4.1. Première et deuxième périodes : concession et opposition

Le terme « malgré » se trouve fortement sur-employé dans la première période (+5.5) [-2.8 et -2.2 pour les deux périodes suivantes]. On y relève encore la spécificité de « pourtant » (+2.9) [-2.8 pour la période 2]. La deuxième période, quant à elle, fait un usage accru de « mais » (+3.7) [sous-utilisé dans la période 3 : -4.5]. Ce qui reste commun à ces trois formes, c’est qu’elles intègrent une construction restrictive qui met en présence deux assertions : l’assertion restrictive par elle-même, mais aussi une assertion de base sans laquelle la première n’a aucune raison d’être237. On sait que Jean-Claude Anscombre et Oswald Ducrot maintiennent depuis plusieurs années leur description des énoncés du type p mais q en affirmant que ‘“le premier segment (p) est présenté comme un argument pour une certaine conclusion (r), et le second pour la conclusion inverse”’ 238. Avec « mais » dans notre corpus, nous sommes en présence d’une simple opposition (« pourtant » relève du même processus), là où « malgré », en étant situé devant l’assertion de base, relève de ce que Patrick Charaudeau a dénommé une “restriction concessive” :

‘On peut ici parler à juste titre de “Concession”, dans la mesure où le relateur qui introduit l’assertion de base a pour fonction de donner pour acquise la vérité de cette assertion (et donc le sujet parlant concède cette vérité, serait-ce provisoirement).239

En recourant massivement à « malgré » dans son discours éditorial de la première période, le journal concède à chaque fois une vérité qu’il présente comme certaine, ce qui n’est pas sans produire un effet d’évidence chez le lecteur qui, au bout du compte, peut ne rien trouver à redire au fait que le contenu qu’on lui assène comme une certitude est cependant “discutable”.

Près de la moitié des occurrences de « malgré » avérées dans la première période (12 sur 27) prennent place dans un contexte discursif ayant pour thème Lyon ou un groupe, voire une institution (plus rarement un être abstrait), lyonnais. Nous allons passer en revue ces énoncés tels qu’ils se sont succédé dans le discours assumé de Lyon-Libération en procédant comme au moment d’aborder « il faudra », autrement dit en conservant du texte original son esprit à défaut d’une transposition fidèle240 :

MALGRÉ
(1) l’effervescence créatrice des vidéastes lyonnais la télédistribution généralisée reste vide de contenu et sans idée de programmation.
(2) la terrible crise des vocations religieuses l’Eglise lyonnaise a les pieds sur terre, bien plantés dans le terreau local.
(3) les atouts de Faloun, site suédois détenant le plus grand nombre de refus quant à une candidature à des JO d’hiver, la Savoie a ses chances (et avec elle les dizaines de milliers de skieurs lyonnais qui l’envahissent chaque hiver).
(4) ses pistes coincées aux entournures même Genève fait de l’ombre à Satolas.
(5) les promesses électorales faites naguère, et qui ont crevé comme des “bulles” plusieurs générations qui se reconnaissent dans cette culture musicale qu’est le rock sont toujours frustrées.
(6) les “exploits” réalisés par Gerland et la Sems de Grenoble les industriels lyonnais ne font pas exception à la règle (qui veut que les Français rencontrent des difficultés pour s’implanter sur le marché chinois).
(7) ses ambitions Lyon conserve quelques prédispositions à l’endormissement général.
(8) ses autoproclamations internationales Lyon paraît décidément vouée à une frilosité sous-préfectorale.
(9) les bons offices du Franc-comtois Edgar Faure Marseille et Lyon n’ont toujours pas réussi à se frayer leur propre voie vers l’Europe.
(10) une tradition lyonnaise qui est de se féliciter du fait que l’Etat se soit opposé à l’institution d’une véritable université à Lyon Lyon s’est réclamée d’être une ville de culture (c’est bien le moins).
(11) toutes les compensations que Lyon a su s’inventer grâce à ses prêtres et ses toubibs son éclat intellectuel est demeuré longtemps en dessous de la “normale”.
(12) le poids ici d’une certaine tradition l’IVG se pratique à Lyon comme ailleurs.

