3.2.1. Premier axe : national versus local

message URL AFC004.jpg
AFC périodes X noms propres d’acteurs politiques (fréquence ≥ 3)
Noms propres d’acteurs politiques - Axe n° 1 % d’inertie = 51 %
Formes +
(CTR = 20)
COR CTR Formes -
(CTR = 20)
COR CTR
Leroy
Chalandon
Fulchiron
Devaquet
Marchais
Poperen
Hernu
Pinay
Barnier
Pasqua
Le Pen
977
977
977
977
977
995
871
941
569
591
346
159
150
119
92
92
70
49
35
14
13
4
Noir
Collomb (F.)
Mure
Béraudier
Juppé
Mérieux (A.)
Collomb (G.)
Giscard
Chabert
Jakubowicz
Gerin
Mérieux (C.)
Oudot
Rigaud
Palluy
Pradel
Tapie
824
520
454
453
454
989
927
527
454
454
766
452
452
452
896
609
584
24
16
14
13
9
8
7
7
7
7
6
6
6
6
5
5
4
Périodes +
(CTR = 250)
COR CTR Périodes -
(CTR = 250)
COR CTR
Période 1 958 828 Période 2 377 167
Noms propres d’acteurs politiques - Axe n° 2 % d’inertie = 34 %
Formes +
(CTR = 20)
COR CTR Formes -
(CTR = 20)
COR CTR
Barre
Chirac
Soulier
Mure
Béraudier
Collomb (F.)
Juppé
Herriot
Moulinier
Chabert
Jakubowicz
Pasqua
Barnier
Gollnisch
Mérieux (C.)
Oudot
Rigaud
Giscard
867
646
744
545
546
473
545
930
930
545
545
398
334
630
547
547
547
420
74
56
42
26
23
23
17
14
14
13
13
13
12
11
11
11
11
9
Bernard
Charrier
Dubernard
Botton
Barzach
Terrot
Mercier
Rocard
Carignon
898
898
899
874
898
898
969
986
545
90
76
69
67
59
59
57
32
19
Périodes +
(CTR = 250)
COR CTR Périodes -
(CTR = 250)
COR CTR
Période 2 592 402 Période 3 864 525

Si l’on devait qualifier les agglomérats de formes qui se trouvent de part et d’autre du premier axe, force est de constater que la prise en compte du parti d’origine des acteurs qui y sont représentés ne nous serait pas d’un grand secours. On relève en effet de chaque côté du graphique des membres issus du CDS (« Fulchiron », « Palluy », « Béraudier »), d’autres du RPR (« Chalandon », « Pasqua », « Barnier » ; « Noir », « Oudot », « Chabert »), d’autres encore du PCF (« Marchais » ; « Gerin ») ou du PS (« Hernu », « Poperen » ; Gérard « Collomb »). Ce qui semble par contre se dessiner, c’est une opposition entre dimension nationale à droite et dimension locale à gauche. Plus exactement, nous serions en présence à droite d’un ensemble dans lequel le global prend le dessus sur le local excepté pour « Leroy » et « Fulchiron », « Poperen » et « Hernu » se situant pour leur part à l’interface. Hormis « Poperen » (cité pour l’essentiel avant la tenue d’un comité directeur de synthèse du PS), les derniers acteurs mentionnés s’inscrivent tous dans un registre dévolu à la justice. Nous nous sommes suffisamment arrêté sur « Fulchiron » et l’affaire portant son nom dans la lignée des révélations de Lyon-Libération pour ne pas y revenir ici. Nous n’avons pas eu encore l’occasion par contre d’évoquer le cas d’Emmanuel « Leroy ». Après que ce secrétaire départemental du FN de l’Ain et conseiller régional a été gardé à vue deux jours durant suite à la mort de Bouzid Kacir, le journal prend parti de lui fournir l’occasion d’user de son « droit à la parole » en plaçant ce dire particulier au croisement de plusieurs autres :

‘Nous avons dit (...) pourquoi nous nous faisions d’autant plus un devoir d’offrir largement aux lecteurs le texte des « confessions » du présumé coupable Max Frérot. Un homme comme Leroy, qui assume une idéologie d’extrême droite débile, et indirectement meurtrière, mérite, lui, qu’on l’entende pour préserver sa présumée innocence, au même titre que celle des jeunes Beurs qui défilent chaque jour en garde à vue.306

Mais bien que le journal se donne le rôle d’une instance fort attachée à la présomption d’innocence quelle que soit l’origine de l’individu auquel elle s’applique de fait, il n’empêche que le procédé auquel il a recours n’est pas exempt d’ambiguïté puisqu’il revient à opérer une distinction entre deux acteurs explicitement identifiables par leurs anthroponymes et un groupe d’autres dont la désignation collective n’est rendue effective que par le biais d’un ethnonyme.

