3.2.2. Deuxième axe : centristes versus “innovateurs”

A l’exception de « Gollnisch » et « Chirac » puis, présents dans le quadrant supérieur droit, de « Pasqua » et « Barnier » (qui interviennent à titre illustratif sur chacun des deux premiers axes, le premier par le biais du découpage qui porte son nom et qui a fait passer Lyon de cinq à quatre circonscriptions, le second en tant que président du Comité d’organisation des Jeux Olympiques d’hiver à Albertville, en 1992), toutes les autres formes propriales qui sont projetables sur la droite du deuxième axe ressortissent aux différentes composantes de ce que Lyon-Libération nomme “la confédération centriste”. Parmi celles-ci, seules « Herriot » et « Moulinier », également repérables à l’intérieur du quadrant supérieur droit, interviennent à titre illustratif (pour 93 % chacune). Il est remarquable que leur détachement dans le graphique du reste des formes qui constituent le “conglomérat centriste” aille de pair avec un traitement éditorial lui-même plus “décentré”. Il est en effet fait mention de l’adjoint à l’urbanisme de Francisque Collomb et de l’ancien maire de Lyon dans des phases du discours éditorial du journal dans lesquelles il est directement question des projets défendus par les principaux candidats à la mairie ou de la politique que compte mettre en oeuvre la nouvelle municipalité en matière d’aménagements urbains, alors même que les autres acteurs “centristes” (mais aussi Jacques Chirac, en tant que président du RPR, et Bruno Gollnisch, député du Rhône du Front national) se retrouvent en priorité à la croisée des élections présidentielle, législatives et municipales de 1988-1989. A cet égard, le deuxième axe pourrait être considéré comme celui qui met en opposition élections générales et élections partielles. Du côté gauche du deuxième axe (autrement dit celui situé dans la partie inférieure du plan-graphique), on peut en effet relever un certain nombre de noms d’acteurs qui sont concernés par des échéances électorales à l’origine desquelles on trouve soit une annulation du Conseil d’Etat (élection municipale partielle d’Oullins mettant aux prises Roland « Bernard » (PS) - seul maire de banlieue à avoir participé au débat engendré autour du document Lyon 2010 - et Michel « Terrot » (RPR)), soit une remise en jeu d’un mandat de député (élection législative partielle après la démission de Michel Noir du RPR le 6 décembre 1990). Nous avons cependant préféré voir en cette dissimilitude une opposition entre “centristes” et “innovateurs”328. Si le terme d’“innovateurs” nous semble mieux approprié que celui de “rénovateurs” - que ne reprennent pas à leur compte des acteurs appartenant seulement à la droite -, c’est parce qu’il nous paraît traduire de façon la plus adéquate la volonté publiquement affichée de Michel Noir de s’engager dans un renouveau de la vie politique. A ce titre, « Dubernard » et « Barzach », qui renvoient respectivement à un chirurgien lyonnais alors adjoint aux universités de Michel Noir et à la ministre de la Santé de la première cohabitation, sont les formes propriales qui s’articulent le plus étroitement avec le mouvement “innovateur” impulsé par le maire de Lyon. Car seuls Jean-Michel Dubernard et Michèle Barzach, tous deux membres du RPR jusqu’alors, vont imiter Michel Noir en remettant en jeu à leur tour leur mandat de député, siège qu’au contraire des deux acteurs “lyonnais” Michèle Barzach va perdre à Paris. Le maire de Grenoble (« Carignon » est représenté à 55 % sur le deuxième axe, dans l’entourage de la Période 3), bien qu’ayant participé à un appel pour la constitution d’une “Force unie” de l’opposition en compagnie (entre autres) de Michel Noir et Michèle Barzach, est davantage donné à lire comme “rénovateur” par le journal. Etant donné que dans la troisième période, le discours assumé de celui-ci tend à représenter les “rénovateurs” à l’aune de stratégies individuelles - Charles Millon devient président du groupe parlementaire de l’UDF, Alain Carignon crée un courant VIE en Isère -, un hiatus s’opère de fait avec la démarche commune de Michèle Barzach et Jean-Michel Dubernard. Il est à noter à cet égard que la figure de « Botton », du nom du directeur de campagne de Michel Noir aux élections municipales (et par ailleurs son gendre), est celle de l’opposant dans la période dirigée par Robert Marmoz. Non seulement le journal le fait être affronté à son beau-père “par circonscriptions interposées” (Pierre Botton, intronisé par les instances nationales du RPR, se retrouve sur la rive gauche du Rhône face à Jean-Michel Dubernard tandis que Michel Noir est présent sur la rive droite...) mais en plus il le place en position de faire ombrage à la “Force Unie” souhaitée par le maire de Lyon en mettant sur pied une initiative de démocratie directe via l’association “Ensemble, écoutons Lyon”. A l’instar de cette dernière référence, on trouve dans la deuxième période un billet dans lequel est donnée de Pierre Botton l’image sensiblement identique d’un sujet “perturbateur”. Dans le mois suivant l’accession de Michel Noir à la mairie, Pierre Botton adresse en effet un communiqué à Lyon-Libération dans lequel il affirme que la mission de restructuration, qui se trouve être décriée par des membres de la nouvelle équipe municipale, lui a précisément été confiée par “le pouvoir politique” et apporte des précisions sur certaines pratiques qui auraient cours à la mairie (cf. n° du 22 avril 1989). Le journal demande alors explicitement à Michel Noir, sauf à être accusé de manquement à la transparence qu’il revendique dans la gestion de la vie politique, de commenter ou de démentir les informations délivrées par son directeur de campagne329.