L’emploi de « malgré » oblige le lecteur à en déduire que ce qui suit (ou ce qui précède dans le cas de la tournure q, malgré p) est placé sur le pôle opposé de celui de l’assertion de base. Que celle-ci dégage une valeur négative, et l’assertion restrictive sera obligatoirement lue comme positive, et vice-versa241. On peut ainsi remarquer le clivage entre « vidéastes » (1), « Eglise » (2) et « skieurs » (3) lyonnais, qui s’inscrivent dans le registre positif alors même que leur emplacement est variable (au niveau de l’assertion de base pour (1), de l’assertion restrictive pour les deux autres) d’une part et « industriels lyonnais » (6), qui prend place dans le pôle négatif, d’autre part. Si l’on adjoint à cette dernière catégorie l’énoncé (5), dans lequel la municipalité lyonnaise est présente de façon implicite, l’utilisation par Lyon-Libération de la forme concessive « malgré » entraîne au bout du compte un hiatus entre entité lyonnaise issue de la société civile ou religieuse d’un côté et entité lyonnaise relevant d’univers “institutionnels” (la politique et l’économie) de l’autre. Cette répartition des “rôles” entraîne un double effet : d’une part le discours du journal dissocie ceux des membres appartenant à des groupes sociaux particuliers (y compris l’Eglise) des conséquences d’une situation plus générale dans laquelle ils se trouvent engagés à un moment donné, de l’autre il associe directement municipalité et industriels aux conséquences de leurs actes. Si la télédistribution reste vide de contenu et sans idée de programmation, cela n’enlève rien à l’esprit créatif des vidéastes lyonnais (au lendemain de l’accord que la municipalité a conclu avec le ministre des Télécommunications pour l’installation de réseaux de télévision câblée dès 1987) ; s’il existe une crise des vocations religieuses, elle n’empêche pas l’Eglise lyonnaise d’avoir fait de la visite du pape une réussite et s’il n’est pas permis, enfin, aux skieurs lyonnais d’apprécier les JO à Albertville en 1992, ce n’est pas au final à eux qu’il en incombera la responsabilité mais aux membres de la 91ème assemblée du Comité international olympique242. Par contre, si une frustration naît dans une frange élargie du public - le journal refuse en effet d’y voir seulement un « problème de jeunes » -, elle prend son origine dans les promesses non respectées par l’exécutif local de construire une salle réservée aux concerts de rock (avant la destruction du Palais d’hiver de Villeurbanne) et si les industriels lyonnais ne parviennent pas à pénétrer le marché chinois, alors même que le technopôle de Gerland représente une réussite, ils le doivent en partie à « leur manque d’imagination commerciale » (en marge de la demande en jumelage de la ville de Canton)243. Mais il est un autre énoncé, le (10), qui nous semble posséder un contenu digne d’intérêt en ce qu’il positionne sur deux pôles opposés « une tradition lyonnaise » et « Lyon »244. Le fait que les deux assertions reliées ici renvoient au macro-actant Lyon, l’impression est donnée au lecteur que le destinateur « Lyon » a su se réclamer d’être une ville de culture en mettant sous l’étouffoir (et par conséquent sans l’éradiquer) l’opposant « une tradition lyonnaise ». Il ressort d’un tel énoncé l’impression que l’enjeu est interne à la ville (ce que renforce encore la tournure pronominale « s’est réclamée d’être »), à l’opposé de l’énoncé qui met en scène « les industriels lyonnais ». Dans celui-ci en effet, l’extérieur est clairement défini (le « marché chinois ») par rapport à un intérieur qui, il est vrai, l’est nettement moins (Lyon ? Rhône-Alpes (il y est question de « la Sems de Grenoble ») ? la France ?). Cette contradiction entre deux assertions impliquant le même macro-actant Lyon est du reste décelable dans les énoncés (7), (8), (11) et (12), Lyon étant repérable sous les possessifs « son » et « ses » ainsi que derrière le déictique « ici »245. Mais si l’énoncé (12) produit le même sentiment d’intériorité que celui perceptible dans l’énoncé (10) - encore que l’expression « comme ailleurs » tend à ouvrir une brêche dans cette construction circulaire -, les trois autres servent avant tout à mettre à l’épreuve les compétences de

« Lyon » et, partant, de ceux qui sont désignés implicitement à travers cette forme propriale, au premier rang desquels la classe politique locale :

  • (7) malgré son vouloir-faire +, Lyon faire - ;

  • (8) malgré son vouloir-être +, Lyon paraître - ;

  • (11) malgré son savoir-(se) faire +, Lyon être -.