Avant d’évoquer le cas « Hernu », il nous faut parler de « Chalandon » et de « Le Pen ». La présence de « Le Pen » dans le quadrant supérieur droit, encore que proche du centre de gravité du graphique, est d’une certaine façon “biaisée” par la prééminence de ce nom propre à l’intérieur d’un éditorial signé de Serge July le jour de l’ouverture du procès de Klaus Barbie. « Le Pen » y est répété en effet pas moins de 13 fois (ce qui représente plus des deux tiers de l’ensemble des occurrences de cet item présentes dans la première période). Dans ce (long) éditorial, le directeur de (Lyon-)Libération s’applique à démonter la mécanique langagière du président du Front national et la banalisation du racisme qu’elle sous-tend, Serge July estimant que des termes comme « sidaïques » ou « sidatoriums » sont à même de convoquer « une mémoire qui est justement au centre du procès intenté à Klaus Barbie »307. Cette collusion entre « Le Pen » et « Barbie » accentue encore l’emprise du juridique sur le politique dans le discours assumé de la première période, même si ici, c’est par la bande que « Le Pen » se retrouve rattaché à l’univers juridique. « Chalandon », pour sa part, renvoie au garde des Sceaux de l’époque dont on a tôt fait de se rendre compte que le journal ne fait pas référence à lui uniquement au détour d’un commentaire mais en tant qu’acteur prédominant de son discours. C’est ainsi que loin de faire écho uniquement à l’annonce par la chancellerie de la construction de trois prisons “privées” dans la région Rhône-Alpes, le journal interpelle Albin Chalandon sur la capacité des cours d’assises à faire face à des situations qui sortent du cadre des crimes de droit commun (en marge d’une “conférence du stage” prononcée au niveau local et dont son auteur a pris pour thème la création des “Sections spéciales” en 1941) ou amorce une polémique à son égard à partir d’un colloque de l’Association professionnelle des magistrats au cours duquel le garde des Sceaux entend évoquer son projet de “démédicalisation” de la prise en charge des “drogués” : « S’il peut rassurer les inquiets, l’énoncé de Chalandon arrive un peu tard : le réseau thérapeutique que Lyon a mis en place depuis quinze ans face à celui de la drogue montre à quel point, ici particulièrement, le projet du Garde des Sceaux résonne faux »308. On voit qu’ici la dimension juridico-politique du discours éditorial de Lyon-Libération dans sa première période se concentre en un seul acteur. Mais c’est un énoncé produit depuis la rédaction parisienne qui pointe avec le plus d’acuité la situation extra-linguistique qui prévaut alors :

‘Il y a là un héritage historique proprement français, une complicité plus forte qu’ailleurs entre les pouvoirs judiciaire et exécutif qui, s’ils ne sont jamais complètement indépendants que dans les théories pour débutants, sont rarement aussi proches, au profit du second, que dans le jacobino-monarchisme français. A cet égard, il faut marquer que les plus décidés interventionnistes dans l’appareil judiciaire sont les derniers ministres gaullistes en charge de la place Vendôme, Peyrefitte et Chalandon. L’affaire des « affai-res », c’est peut-être là qu’il faut aller la chercher : dans l’espèce de tutelle musclée à laquelle le gouvernement soumet plus que jamais l’administration judiciaire.309