Après l’accession de Michel Noir à la mairie de Lyon et tandis que se pose le problème de la désignation des représentants de l’UDF à la Courly, il est possible de lire que la « mouvance centriste regroupée autour de Charles Béraudier et Francisque Collomb qui avait su tenir la totalité des rènes du pouvoir en faisant preuve - aux incartades de Soulier près - d’une cohésion remarquable, a perdu en quelques semaines toute consistance »330. Il est curieux que le journal donne le sentiment d’une quasi-cohésion à l’intérieur de la nébuleuse centriste alors même qu’il est loin d’en fournir une représentation homogène dans son discours éditorial de la deuxième période. Pour ne s’en tenir qu’aux cinq formes propriales situées à la droite du deuxième axe qu’elles contribuent à créer, nous pouvons relever les différences suivantes :

- André Mure et Francisque Collomb sont les acteurs que le discours assumé du journal tend à contruire comme les plus “dominés”. Il faut entendre par là que ce sont ceux des acteurs qui nous intéressent ici qui ont le moins de prise sur leur agir. Il arrive même que l’emprise de l’un se fasse au détriment de l’autre. Ce cas de figure est ainsi préjudiciable à l’adjoint à la culture lorsque le journal fait de son rapprochement avec le socialiste Gérard Collomb la source du report sine die des subventions “culturelles” par la mairie de Lyon. Si André Mure est depuis 1977 l’adjoint à la culture “attitré” de Francisque Collomb à l’origine de certaines des “institutions” déjà rencontrées (le festival Berlioz, le théâtre du VIIIème, la Fondation de la photographie ou Octobre des arts), il est aussi chroniqueur au Progrès, écrivain et chargé de mission pour Jack Lang331. On a vu que le journal faisait répondre avec ironie Jacques Oudot à ce dernier après qu’il eut chargé André Mure d’une mission sur les retombées économiques de la culture. Mais c’est pour l’essentiel à l’aune de son geste d’« ouverture » vis-à-vis de Gérard Collomb qu’André Mure est représenté fustigé par ceux qui appartiennent à sa propre famille, en particulier après le deuxième tour des élections législatives de 1988. C’est l’occasion d’ailleurs de signaler le sur-emploi du terme « ouverture » dans la deuxième période (+4). Ce n’est certainement pas un hasard si un tel terme se trouve ici répété à l’envi puisque Henri Boyer estime qu’il est, avec rassemblement, l’un des deux “mots slogans” qui émergent à la fin du premier septennat de François Mitterrand et ‘“vont faire la une pendant une bonne période”’ 332. De son côté, Francisque Collomb n’est pas en reste. Dès la publication de la première mouture du document Lyon 2010, dans lequel le journal perçoit une ‘“toile de fond pour le débat pré-élections municipales’”, il est fait mention du dissensus qui se ferait jour sur la personne du maire sortant, doublé du président de la communauté urbaine. Si la disparition de Charles Béraudier le montre isolé et soumis aux pressions, la décision de Raymond Barre d’apparaître sur sa liste à condition qu’elle contienne un projet fort et que lui soit réservée une des premières places le contraint à choisir. L’une des rares fois où le discours éditorial de la deuxième période le fait agir, c’est lorsqu’il se déplace à Paris pour faire part à Jacques Chirac de ses propositions et de son souhait de voir s’engager Alain Mérieux à ses côtés. Mais l’entrée en lice de Michel Noir réduit à néant sa démarche volitive, et l’oblige même à subir le mécontentement de ses colistiers. Au bout du compte, la victoire de Michel Noir lui est attribuée, non pas tant à cause de son âge (alors que précédemment le journal a fait de « l’âge du capitaine » le principal adjuvant de Michel Noir dans sa conquête du pouvoir municipal) qu’à cause d’« une façon de faire de la politique à Lyon ».