Nous sommes donc en mesure d’affirmer que la position de Lyon-Libération en la matière est parfaitement opposée à l’attitude qui a cours dans la presse quotidienne régionale.

Le terme “argumentatif” « malgré » n’est pas le seul à prévaloir dans la première période. C’est aussi le cas de « pourtant ». On a eu l’occasion d’indiquer que ce relateur avait un fonctionnement similaire à « mais » puisqu’il sert à marquer l’opposition simple. Il faut en fait nuancer cette définition. Pourtant n’est synonyme de mais que lorsqu’il ‘“signifie que la vérité de ce qui précède pouvait laisser prévoir que ce qu’affirme la proposition contenant pourtant n’est pas vrai ou ne se produira pas”’ 246. Dans le discours assumé de la première période, les occurrences de « pourtant » qui répondent à cette description sont légèrement majoritaires (20 contre 18). Parmi celles-ci, il ne nous a pas été permis de dégager de contextes privilégiés, sinon peut-être à l’égard de l’“événement” que constitue le procès de Klaus Barbie. Bien que seulement 4 occurrences de « pourtant » soient en jeu dans ce cadre, il nous semble qu’elles indiquent malgré tout la volonté du journal de “problématiser” l’événement, comme dans l’extrait suivant :

‘Les crimes de Barbie outrepassent la commune mesure, mais on a voulu faire du procès de Lyon un symbole. Le droit démocratique ne peut pourtant connaître que des individus et des règles. Barbie est ainsi jugé comme le vulgaire voleur de pomme qu’il n’était pas.247

Le sur-emploi de « mais » dans la deuxième période nous a amené à procéder en plusieurs étapes. Après un premier passage en revue des 183 occurrences qui jalonnent cette partie de notre corpus, nous avons cru déceler une répétition non négligeable de l’expression « mais aussi ». Le calcul des écarts réduits de ce syntagme est venu confirmer notre impression initiale (+3.4 pour la période 2). Cependant, la lecture de chacun des contextes discursifs de cette polyforme nous a surtout permis de constater que le journal en a fait usage en des circonstances fort diverses. En poursuivant plus avant, nous nous sommes rendu compte du caractère particulièrement récurrent d’un type de progression : certes... mais. Si nous n’avons pas porté notre regard immédiatement sur elle, c’est parce que la forme « certes » est banale dans la deuxième période. Indication qui aurait dû suffire du reste à nous faire abandonner cette voie, sauf à relever également les cas où « évidemment », « bien sûr » ou « sans doute » - pour ne citer que les plus fréquents - se substituent à « certes » devant l’assertion de base, en lui conservant une valeur de concession. A partir de ce critère, il nous a été possible de mettre au jour une posture particulière du discours éditorial de Lyon-Libération n’ayant pas d’équivalent aussi prononcé ailleurs dans les autres périodes : la construction « Certes (« sans doute », « évidemment », « bien sûr »...)... mais » en prise avec un dire, soit directement (il occupe la place de l’assertion de base), soit indirectement (l’assertion de base sert à le commenter), soit même encore après que ce dire eut été transformé en faire par le journal. Ce sont ces trois niveaux d’articulation que nous aimerions approfondir maintenant. Mais auparavant, il nous semble bon de les projeter sur une ligne horizontale afin de rendre visibles les acteurs-sujets de dire qui leur sont rattachés.