Le raisonnement développé dans ce passage ne semble devoir concerner que la nation. Ce que l’on ne discutera pas ici. Ce qui nous paraît plus important de signaler par rapport à l’existence même de Lyon-Libération, c’est que l’éditorial de Gérard Dupuy est non seulement publié sous le bandeau liseré qui distingue les pages lyonnaises du reste du journal mais qu’en plus il est accompagné dans la même livraison d’un éditorial de Robert Marmoz écrit en marge de l’inculpation de François Diaz310 à propos de fausses factures qui auraient servi à financer une partie de la campagne électorale du PS dans le Rhône en mars 1986. Cela ne paraît rien sinon qu’à notre sens nous sommes à la jonction d’un double registre d’appréhension du paradigme “affaires” : à une lecture politico-juridique à Paris fait pendant une lecture journalistico-juridique à Lyon, ainsi que le suggère la façon dont se termine l’éditorial de Robert Marmoz : « La justice, elle, n’a plus le choix : le plein est fait et, sous le regard de la presse, il lui sera difficile de négocier un atterrissage en douceur, sous peine d’un scratch mémorable »311. Ce qui paraît se dégager ici, c’est le rôle novateur joué par Lyon-Libération dans l’émergence d’une “affaire” aux retombées nationales. Car il faut voir derrière l’inculpation du président de la commission de contrôle financier du PS une répercussion des découvertes réalisées dans le cadre d’une enquête concernant cette fois Radio Nostalgie. Or, avant que la rédaction “nationale” ne fasse interférer l’“affaire Nostalgie” avec l’“affaire Luchaire”, Lyon-Libération a été en mesure d’en révéler de façon exclusive les points essentiels à ses lecteurs312. Cette mise en parallèle de l’éditorial de Robert Marmoz et du commentaire de Gérard Dupuy nous semble au bout du compte devoir être perçue non pas tellement comme une reconnaissance par la rédaction parisienne du travail de sa “succursale” lyonnaise mais comme effacement de fait d’une pratique centraliste du traitement de l’information. Il est donc fondé de dire que l’on assiste dans la première période à un double mouvement. Les traitements des affaires Fulchiron et Nostalgie par Lyon-Libération entraînent de fait la remise en cause des deux modèles de presse dominants, celui de la presse régionale soumis au respect de la “loi proxémique” et celui de la presse nationale qui tend à capter à son profit les informations “de premier choix” en provenance des régions.

Si l’on regarde maintenant les contextes qui accueillent la forme propriale « Hernu », il est flagrant que le journal cherche à l’intégrer en priorité à l’“affaire Nostalgie”. Ce qui est remarquable, c’est que le discours éditorial de Lyon-Libération fait en sorte de mêler à son propos dimensions locale et nationale :

‘Charles Hernu n’en est pas à un rebondissement près dans sa longue carrière de jeune loup mendésiste, puis de baron mitterrandiste. Tous ceux de ses amis qui pourraient aujourd’hui le trouver « too much » ne sauraient oublier que ce phénomène politique sait aller lui-même au charbon et qu’il est, jusqu’à nouvel ordre, la seule locomotive électorale de la gauche à Lyon.
Charles Hernu « chapeaute » à la fois deux dossiers qui n’ont strictement rien à voir : l’un sous son képi d’ancien ministre de la Défense, l’autre sous sa casquette de citoyen-maire.313

Mais cette bipartition n’est pas limitée à l’“affaire Nostalgie”. Elle est avérée également en marge de l’“affaire Luchaire”. Dans l’édition du 5 novembre 1987 où dix pages sont consacrées à cette affaire - y compris la publication du rapport Barba paru la veille314 -, la “une” lui est dévolue entièrement. On y voit Charles Hernu être mis en scène dans une posture qui n’est pas sans rappeler celle qui caractérise James Bond, tandis que le titre se réduit à “L’AFFAIRE”. Dans ce cas, René-Pierre Boullu présente un acteur à la croisée de plusieurs fonctions : maire de Villeurbanne, ministre de la Défense (au moment de “l’affaire... Greenpeace”) et président plausible de la communauté urbaine, ce dernier profil étant amené par une longue description définie : « A Lyon, l’homme qui, il y a peu, était le mieux placé pour incarner l’agglomération et gagner haut la main une très hypothétique élection du président de la Courly au suffrage universel, en prend plein la tête »315. Si l’on porte son regard de l’autre côté du graphique, on constate que parmi les acteurs qui s’y trouvent représentés, ce n’est pas tant Michel « Noir » qu’André « Gerin » et Jean « Rigaud » qui offrent une vue divergente. André Gerin en premier lieu, dont Lyon-Libération commente pour l’essentiel le double refus qu’oppose au maire de Vénissieux le préfet de région Gilbert Carrère. D’abord à l’encontre de son souhait de transformer le dynamitage de cinq tours du quartier Démocratie en spectacle pyrotechnique au prétexte que les projets de réhabilitation sont prioritaires, ce à quoi le journal répond que cette mise en scène avait l’avantage de signer la disparition d’une forme d’urbanisme surannée. Ensuite à quelques jours d’un colloque qui devait consacrer le projet de réhabilitation de ce même quartier Démocratie. En fait, ce qui est en jeu ici, c’est le désir d’autonomie exprimé par André Gerin vis-à-vis de la Courly, alors même que celle-ci est partie prenante dans le concours d’économie urbaine lancé par Vénissieux. La stratégie de “bastion communale” défendue par André Gerin se distingue donc bien de la position qui a les faveurs de Charles Hernu, sur laquelle embraye du reste le discours du journal puisque Robert Marmoz termine son billet ainsi : « Le principal problème de tout nouveau patron de ce « grand Lyon » sera de faire accepter sans clash avec les pouvoirs locaux [l’idée selon laquelle la dotation des communes en équipements est un problème qui se règle au niveau de l’agglomération] »316. De son côté, Jean Rigaud est un acteur public à différents titres : il est alors maire (UDF) d’Ecully - une commune située à l’ouest de l’agglomération -, vice-président de la Courly, président de l’agence d’urbanisme de Lyon, président de la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU) et président du Syndicat d’études et de programmes de l’agglomération lyonnaise (SEPAL), syndicat qui, avant d’être dissous, a été chargé de réunir dans l’étude Lyon 2010 l’ensemble des organismes et des collectivités qui travaillaient depuis quelques années sur la révision du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme. C’est à l’aune de ce dernier “poste” et de la notion de « projet d’agglomération » qu’il a concouru à mettre en avant que Jean Rigaud est avant tout désigné dans le discours assumé du journal. Mais c’est aussi comme défenseur de la Région urbaine de Lyon et... producteur d’un lapsus devant l’assemblée communautaire - « cette RUL n’est absolument pas une nouvelle superstructure... pour l’instant » - que Jean Rigaud est mis en scène dans la deuxième période317. D’un point de vue actantiel, Jean Rigaud apparaît donc comme destinateur. C’est par le biais du SEPAL dont il est le président qu’il lui est offert de soumettre la création de la RUL à la communauté dont il est aussi vice-président. Celle-ci condense en fait deux actants puisque destinataire de la proposition de Jean Rigaud, elle est censée par son vote se faire à son tour destinatrice en vue d’officialiser ou non l’objet RUL. Or, le lapsus que met en valeur le discours du journal tend à annuler de fait la médiation de l’assemblée communautaire, la connotation “psychanalytique” reliant directement le destinateur initial Jean Rigaud à l’objet RUL émis, le transformant par là-même en objet de désir, autrement dit en un “être doté d’une valeur positive finale pour un être donné318. Au bout du compte, on passerait donc de :

