2.2. Institutions

L’ensemble des éléments opposables sur le premier axe contribuent fortement à sa construction, à l’exception cependant de « JRA » (Journal Rhône-Alpes), « Assem-blée nationale », « TNP » et « Luchaire », tous du côté négatif, qui apparaissent plutôt comme termes illustratifs (représentés respectivement à 63 %, 67 %, 84 % et 94 % sur l’axe 1). Des deux ensembles de noms propres qui se font face, il est possible de mettre au jour des oppositions entre formes relevant d’un même univers de désignation. Nous avons ainsi relevé les clivages suivants (- versus +) :

  1. « TNP » (Théâtre National Populaire)/« Opéra » versus « Institut-Lumière »/« FNP » (Fondation Nationale de la Photographie) ;

  2. « Troyens » versus « Octobre des Arts »/« KOK » ;

  3. « Libération »/« Lyon-Libération »/« JRA » versus « (le) Monde »/« Que choisir » ;

  4. « CRII-RAD » versus « Mérieux ».

message URL AFC002.jpg
AFC périodes X noms propres d’institutions (fréquence ≥ 3)
Noms propres d’institutions - Axe n° 1 % d’inertie = 46 %
Formes +
(CTR = 18)
COR CTR Formes -
(CTR = 18)
COR CTR
Lyon 2010
COJO
FNP
Wall Street
TCL
KOK
Octobre des arts
Que choisir
Sytral
Mérieux
(le) Monde
(l’) Heure de vérité
Institut-Lumière
Sofres
919
919
919
919
883
918
918
918
983
983
747
771
886
522
77
66
66
54
49
47
47
47
44
36
29
19
18
18
Lyon-Libération
Eglise
Opéra
Nostalgie
Shell
Malville
Normale Sup’
Résistance
Libération
Calixte
CRII-RAD
Lyon I
TF1
(les) Troyens
(le) Journal Rh.-Alpes [JRA]
Luchaire
Assemblée Nationale
TNP
863
606
606
691
691
692
692
692
851
688
688
688
688
688
626
936
667
837
33
30
30
25
25
20
20
20
18
18
18
18
18
18
16
12
9
8
Périodes +
(CTR = 250)
COR CTR Périodes -
(CTR = 250)
COR CTR
Période 2 869 643 Période 1 611 354
Noms propres d’institutions - Axe n° 2 % d’inertie = 37 %
Formes +
(CTR = 18)
COR CTR Formes -
(CTR = 18)
COR CTR
VIIIe
Elysée
Institut-Mérieux
Sugar Cubes
Renaissance (théâtre de la)
Tony-Garnier
Verts [équipe de football]
Lyon III
République
Interpol
Rhône-Poulenc
Satolas
(le) Figaro Magazine
973
995
995
995
995
995
995
955
801
868
868
682
628
88
80
80
80
69
69
69
52
29
24
24
14
6
Superphénix
Eglise
Opéra
EDF
OL
Bourse
JO
788
328
328
734
601
799
422
23
20
20
19
19
14
8
Périodes +
(CTR = 250)
COR CTR Périodes -
(CTR = 250)
COR CTR
Période 3 970 677

Mais ces clivages n’interviennent pas au même degré. Il y a loin par exemple entre les types d’opposition que recèlent b) et d). En b) il s’agit de titres donnés à des manifestations culturelles - les noms propres sont facilement décelables les uns par rapport aux autres à l’aune de cette propriété - tandis qu’en d) le clivage se lirait plutôt sur le mode : association vs entreprise. Comme on a eu l’occasion de le préciser en amont, « Mérieux » est une forme qui n’a pu entrer ni dans le codage permettant de distinguer le père d’un fils ni dans l’expression « Institut-Mérieux », même s’il en est une qui s’en rapproche ici : « institution Mérieux ». Le « Mérieux » de la tournure « quand on s’appelle Mérieux » est une autre des occurrences de cette forme, même si dans ce cas c’est l’impossibilité d’identifier un référent stable - s’agit-il du nom de famille ? du nom de l’entreprise ? - qui a entraîné cette indexation. Il ne paraît pas illégitime cependant de placer en opposition « Mérieux » avec la « CRII-RAD », organisme fondé par la drômoise Michèle Rivasi en 1986 deux semaines après ce qu’il est commun de désigner par “la catastrophe de Tchernobyl”296. Si « Mérieux » est cité dans le discours éditorial de Lyon-Libération en décembre 1987, au tout début de la deuxième période rédactionnelle, c’est en marge d’un article consacré à Bioforce, association que Pierre Mérindol définit comme ‘“force d’intervention sanitaire mise sur pied à l’époque où Charles Hernu était ministre de la Défense”’ 297. L’objet du discours réfère dans les deux cas à une “petite” structure. Mais si la référence à la CRII-RAD permet au journal de se montrer favorable à la philosophie qui anime cette entité - en publiant alors dans ces pages “services” les taux de radioactivité mesurés par l’organisme drômois, Lyon-Libération rend effective la transparence de l’information prônée par la CRII-RAD -, la désignation de Bioforce par le biais de « Mérieux » a pour objet de rendre publiques les conclusions d’un audit de l’inspection des Finances à propos de cette association.