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Les acteurs collectifs se répartissent aux deux extrémités de cette ligne horizontale tandis que les acteurs individuels, clairement identifiables, se concentrent essentiellement dans la catégorie intermédiaire. Nous avons précisé en amont qu’un dire pouvait être transformé en faire par le journal. Il faut entendre par là que le journal supprime toute trace de discours original qu’il se donne de répercuter, mais n’en abolit pas pour autant l’évocation en usant d’un verbe déclaratif ou d’un verbe mixte248. Le discours éditorial de la deuxième période fait privilégier Michel Noir et la direction des transports en commun lyonnais de ce genre d’énoncé qui est propre au journal et, de ce fait, qui privilégie son interprétation d’une parole originelle plutôt que sa reproduction mimétique (ou se donnant comme telle) :

‘Certes, [Michel Noir] revendique son appartenance au parti de Jacques Chirac, mais du bout des lèvres, sans forfanterie.
Certes, Michel Noir a attendu le lendemain des élections pour faire son annonce [selon laquelle une mosquée sera construite à Lyon], mais qui lui reprochera d’avoir évité d’apporter de l’eau au moulin de Le Pen ?
Certes les TCL ne sont pas la première entreprise à hériter d’un médiateur. Mais la direction a semblé s’appliquer à justifier la désignation de ce dernier.
Certes [Sytral comme TCL] ont demandé et obtenu - après avoir par leur maladresse fait sans doute capoter le scrutin de reprise du travail - l’autorisation de faire débloquer les dépôts, et donc de rendre à la ville ses bus. Mais ils ont aussitôt annoncé qu’ils n’useront pas de ce droit.249

Lorsque la figure de la restriction fournit au journal l’occasion d’intercaler un commentaire sur un propos entre la reproduction de celui-ci et l’assertion restrictive proprement dite, le locuteur en question est nommé et, à ce titre, parfaitement identifiable. On pourrait penser que dans ce genre de tournure, et à la différence de l’effacement d’un dire originel comme dans ce dont il vient d’être question, le journal montre au lecteur l’opération d’interprétation à laquelle il se prête. L’essentiel nous semble pourtant ailleurs. En développant une progression de ce type, le journal se donne tout en même temps les moyens de reproduire un énoncé originel (mais rarement dans sa forme originale) et d’en indiquer la faiblesse de l’argumentaire, ce qui lui sert par la suite de socle :

  • soit pour développer un argument ad hominem, comme dans les enchaînements suivants :
    • Lettre aux Lyonnais (dire d’André Soulier) -> évidemment les critiques formulées méritent considération -> mais son auteur a pêché par omission, en omettant les aspects positifs de la situation de la ville et « en faisant mine d’oublier qu’il figure parmi les principaux responsables de cette gestion municipale »250 ;

    • L’absence de mobilisation dans la région pour les élections européennes incombe aux rénovateurs (pseudo-dire des giscardiens) -> il est vrai que ceux-ci n’ont pas fait beaucoup pour mobiliser l’électorat -> mais Giscard non plus251 ;

  • soit pour mettre en avant son propre raisonnement (il n’est d’ailleurs pas innocent que le discours du journal soit émaillé de termes comme « explication » ou « raisonnement » justement), à l’instar de l’extrait qui suit : ‘« Donnez-nous notre quote-part du budget de l’Etat, et nous saurons - à l’abri du centralisme parisien - préparer l’épreuve européenne », dit en substance Charles Béraudier. Il a évidemment de bonnes raisons de se plaindre d’un jacobinisme perpétué d’un gouvernement à l’autre. Mais le raisonnement est un peu court.252

Et le journal de faire valoir ensuite que si Lyon n’a pas su se préparer de façon plus concrète à l’échéance de 1992, ce n’est pas uniquement à cause du centralisme mais sans doute aussi faute de « visionnaires », rôle que pourraient remplir « hommes politiques ou acteurs économiques » s’ils ne restaient « trop préoccupés par l’analyse des symptômes d’un déclin mille fois prédit ». Un autre commentaire commence de la façon suivante :

‘Il ne sert à rien de s’agiter sur sa chaise en disant « Lyon est une métropole internationale ! »... Certes. Mais à force de marteler l’antienne européenne, les élus de tous bords ont fini par convaincre, sinon de leurs capacités à conduire Lyon à l’assaut de Milan ou Barcelone, du moins de l’inéluctabilité de la chose.253