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Si nous avons dit en amont que « Gerin » et « Rigaud » étaient les mieux à même de s’opposer à « Hernu » sur le premier axe - alors même que « Noir » est la seule forme à contribuer à sa création du côté gauche -, c’est dans la mesure où cet acteur n’est que très peu appréhendé dans la deuxième période sous l’angle de la gouvernance, en tout cas moins que dans la troisième où, comme on l’a mentionné, le terme qui le désigne est spécifique d’un point de vue probabiliste (+5.3). C’est en effet dans la période dirigée par Robert Marmoz que l’on trouve Michel Noir - qui plus est doté d’un vouloir-faire plus explicite - en prise avec l’Etat, en particulier après qu’il eut reproché à celui-ci l’insuffisance de son engagement eu égard au financement des grands projets d’aménagement ou après que le préfet de région eut émis un avis défavorable au projet de schéma directeur présenté par le SEPAL en octobre 1989319. Et bien que l’on puisse affirmer de Michel Noir avec Taoufik Ben Mabrouk que ‘“son “managérialisme”, appuyé par une conception gaullienne d’un pouvoir centralisé, ne convient nullement à une scène politique lyonnaise plus habituée aux procédures de co-décision et à une valorisation des actions d’envergure au bénéfice de tous les leaders locaux”’ 320, le moins que l’on puisse dire est que le discours éditorial de la deuxième période ne privilégie pas cette voie, sinon en quelques occasions, mais détournées, comme lorsque le journal parle de « principale innovation du « gouvernement » Noir », mais à propos de la nomination d’Alain « Jakubowicz » comme adjoint pour les relations avec les administrés. Bien sûr, tant que Michel Noir n’est que candidat à la mairie, il est difficile de trouver trace d’un commentaire qui prendrait appui sur une gestion de la cité effective. On a vu que ce sur quoi le discours assumé du journal se focalise alors, c’est sur la « transparence » dont le futur maire se fait le chantre et dont il prévient qu’il l’appliquera à sa propre équipe municipale en cas d’accession à la tête de la ville. Si l’on place en miroir les phases du discours éditorial qui articulent Courly et Michel Noir après la victoire de celui-ci à l’élection municipale avec leurs contextes rédactionnels respectifs, voici ce qu’il est possible de constater :

CONTEXTE RÉDACTIONNEL DISCOURS ÉDITORIAL
- 23 mars 1989 :
Rapport de force modifié dans l’assemblée communautaire après les municipales : Michel Noir probable président mais en composant avec l’UDF, plus ou moins
forte selon les hypothèses. Vers un rapprochement RPR-PR à la Courly ?