En a), les noms propres « TNP » et « Institut-Lumière », bien que placés de part et d’autre du premier axe factoriel, s’inscrivent dans un même type de discours (ils sont du reste employés par le même énonciateur : Jean-François Abert). Il s’agit d’abord de déplorer l’austérité de la part des pouvoirs publics à l’égard des théâtres (21 novembre 1987), ensuite le gel des subventions municipales dont seraient victimes une quarantaine de compagnies théâtrales, chorégraphiques et musicales (28 février 1989). L’opposition entre titres de journaux pointée en c) instaure une séparation beaucoup plus nette entre d’un côté ceux pour lesquels se pose la question de leur existence et/ou de leur identité (« Lyon-Libération » par rapport à « Libération », le « Journal Rhône-Alpes » vis-à-vis du groupe de Robert Hersant) et de l’autre ceux cités dans le cadre habituel d’une reprise d’information : « Jusqu’à cette élection, sa place sur l’échiquier politique devait tout ou presque à une phrase, extraite d’une tribune dans « Le Monde » : « Il vaut mieux perdre une élection que son âme... » »298.

D’autres clivages peuvent encore se lire sur l’axe 1, même si les noms propres en cause n’ont pas en commun de dépendre d’un même univers de désignation comme dans les exemples qui viennent d’être présentés. Ainsi de l’opposition entre « TF1 » et « Heu-re de vérité » (émission à caractère politique alors diffusée sur Antenne 2) ou d’« Eglise » et « Assemblée nationale » avec « Wall Street », noms propres dont on a vu qu’ils pouvaient être rangés sous la dénomination d’“institutions saillantes”. Les emplois d’« Eglise », et en particulier d’« Eglise lyonnaise », sont condensés autour de la visite de Jean-Paul II d’octobre 1986. La présence d’« Assemblée nationale » est conditionnée par le mouvement étudiant de l’hiver 1986 et les diverses positions ayant cours à l’intérieur du PS avant un comité directeur de synthèse. Cette expression n’est utilisée que dans des tournures descriptives : examen « de la loi réformant les universités à l’Assemblée nationale », retrait du projet de loi sur l’enseignement supérieur « de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale » et « dissolution immédiate de l’Assemblée nationale en cas d’élection d’un président de gauche » (souhaitée par Jean Poperen, ce qui ajoute ici une nuance volitive à la description).

Nous serions tenté de dire que si le graphique oppose de fait les autres formes propriales sur le premier axe, celles-ci n’en ont pas moins pour fonction de particulariser le discours éditorial de Lyon-Libération, plus encore que celles passées en revue jusqu’à présent : la société « Shell » est mise en cause après l’incendie du port Edouard-Herriot de mai 1987, la « Résistance » est convoquée au moment du procès de Klaus Barbie, « Normale Sup’ » apparaît avec l’inauguration de cette institution en partie délocalisée, « Lyon 2010 » est en phase avec la présentation au public de la première mouture de ce document d’aménagement et d’urbanisme, etc. On notera l’emploi à part du nom propre « Calixte » sur le côté négatif de l’axe 1. Cette forme renvoie en effet à ce qu’il convient d’appeler une “institution locale” alors même qu’elle désigne un être animé. Mais c’est précisément parce que cet être est imaginaire qu’on en trouve trace dans l’analyse factorielle consacrée aux institutions. Calixte apparaît dans le titre d’un récit de Jean Dufour écrit au début de ce siècle (Calixte, introduction à la vie lyonnaise) et dans l’entretien que Jean Labasse a accordé à Lyon-Libération. C’est sans doute la raison pour laquelle René-Pierre Boullu utilise ce nom propre dans l’éditorial paru le même jour299. Le journal présente ce texte comme ‘“narrant l’initiation d’un jeune Parisien à la sage médiocrité de la bourgeoisie d’Ainay [quartier de Lyon situé entre Perrache et la place Bellecour] au début du siècle”’ (note au bas de la page 5). Jean Labasse évoque ce personnage de manière moins péjorative lorsqu’il dit que pour l’observateur - parisien ? - Lyon reste ‘“un mélange de traditions internationales et d’esprit convivial”’ 300. C’est en tout cas en tant que directeur de la rédaction du troisième tome de La Géopolitique des régions françaises consacré au sud-est que Jean Labasse est interrogé. Cet acteur, qui est aussi banquier (ce que ne dit pas le journal), fait alors valoir que l’attractivité de la ville nécessite une réurbanisation de son centre-ville et la construction de... buildings dans la Presqu’île, à condition que les quais ne soient pas engorgés par le transit de l’autoroute...