La première phrase de ce passage n’est pas sans parenté avec l’extrait précédent, ou du moins avec le début de l’article qui jouxte le billet où il se trouve : ‘“Pour cette première européenne - la signature hier à Stuttgart d’un memorandum de coopération entre quatre régions amies - Charles Béraudier avait ressorti son De Gaulle. « Il ne suffit pas de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant vive l’Europe, il faut la faire. »”’. Si l’énoncé originel de De Gaulle est transposé de manière assez fidèle dans la bouche du président du conseil régional, il est clair que par la suite ne se maintient que la structure du propos de départ, « Lyon » ayant pris la place de « l’Europe » et « il faut la faire » restant à l’état d’implicite (« ... »). Autre changement de taille, et alors même que Charles Béraudier est décédé entretemps, un glissement s’est opéré dans la nature du locuteur, qui d’individuel est devenu générique (« les élus de tous bords »). Mais il y a aussi dans cet extrait ce qui nous semble représenter une anomalie discursive : les guillemets indicateurs de discours rapporté ne portent que sur un fragment de la phrase et non sur sa totalité, comme il eût été normal qu’on l’attende d’une reprise, même infidèle, d’un énoncé initial. Au bout du compte, on a le sentiment étrange que le rédacteur en chef s’accorde à lui-même une concession (dans laquelle il serait fait usage du pseudo-propos rapporté « Lyon est une métropole internationale ! ») et que, d’une certaine façon, on est raccordé directement à sa pensée plutôt qu’au dire d’un autre (ou d’autres). Plus concrètement, la généralisation « les élus de tous bords » n’en est pas une à proprement parler puisqu’elle en exclut de fait un : le maire sortant Francisque Collomb, dont le décalage dans les sondages entre l’image de sa gestion et les intentions de vote à son égard sert au journal, via les « électeurs sondés », à laisser entendre sa défaite et ce, à quelques jours du premier tour des élections municipales.

Dans d’autres énoncés, il semble que ce sont les lecteurs que le discours assumé du journal met en scène en faisant mine de rapporter leur dire de manière indirecte, en particulier lorsqu’il s’agit de construire leurs réactions à l’égard de la « transparence » :

‘Certes, les plus sceptiques pourront toujours douter de la crédibilité des déclarations [nous avons fait l’hypothèse qu’ici le “doute” s’exprimait “de vive voix”]. Mais rendre public, c’est déjà prendre des risques, que tous - à l’exception du cercle rapproché de Raymond Barre - ont pris. [Dans le cadre du début de la session extraordinaire du Parlement sur le financement des partis et la “transparence” du patrimoine des élus, Lyon-Libération a demandé aux principaux élus “locaux” de fournir la liste de leurs biens mobiliers et immobiliers. Dans le présent énoncé, le journal en vient à évoquer ses propres choix éditoriaux, si bien que la « transparence » prise comme thème de discours se double d’une “transparence” pour ainsi dire “sur le tas”.]
Les sceptiques diront qu’un adjoint aux « droits du citadin » - fut-il avocat - ne suffit pas à garantir la démocratie municipale. Certes, mais l’innovation de Michel Noir garantit au moins une chose : ceux qui auront à se plaindre de l’arbitraire municipal, ou du brouillard qui nimbe trop souvent la politique municipale auront un interlocuteur, l’adjoint à la « transparence ». [Après la nomination par Michel Noir de l’avocat Alain Jakubowicz comme adjoint pour les “relations avec les administrés et relations interculturelles”.]254

Oswald Ducrot a décrit la construction certes...mais comme un énoncé complexe mettant en scène deux énonciateurs. Dans la partie de l’énoncé introduite par mais est accompli ce que l’auteur nomme un acte “primitif” d’affirmation argumentative, tandis que dans celle contenant certes (auquel nous ajoutons pour notre part les termes à valeur de certitude du type de ceux que l’on a rencontrés) est réalisé ce qu’il appelle un acte “dérivé” de concession : ‘“il consiste à faire entendre un énonciateur argumentant dans un sens opposé au sien, énonciateur dont on se distancie (tout en lui donnant (...) une certaine forme d’accord)”’ 255. Mais l’auteur va plus loin en ajoutant que de cet acte on tire profit puisque, grâce à sa concession, ‘“on peut se construire le personnage d’un homme à l’esprit ouvert, capable de prendre en considération le point de vue des autres : tout le monde sait que la concession est, parmi les stratégies de la persuasion, une des plus efficaces, essentielle en tout cas au comportement dit « libéral »”’ 256. En paraphrasant Oswald Ducrot, il nous semble pouvoir admettre à notre tour la “libéralité” de Lyon-Libération dans son discours assumé de la deuxième période, mais à l’aune des nuances que nous avons cru bon devoir éclairer et dont on retiendra surtout que, parmi les acteurs de la classe polique surreprésentée dans ce type de restriction, c’est Michel Noir qui s’en éloigne le plus tant son dire est prioritairement donné à lire comme un faire.