Pour atteindre la masse critique à l’échelle européenne, nécessité d’homogénéiser le pôle urbain lyonnais et donc de le doter d’un “patron” unique.
- 6 juin 1989 :
Election hier de Michel Noir comme président de la Courly suite à un compromis
de dernière minute entre UDF et RPR.

Dilemme pour Michel Noir :
préserver l’honneur de l’allié UDF
après son échec cuisant
tout en asseyant son pouvoir.
- 17 juin 1989 :
André Gerin se fait rappeler à l’ordre par
le préfet de région, relayé par Michel Noir, dans le cadre du concours pour la réhabilitation du quartier Démocratie de Vénissieux.

L’explication que pourraient avancer les anciens dirigeants de la Courly de ne pas s’être préoccupés plus tôt du désir d’autonomie d’A. Gerin est leur souci d’éviter alors que Michel Noir ne capte leurs pouvoirs.
- 29 juillet 1989 :
suite aux critiques qu’il essuie de la part des dirigeants de l’OL (subventions insuffisantes), Michel Noir menace de retirer
les 9 MF accordés pour la saison 1989-90.

« (...) il eût été plus efficace, pour l’avenir, que le maire de Lyon en appelant chacun à prendre ses responsabilités s’adresse aussi
à Michel Noir, président de la Courly ».

On voit que dans le cas du rappel à l’ordre du préfet de région à l’encontre d’André Gerin, le discours éditorial préfère se concentrer sur la crainte qu’inspirait Michel Noir aux élus communautaires avant qu’il n’accède à la présidence de la Courly et qu’à partir des deux premiers contextes sensiblement identiques - il s’agit d’insister sur les tractations qui auraient cours au sein de l’assemblée communautaire - le journal produit deux énoncés qui n’ont aucun rapport l’un avec l’autre. Dans l’un, il en appelle à une « association d’intérêts » entre Michel Noir, Charles Hernu et André Gerin (entre autres) afin d’accéder à ce qu’il nomme en titre de commentaire la “taille européenne” (notion de “masse critique” sous-jacente du reste dans le dernier fragment cité, mais en terme d’image de la ville), tandis que dans l’autre il ne s’écarte guère de l’idée générale contenue dans le compte-rendu afférent, même s’il prend soin d’ajouter :

‘Est-ce parce qu’il n’a pas voulu traumatiser l’assemblée après ces turbulences que Michel Noir n’a pas brossé un portrait particulièrement exaltant du devenir de la Courly ? Changer de sigle, puisque « Courly évoque un oiseau au vol pataud et qu’il faudrait trouver une image plus mobile » n’est pas en soi un programme.321

Il est frappant de constater à quel point l’article signé Daniel Licht qui paraît au lendemain du lancement par Michel Noir de son projet de “Grand Lyon” - “événement” qui ne donne pas lieu à discours assumé dans le journal - met une fois de plus l’accent sur la dimension dénominative de l’échelon territorial :

‘La présence de nombreux maires de la Courly majorité Noir auraient pu même faire penser que le « grand Lyon » n’est qu’un nom d’emprunt, un nouveau packaging de la communauté urbaine.
(...)
Le maire d’Oullins a profité de son intervention pour préciser que le glissement sémantique qui a fait passer les 55 communes de la Courly sous l’appellation (non déposée) de Grand Lyon, était lourd de sens.322