Le deuxième axe est essentiellement construit par la Période 3. La Période 1 joue aussi un rôle par rapport à ce facteur. Les contributions de cette variable sont l’une et l’autre très proches de leur moyenne respective, ce qui nous a amené à les prendre en considération (CTR = 22 % ; COR = 31 %). Cinq noms propres contribuent à l’axe 2 du côté négatif : « EDF », « OL » et « Superphénix », auxquels il faut ajouter « Eglise » et « Opéra » déjà projetables sur le premier axe. « Bourse » et « JO », bien que placés sur l’axe, n’interviennent qu’à titre illustratif (COR de 80 et 42 % respectivement), caractéristique valable pour « Satolas » et « Figaro-Magazine » du côté positif (COR de 68 et 63 %).

Il est possible là aussi de mettre au jour des clivages ressortissant à des formes propriales issues d’un univers désignatif similaire. Si « Eglise » pouvait être opposée à « Wall Street » sur le premier axe, où sa position était proche d’« Assemblée nationale », elle se trouve ici à proximité de « Bourse » et à l’opposée de « République ». Une inversion s’est donc produite qui entraîne un nouveau clivage : institutions religieuse et économique versus institution politique. Le rapprochement d’« Eglise » avec « Bourse » ne paraît pas être limité au seul fait qu’elles appartiennent l’une et l’autre à la catégorie des “institutions saillantes”. C’est aussi leur ancrage à l’espace lyonnais qui est en jeu ici (le 28 septembre 1987, Lyon-Libération consacre trois pages à la place financière qu’est Lyon et à son second marché). Quant à « République », de l’autre côté de l’axe, il serait possible de lui adjoindre « Elysée ». République est en effet placée dans tous les cas à l’intérieur du syntagme « président de la République ». Si cette expression réfère essentiellement au président de la République d’alors - François Mitterrand -, il est une occurrence où elle désigne Valéry Giscard d’Estaing - « un ancien Président de la République » - et une autre qui constitue un cas à part : « Qu’il soit maire de Lyon ou président de la République, tout grand élu a ainsi son domaine réservé »301. Cet emploi est intéressant parce qu’il institue une catégorie vide être président de la République tout en donnant au lecteur les moyens de la combler. Le billet de Robert Marmoz est en effet parcouru de référents qui ne laissent guère de doute sur qui “se cache” derrière une telle description, même si ce “qui” n’est jamais expressément nommé : « Grands Travaux », « Olympe élyséenne », « grande Arche », « Opéra Bastille ». Le même processus pourrait être mis en oeuvre concernant la fonction de maire de Lyon. Mais dans ce cas, et le maire contemporain du discours assumé (Michel Noir) et ses projets d’aménagement (nouveau tunnel sous la Croix-Rousse et place Antonin-Poncet) sont identifiés. Ce qui ressort du billet du rédacteur en chef, c’est que le report d’une rallonge budgétaire pour un projet de gare à l’aéroport de Satolas, voté la veille par le Conseil régional, place le président de la région Rhône-Alpes, Charles Millon, dans une posture ambivalente. C’est en effet la prépondérance de sa voix qui avait abouti à ce que ce soit ce projet plutôt qu’un autre qui soit retenu au final. Du discours du journal, il ressort que si Charles Millon appartient de fait à la classe des « grands élus » (on notera au passage qu’Etat, Région et Ville sont ici placés sur un même pied d’égalité), il n’en a pas moins montré en l’espèce qu’il n’en possédait pas les capacités.

D’autres oppositions sont décelables sur le deuxième axe :

Notes
296.

De Commission régionale indépendante d’information sur les radiations, il semblerait que la signification du sigle ait évolué vers Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité. Un effet de la reconnaissance au niveau national de ce premier laboratoire de mesures indépendant en France ?

297.

Pierre Mérindol, Lyon, le sang et l’encre, Paris, Alain Moreau, 1987, p. 292 (cf. “L’histoire édifiante du groupe Mérieux”, Annexe 2 au chapitre XI, pp. 289-292).

298.

Lisse comme le discours du maire de Lyon, Commentaire Michel Lépinay, 24 mars 1989.

299.

Cf. n° du 3 février 1987, pp. 4-5.

300.

En fait, Jean Dufour appartient à l’ancienne notabilité lyonnaise et l’opposition entre Ainay et les Brotteaux que recèle son roman Calixte est symptomatique, selon Bernard Poche, de la coupure entre bourgeoisie traditionaliste et bourgeoisie moderniste (cf. “Y a-t-il un roman lyonnais ? Une ville, objet ou sujet d’une écriture”, in Espaces et sociétés, 1994, 3/1998, p. 85). Pour cet auteur, Henri Béraud, dont il a été question antérieurement, est au contraire issu de la nouvelle catégorie sociale de “classes moyennes” qui s’est constituée à Lyon dès les années 1910, souvent d’origine non lyonnaise mais régionale (idem, p. 83).

301.

Gifle royale, Billet Robert Marmoz, 5 septembre 1990.