidément, pas plus que les beuveries des Boyaux rouges, le mélange des genres ne définit plus la « lyonnité » moderne » - même s’il paraît clair que l’objectif du rédacteur en chef est ici de grossir un peu plus encore les rangs de ceux dont les pratiques “lyonnaises” (il y est encore question d’« usages locaux ») appartiendraient au passé, de la même façon qu’ailleurs Georges Delangle utilise le terme « convivialité » mal à propos ou qu’Henri Amouroux, sous couvert de « parler vrai », tient des affirmations qui se révèlent fausses.

Notes
212.

Journalisme..., op. cit., p. 136.

213.

L’analyse du discours, op. cit., p. 143.

214.

Sénat et graton, 29 septembre 1986.

215.

La ville à laquelle s’applique cette description n’est cependant pas en reste puisque le conducteur en provenance du sud de la France ou des Alpes est averti, tandis qu’il aborde Lyon, qu’il pénètre dans l’aire, précisément, de la “capitale des Gaules” ou d’une “cité romaine”. Rappelons au passage que par descriptions définies on entend, depuis Bertrand Russell, “les expressions comportant un nominal (nom, nom + adjectif, nom + relative, nom + complément, etc.) accompagné d’un article défini (« le livre, le livre que j’ai acheté... »)”, définition étendue aux tournures avec possessif, « le livre qui est à moi » fonctionnant en effet comme paraphrase de « mon livre » (cf. Oswald Ducrot et Jean-Marie Schaeffer, Nouveau dictionnaire des sciences du langage, Paris, Seuil, 1995, p. 306).

216.

On trouve cependant ailleurs, dans la première période, le fragment suivant : « La rumeur lyonnaise (...) continuera de « trabouler » de bouche à oreille (...) ».

217.

Sans compter les fois où il est permis d’identifier l’origine de ce qui est cité : « comme dit le pape »,
« comme disent les employeurs », « comme dirait de Gaulle », etc. La forme « comme » est du reste surreprésentée dans la première période (+4).

218.

L’énonciation de la subjectivité..., op. cit., p. 158. Pour une présentation approfondie des mécanismes en jeu dans ce type de discours, cf. le n° 9 de la revue Linguistique et sémiologie (1980).

219.

L’analyse du discours, op. cit., p. 136.

220.

Lyon, sous-préfecture internationale ?, Editorial Robert Marmoz, 24 avril 1987.

221.

Le journal quotidien, op. cit., p. 144. Dans l’optique de l’auteur (en phase avec l’école de Greimas), un “actant” est un locuteur dont le “dire” est un “faire” : “l’actant a un intérêt stratégique à produire un discours et celui-ci peut être considéré comme une intervention dans le jeu des interactions de l’espace public” (idem, p. 131).

222.

L’analyse du discours, op. cit., p. 140.

223.

Les moralistes de la rosette, Billet François Werner (pseudonyme de Jean-François Abert réservé pour la chronique culinaire), 26 janvier 1987.

224.

Dominique Maingueneau, L’analyse..., op. cit., p. 138.

225.

Le parler vrai d’Henri Amouroux, Billet Robert Marmoz, 21 août 1987. Il semble bon de rappeler que Robert Marmoz, qui précise encore à l’appui de son raisonnement que Givors est la commune du Rhône qui a connu en 1986 le taux le plus faible de « délinquance », a été de 1979 à 1982 chef d’agence du Progrès dans cette commune.

226.

Au Carrefour du développement de Lyon, Editorial René-Pierre Boullu, 1er juillet 1987.

227.

Tribunal correctionnel de Lyon, jugement n° 6899 du 30 juin 1987, p. 7.

228.

De la logique à l’argumentation, Genève-Paris, Librairie Droz, 1982, p.136.

229.

D’après ce que nous en savons, le parquet n’a pas jugé bon d’engager des poursuites. La position de ne pas punir un délit peut être motivée, comme le rappelle le journal, par le trouble à l’ordre public qui serait sinon susceptible d’intervenir.

230.

L’énonciation de la subjectivité..., op. cit., p. 166, ouvrage dans lequel l’auteure fait part du comportement “incroyablement cavalier” du discours journalistique à l’égard des citations, ce que l’on a pu vérifier dans l’éditorial de René-Pierre Boullu publié au lendemain du jugement intervenu dans l’“affaire Fulchiron”, même si, comme on l’a vu, cette manière de procéder dans ce cas précis a été mis au service d’une stratégie d’élargissement.

231.

Le système médiatique. Le journal dans son environnement, Paris, Hachette, 1989, p. 225.

232.

Ce type de citation n’est pas sans rappeler la “connotation autonymique” dont il a été question en amont à propos du terme “convivialité”.