Mais c’est plus encore sur ce que recèle cette notion que le journal émet les plus vives réserves : ‘“les participants ont eu droit à un concept sans saveur et aux contours plus que flous”’. Le journaliste va même jusqu’à estimer que Michel Noir a eu tendance, dans le discours qu’il a prononcé sous la Halle Tony-Garnier, devant un parterre d’élus, d’urbanistes et d’architectes, à ramener les projets d’urbanisme à des aménagements de voirie. Or le même journaliste fait montre d’une position identique dans un billet publié en marge d’un entretien avec Henry « Chabert », l’adjoint à l’urbanisme de Michel Noir (par ailleurs vice-président de la Courly) : « (...) pour que ces nouveaux intervenants [les “experts” auxquels souhaitent avoir recours systématiquement la municipalité dirigée par Michel Noir] aient une chance de raviver les potentialités innovantes de la ville, il faudra aussi que la mairie affirme une véritable volonté politique sans laquelle l’urbanisme reste - selon l’expression d’Edouard Herriot - « le mot savant pour voirie »323. En fait, le nouvel adjoint à l’urbanisme est surtout appréhendé dans le discours assumé du journal comme un acteur dont les déclarations publiques se greffent, il n’y a là rien d’étonnant, sur le souhait exprimé par Michel Noir de voir se concrétiser un « renouvellement » et une « moralisation » de l’urbanisme : « Pour l’heure, le nouvel adjoint à l’urbanisme décline ses intentions à coup de formules aussi alléchantes que « l’urbanisme moral » ou la « prise en compte de la personne humaine » dans la ville »324. Il est bon de préciser à ce stade que le terme « urbanisme » est fortement sur-employé dans la deuxième période (+7). Dans son discours éditorial, le journal oscille à son égard entre intégration d’une part à des énoncés attributifs qui indiquent une permanence d’état (on l’a vu avec l’écho qui est fait à un dire d’Edouard Herriot, mais cela est valable pour un énoncé comme « L’urbanisme est - ou du moins devrait être - une des clefs de toute élection municipale ») ou un changement d’état (« A trop rester au ras du béton, l’urbanisme était devenu ces dernières années - dans cette ville, mais aussi dans d’autres - l’art de l’immédiat, de l’aménagement à court terme, parfois même de l’éphémère ») et d’autre part à des énoncés dans lesquels il s’agit de signifier le poids contraignant des choix passés (« comment refaire de l’urbanisme après Pradel ? ») et la nécessité pour les concepteurs du projet Lyon 2010 de se positionner par rapport au statu quo ante (« (...) la prochaine décennie sera celle d’un urbanisme nouveau résolument situé dans une perspective à long terme (...) »). Dans ces conditions, le fait que « Pradel » soit représenté à 61 % sur la gauche du premier axe trouve sa pleine mesure. Le journal fait en effet du successeur d’Edouard Herriot le référent obligé pour commenter, à l’approche des élections municipales de 1989, les choix des principaux candidats en matière de circulation ou d’aménagement. Mais après l’accession de Michel Noir à la mairie, cette voie est abandonnée, même si la référence au « béton » est toujours prégnante : « Avant lui, un autre maire de Lyon avait bénéficié de ce pouvoir quasi-absolu. Il s’appelait Louis Pradel et a versé sur Lyon une coulée de béton (au propre comme au figuré) pendant une vingtaine d’années »325. L’image convoquée n’est donc plus à proprement parler celle de l’aménageur désireux de faire de Lyon une ville “moderne” qu’il serait possible de traverser sans feux rouges mais celle de l’acteur politique qui engrange la totalité des sièges municipaux entre 1965 et 1971 derrière l’association P.R.A.D.E.L : “Pour la Réalisation Active des Espérances Lyonnaises”.

Les autres formes illustratives sur la gauche du premier axe sont Gérard « Collomb » et « Palluy » d’une part, Alain « Mérieux » et « Tapie » d’autre part. Si ces deux derniers noms propres réfèrent à des “socio-professionnels”, il n’empêche qu’Alain « Mérieux » est donné à voir dans la deuxième période comme (premier) vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes, au contraire de la troisième période dans laquelle c’est en tant que président d’un Institut-Mérieux se portant acquéreur des laboratoires canadiens Connaught qu’il est mis en avant. C’est en quelque sorte le mouvement inverse qui se produit avec « Tapie » puisque c’est comme dirigeant de Terraillon mécontent des fluctuations qui ont prévalu sur les titres de cette société après son introduction sur le second marché lyonnais et non comme ministre de la ville, poste qu’il occupera ultérieurement, qu’il est rattaché à la deuxième période dans le graphique. De son côté, Jean Palluy, alors président (UDF) du conseil général du Rhône, est soumis à un mouvement de balancier dans le discours assumé du journal. Bien que soit mentionné son soutien aux « rénovateurs » de la droite, particulièrement bien représentés en Rhône-Alpes, il n’empêche qu’il est “agi” par les « jeunes » de l’UDF dans la mesure où il développerait les mêmes arguments que l’ancien maire Francisque Collomb, pourtant défait aux élections municipales de 1989, au moment où le département reste le dernier “bastion” préservé par l’UDF après l’accession de Michel Noir à la gestion de la cité (ville-centre et agglomération). De Gérard Collomb enfin, il ressort que la représentation qu’en fournit le discours éditorial de Lyon-Libération dans la deuxième période est celle d’un acteur qui persisterait à faire des choix qui lui seraient préjudiciables ou dont l’image serait « poussiéreuse ». Par deux fois, le journal use de l’expression « image poussiéreuse » à l’adresse du dirigeant socialiste, en marge d’un entretien et au lendemain du premier tour des élections municipales :