Notes
237.

Cf. Grammaire du sens et de l’expression, op. cit., p. 514.

238.

Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Paris, Minuit, 1984, p. 229.

239.

Grammaire du sens..., op. cit., p. 518. C’est l’auteur qui souligne.

240.

Par souci de cohérence, nous avons placé les assertions de base - celles qui se trouvent être précédées par « malgré » - dans la même colonne, alors que le texte original comporte aussi bien des constructions du type malgré p, q que du type q, malgré p.

241.

Patrick Charaudeau rappelle à juste titre que négativité et positivité ne relèvent pas de la morale mais sont directement issue du rapport d’opposition entre les deux assertions qui sont à la base de telles constructions.

242.

Réseaux (Editorial Pierre Size), Feux d’artifices et Les jeux sont faits (Editoriaux René-Pierre Boullu), respectivement 16 septembre, 6 et 13 octobre 1986.

243.

Rock : le non lieu et Transferts, Editoriaux René-Pierre Boullu et Michel Lépinay, 28 octobre 1986 et 18 décembre 1986. L’accord de jumelage entre Canton et Lyon a été signé le 5 avril 1988.

244.

Retour à la normale, Editorial René-Pierre Boullu, 15 septembre 1987 (en marge de la rentrée des premiers élèves de l’Ecole normale supérieure “délocalisée”).

245.

L’énoncé (11) fait partie du même éditorial que l’énoncé (10) déjà mentionné. Les références des trois autres sont respectivement : Touche pas à mes Pentes, Editorial René-Pierre Boullu, 13 avril 1987 (après un raid d’un commando d’extrême-droite sur les Pentes de la Croix-Rousse), Lyon, sous-préfecture internationale ?, Editorial Robert Marmoz, 24 avril 1987 (polémique entre le journal et l’adjoint aux sports, cf. supra) et Pub, Editorial René-Pierre Boullu, 30 septembre 1987 (en marge du guide pratique de l’avortement à Lyon que publie le quotidien de ville).

246.

Trésor de la langue française, tome 13, entrée “pourtant”, p. 961. Dans les autres cas, pourtant sert à indiquer que la phrase qui le comporte représente une objection de nature à mettre en doute la vérité de ce qui précède.

247.

Pseudo-présence, Editorial Gérard Dupuy, 27 mai 1987.

248.

Maurice Mouillaud désigne de la sorte un verbe constitué d’un sème déclaratif et d’un sème factitif (“dire” + “faire”), agrémenté de manière facultative d’un sème axiologique, comme dans “exhorter” ou “avouer” (Le journal quotidien, op. cit., p. 142).

249.

Respectivement Rase campagne et L’inévitable choix de Michel Noir, Commentaires Michel Lépinay, 3 mars 1989 et 21 juin 1989 ; Malentendus et Perdants, Billets Michel Lépinay, 14 et 16 novembre 1988.

250.

Divorce à la mairie, Billet Michel Lépinay, 17 juin 1988.

251.

Cap sur l’Europe des régions ?, Commentaire Michel Lépinay, 16 juin 1989.

252.

Objectif 1992, Billet Michel Lépinay, 10 septembre 1988 (au lendemain de la signature par le président du conseil régional d’un accord de coopération avec la Catalogne, la Lombardie et le Bade Wurtenberg, tandis que l’Expansion publie un “banc d’essai” des villes françaises les plus dynamiques économiquement, dans lequel Lyon figure en 23ème place sur 55).

253.

Commencer par ouvrir les portes, Commentaire Michel Lépinay, 4 mars 1989.

254.

Transparence ? et Garde-fou municipal, Billet et Commentaire Michel Lépinay, 2 février 1988 et 31 mars 1989.

255.

Le dire et le dit, op. cit., p. 230.

256.

Idem, pp. 230-231.