1.2. L’interprétation des plans-graphiques

Derrière ‘“son apparente naturalité cognitive”’, pour reprendre une expression de Paul-André Rosental, l’instrument qu’est l’AFC peut s’avérer à risque si justement l’on s’en tient à ce que l’on voit des rapprochements de points à l’intérieur d’un graphique :

‘Le contraste entre l’immédiateté graphique de la représentation d’une proximité physique entre attributs, comportements voire individus, et la complexité de l’objet, pluri-dimensionnel, qu’elle s’efforce de représenter, fait de l’analyse factorielle un outil particulièrement périlleux à manier.288

Il est donc impératif de ne pas s’en tenir à une lecture perceptive des plans factoriels, autrement dit à une lecture qui s’affranchirait des quelques règles élémentaires qui en conditionnent la validité. Trois au moins sont à respecter :

  • les proximités entre formes - ou entre périodes - ont d’autant plus de sens que les points sont éloignés de l’origine des axes (autrement dit que leur distribution est éloignée du profil moyen) ;

  • à moins d’une position très différente sur un autre axe, on peut estimer que deux formes proches sur un axe sont employées dans une même période. Dans le cas, plus rare cependant dans nos analyses, où ce sont deux périodes qui se trouvent rapprochées, on peut en déduire qu’elles privilégient les mêmes formes ;

  • à moins d’une position très différente sur un autre axe, une forme est employée dans une période plus fréquemment que la moyenne si l’une et l’autre s’éloignent conjointement sur un axe (ou plus exactement le long d’un axe).

L’interprétation des plans-graphiques ne peut cependant se contenter de ces seules précautions. Un commentaire sera d’autant plus juste qu’il prend appui sur les aides que délivre l’ordinateur sous forme de listes de chiffres. Ces listes fournissent pour chaque forme et pour chaque période :

  • leurs coordonnées : c’est à partir du signe qui les accompagne que l’on est à même de déterminer sur quel côté de l’axe interviennent les points. Le premier axe - horizontal - se lit de gauche à droite, autrement dit du côté négatif au côté positif. La même opération se réalise sur le deuxième axe, perpendiculaire au premier par le centre de gravité. Dans ce cas, la lecture du négatif au positif s’effectue de bas en haut (en faisant pivoter le plan de 90 degrés dans le sens des aiguilles d’une montre, on obtient une lecture de gauche à droite similaire à celle du premier axe) ;

  • leurs contributions relatives (ou COR) : elles indiquent la contribution relative d’un facteur à une forme (ou à une période) ;

  • leurs contributions absolues (ou CTR) : elles indiquent la contribution relative d’une forme (ou d’une période) à un facteur.

Ce sont ces deux derniers critères qui vont nous intéresser au premier chef. Ce sont eux en effet qui vont permettre de dresser avec précision le rôle des différents “acteurs” dans l’élaboration des graphiques :

‘Ce sont toutes deux des contributions relatives, mais il y a entre elles une différence essentielle : alors que COR est la part du facteur dans l’explication de l’écart d’une forme au centre de gravité du nuage, CTR est la part de la forme dans la constitution de l’axe factoriel.289

Il est important, d’autre part, de noter avec Simone Bonnafous que ‘“si un élément contribue à créer un axe, il sera aussi fortement expliqué par lui’ ‘. Mais l’inverse n’est pas toujours vrai’ ‘”’ 290. C’est en cela que la première démarche devant les listes de chiffres fournies par l’ordinateur consiste à repérer les éléments (formes et périodes dans notre cas) dont les CTR sont les plus fortes. L’examen des COR n’est pas à négliger pour autant. Il y a au moins deux raisons à cela :

  • lorsque pour un élément donné CTR et COR sont fortes, cela veut dire que cet élément est pratiquement aligné sur l’axe correspondant ;

  • dans les cas où un élément a une COR forte et une CTR faible (c’est-à-dire une CTR dont la valeur est inférieure à la CTR moyenne), on peut dire qu’il contribue peu à l’explication de l’axe mais qu’il est est bien aligné sur lui, autrement dit qu’il l’“illustre”291.

La “teneur” des CTR est obtenue en divisant la somme des contributions relatives des formes qui rentrent dans un tableau - somme ici toujours égale à 1000 - par l’effectif de ces formes. Dans le cas où une liste de 25 noms propres est fournie à la machine, leur CTR moyenne est égale à 1000/25, soit 40. Dans ce cas précis, seuls les noms propres dotés d’une CTR au moins égale à 40 seront pris en compte. Si le nombre de noms propres soumis à analyse peut varier d’un tableau à l’autre, celui des périodes est identique par définition (elles sont quatre et le restent tout au long du processus). Leur CTR moyenne permanente est donc égale à 250 (1000/4). Les COR moyennes elles aussi ne varient pas d’un tableau à l’autre : leur valeur - on parle encore d’aléa - est de 1000/3 = 333 (on se souviendra que le nombre d’axes factoriels est égal à la plus petite dimension du tableau moins une, soit 3 pour ce qui nous concerne). On considérera donc comme fort un élément dont la COR est au moins égale à l’aléa (333 ou 33,3 %, que l’on arrondira à 33 %).

Chacun des graphiques présentés va être accompagné de deux tableaux : l’un pour le premier axe, l’autre pour le second. Pour chacun d’eux sera mentionnée la valeur propre (ou % d’inertie, c’est-à-dire % d’information extrait du tableau de départ). Les formes propriales, puis à leur suite les périodes, seront réparties dans deux colonnes, selon la nature de leurs coordonnées (côté positif ou côté négatif). Bien que COR et CTR soient présentées simultanément, ce sont les valeurs décroissantes des CTR qui vont déterminer l’ordre d’apparition des noms propres dans le tableau puisque, comme on l’a vu, cette variable est primordiale dans l’interprétation des données. C’est en cela que la CTR moyenne sera indiquée pour les noms propres et pour les périodes (encore qu’elle soit invariable concernant ces dernières : 250). En fin de compte, seules les formes et les périodes qui ont une CTR et/ou une COR significative(s) vont être présentées dans les deux tableaux successifs, lesquels condensent les données chiffrées des deux premiers axes factoriels.

Notes
288.

Paul-André Rosental, Histoire & Mesure, 1997, XII-3/4, p. 195.

289.

Yvon Teneur, Introduction..., op. cit., p. 71. C’est l’auteur qui souligne.

290.

“Le vocabulaire de Metz. Etude quantitative”, loc. cit., p. 90. C’est nous qui soulignons.

291.

Cf. Michel Volle, Analyse des données, Paris, Economica, 1989 (3ème éd.), p. 94.