‘Hier, le chemin le plus court passait par Michel Noir. Non que celui-ci ait prouvé pendant sa campagne qu’il incarnait le mieux cette aspiration, mais juste parce que ses adversaires n’avaient pas su eux-mêmes se dégager d’une image poussiéreuse qui leur colle à la peau. C’est sans doute ainsi qu’il faut interpréter l’agression verbale dont fut victime le socialiste Gérard Collomb de la part de jeunes gens voulant lui faire reconnaître publiquement son appartenance à la franc-maçonnerie.326

S’il est vrai que le syntagme « image poussiéreuse » est ici utilisé à l’égard d’un référent générique - les « adversaires » de Michel Noir -, il n’empêche que le journal, en se contentant de mentionner uniquement « Gérard Collomb » à l’appui de ce qu’il avance, “exemplifie” la dimension supposée passéiste de cet acteur politique, dont par ailleurs le choix de faire du premier adjoint du maire sortant André « Mure » son suppléant aux élections législatives de 1988 est montré comme décisif dans l’absence de député socialiste qu’il entraîne à Lyon, pour la première fois depuis 1977. Après avoir pris connaissance de l’association de Gérard Collomb avec André Mure, le PCF a en effet refusé de soutenir le candidat socialiste dans la première circonscription, au contraire de tous les autres postulants de gauche.

A l’examen, il apparaît que le traitement éditorial d’Alain « Mérieux » mais aussi de Jacques « Oudot », tous deux en rapport avec la Région et non plus le Département, leur est on ne peut plus favorable. Si Alain Mérieux, partisan d’une liste “unitaire” à droite dans la perspective des élections municipales, se retrouve en retrait dès l’instant où Michel Noir se porte candidat et entraîne de facto une primaire, il n’en reste pas moins que ce retrait (en faveur de la gestion de l’Institut-Mérieux) s’effectue de son propre chef dans le discours assumé du journal. De son côté, Jacques Oudot, également vice-président du conseil régional, est pour sa part montré à l’origine d’une politique d’aides à la création cinématographique, ce qui fournit au journal l’occasion de renforcer le décalage entre les échelons régional et municipal, au profit du premier :

‘Non seulement [Jacques Oudot] prend l’initiative dans un domaine traité avec pusillanimité par la municipalité de Lyon. Mais encore il répond avec une certaine ironie au ministre de la culture [Jack Lang] qui a chargé André Mure, l’adjoint à la culture lyonnais, d’une mission sur les retombées économiques de la culture. Jacques Oudot rétorque qu’il s’intéresse, lui, très concrètement, aux retombées culturelles de l’économie. En l’occurrence cinématographique.327

La forme propriale « Oudot » est superposée dans le plan-graphique avec les termes « Chabert », « Jakubowicz » et « Rigaud » dont il a déjà été question, mais aussi avec « Juppé » et Charles « Mérieux » - mis en cause dans sa gestion de Bioforce suite à un audit de l’inspection des Finances (cf. supra le commentaire de l’AFC institutions) -, tandis que « Giscard », qui intervient également à titre illustratif sur les deux premiers axes, est projetée un peu plus à l’écart. Bien qu’Alain Juppé - alors secrétaire général du RPR - et Valéry Giscard d’Estaing (Parti républicain) soient réunis dans une liste commune mise sur pied par Jacques Chirac au moment des élections européennes de juin 1989, seul le second est approché à l’aune de cette échéance électorale. Le journal lui reproche (ainsi qu’à Laurent Fabius du reste, mais à l’égard des différents courants qui animent le PS) de privilégier une logique d’équilibre entre le RPR et l’UDF plutôt qu’une répartition géographique, à la manière dont l’Italie ou la RFA ont opté pour une représentation des régions selon leur poids. Si Alain Juppé apparaît dans cette partie du graphique, c’est parce qu’il a soutenu la candidature de Michel Noir, au risque de se dissocier de Jacques « Chirac » et de faire éclater le rapprochement entre le RPR et le PR qui se dessine alors au niveau national. On peut relever que l’ensemble des formes propriales qui, à l’intérieur du quadrant supérieur gauche, sont représentées à la fois sur le premier et sur le deuxième axes, viennent s’intercaler entre les termes illustratifs (à l’exception de « Noir ») qui sont concentrés de part et d’autre du premier axe et les termes “contributifs” qui gravitent autour de la Période 2, ce qui amène au final à mettre en valeur la forte teneur en “centristes” de ces derniers.

Notes
306.

Le droit à la parole, Editorial René-Pierre Boullu, 27 octobre 1986.

307.

Les apparentements terribles, Editorial Serge July, 12 mai 1987.

308.

Politiques artificielles, Billet Jérôme Strazzulla, 12 mars 1987.

309.

La politique de la balance, Commentaire Gérard Dupuy, 3 décembre 1987.

310.

Président de la commission de contrôle financier du PS et proche de Charles Hernu, déjà cité dans l’“affaire Luchaire”.

311.

Jeu de quilles, Editorial Robert Marmoz, 3 décembre 1987.

312.

Lors d’une rencontre U’Média organisée à Lyon à la fin de l’année 1987, René-Pierre Boullu a pu dire à ce titre : “On a eu une intervention beaucoup plus pointue en sortant l’“affaire Nostalgie” un mois avant qu’elle n’éclate”. Durant la même intervention, le rédacteur en chef, alors démissionnaire, a encore précisé que le fait “pour la rédaction de ne pas se considérer seulement comme une annexe d’une rédaction nationale” (à l’instar de El País et malgré l’aspect “entreprise jacobine” du quotidien espagnol) aura constitué une “force subjective”, “la forme adoptée par Lyon-Libération de reprogrammer [à compter du 25 mars 1987] une partie du chemin de fer de la séquence nationale” ayant permis une telle évolution.

313.

Fréquence et Double-fonds, Billet et Editorial René-Pierre Boullu, 21 et 23 novembre 1987.

314.

Du nom d’un contrôleur des armées. Rappelons que ce rapport met en cause le PS comme destinataire de 3 millions de francs en provenance de ventes d’armes à l’Iran, malgré l’embargo imposé à ce pays.

315.

Le héros d’un jour... de trop ?, Editorial René-Pierre Boullu, 5 novembre 1987.

316.

Drôle de ville, Billet Robert Marmoz, 17 juin 1989.

317.

Le billet de Robert Marmoz est titré “Non-dits” et commence de la manière suivante : “La séance d’hier soir à la Courly aurait fait le délice d’un amateur de psychanalyse” (27 septembre 1988).

318.

Selon l’expression de Romain Gaudreault. Cf. “Renouvellement du modèle actantiel”, in Poétique, 107, septembre 1996, p. 363. Dans le cadre du renouvellement du modèle actantiel qu’il propose, cet auteur subdivise l’objet de la quête tel qu’il apparaît chez A. J. Greimas. Les deux nouveaux éléments
sont :

- l’objet : soit l’’être “sur lequel porte l’action (doté ou non de mouvement autonome)” ;

- l’objet de désir : soit l’être “doté d’une valeur positive finale pour un être donné” (Ibidem).

319.

Après avoir été amendé et complété, Lyon 2010 est en effet devenu ultérieurement le “projet de Schéma directeur de l’agglomération lyonnaise”. C’est ce document qui a été soumis pendant trois mois, d’octobre 1989 à janvier 1990, aux parties concernées (collectivités, préfet, etc.). Après avoir été mis à la disposition du public pour avis, le SEPAL en a approuvé les modalités le 3 avril 1990, avant de se dissoudre de plein droit, conformément aux textes.

320.

“L’ambition métropolitaine lyonnaise”, in Les Annales de la recherche urbaine, 80-81, décembre 1998, p. 133.

321.

Dernière pierre, Billet Robert Marmoz, 6 juin 1989.

322.

Le Grand Lyon vaut bien une grand messe”, Lyon-Libération du 12 novembre 1989, p. 3. Daniel Licht est le journaliste attitré de Lyon-Libération pour tout ce qui a trait aux questions d’urbanisme.

323.

Urbanisme ou voirie, Billet Daniel Licht, 11 avril 1989. Lors d’une visite à la Duchère et à en croire Charles Delfante, celui qui fut maire de Lyon de 1905 à 1957 aurait plutôt utilisé le terme de “pompeux” que celui de “savant” : “L’urbanisme est le nom pompeux que l’on donne à la voirie !” (cf. Cent ans d’urbanisme à Lyon, Lyon, Editions Lugd, 1994, p. 45).

324.

Idem.

325.

Noir sans partage, Billet Michel Lépinay, 14 mars 1989.

326.

Lyon, la preuve par neuf, Commentaire Michel Lépinay, 13 mars 1989.

327.

Hollywoudot-politique, Billet Jean-François Abert, 5 septembre 1988.