- Charles Béraudier, président du conseil régional, est présenté comme favorable à une liste unique menée par Francisque Collomb. Mais ce n’est pas là l’essentiel. Ainsi qu’on a eu l’occasion de le dire, sa mort entraîne la publicisation du « système CDS » par Lyon-Libération. Le journal publie coup sur coup en février 1989 un article sur la Société d’équipement de la région de Lyon (semblant prendre prétexte de la divulgation d’un rapport interne dans lequel il est question de “contorsions juridiques et financières” à propos des exercices auxquels la société doit désormais se livrer pour obtenir des marchés) et les listes des membres du CDS qui occupent des postes dans les conseils d’administration de trois sociétés d’économie mixte et des Hospices civils de Lyon, l’un des plus importants propriétaires fonciers de la ville (cf. n° des 17 et 23 février 1989). Pour en revenir au discours assumé qui prévaut immédiatement après le décès de Charles Béraudier, voilà ce qu’il est possible de lire :

‘Charles Béraudier (...) était le véritable pilier de l’édifice UDF lyonnais. La clef de voûte sans laquelle la cohésion de l’ensemble devient pour le moins hasardeuse. Et quel ensemble ! Mairies d’arrondissement, Courly, SERL, Sytral... litanie des assemblées locales, des sociétés mixtes, des organismes publics ou para-publics, qui sont sous le contrôle de l’UDF - le plus souvent du CDS - est interminable.
(...)
Depuis hier, la recomposition est à l’ordre du jour. Au Conseil régional - où la succession de Charles Béraudier pourrait enlever la présidence à Lyon - mais aussi, plus globalement, dans la majorité locale.333

Ce qui nous semble intéressant ici, c’est le mouvement déductif progressif qui s’opère :

  1. le CDS est le parti dont était membre le président du conseil régional Rhône-Alpes ;

  2. la présidence du conseil régional Rhône-Alpes était attribuable à Lyon puisque cette ville était dirigée par le CDS ;

  3. présidence de la Région et présidence de la Ville ne faisaient qu’une.

Nous voyons qu’une nouvelle catégorie apparaît, à un niveau plus “profond” du texte à tout le moins : celle de président de ville (ou d’agglomération). Mais cette référenciation paraît “déplacée” pour deux raisons au moins :

A la lumière de ce qui vient d’être dit, il nous semble possible d’avancer que l’évocation de Charles Béraudier se démarque dans le discours éditorial de Lyon-Libération de celles qui ont trait aux autres acteurs issus du conseil régional, qu’ils soient vice-présidents, comme Jacques Oudot ou Alain Mérieux, ou président, tel Charles Millon. La projection de la forme propriale « Millon » près du centre de gravité est du reste concordante avec l’indice de corrélation chronologique qui la caractérise (+0.99). Ce nom propre est donc de plus en plus usité, au gré des périodes rédactionnelles successives. Si le traitement auquel sont soumis les deux vice-présidents et Charles Millon, ce dernier intégré comme on l’a vu à différents types d’enchaînement logique, privilégie la description d’action, l’approche de Charles Béraudier, en particulier par le biais de sa disparition, semble servir de prétexte au journal pour mettre à nu un « système » et éprouver l’étanchéité des échelons administratifs à son contact.

- les formes propriales « Barre » et « Soulier » sont celles, avec « Chirac » (qui ne nous intéresse pas au premier chef ici), qui suivent le mieux l’allongement du deuxième axe dans le haut du graphique. Il est frappant que les deux acteurs “centristes” auxquels elles réfèrent se trouvent être aussi ceux pour lesquels le traitement éditorial offre un parcours parallèle mitigé dans la seconde période. Pour ce qui concerne ce dont il vient d’être question, à savoir la mise au jour du « système » CDS, l’un et l’autre sont favorables à un surplus de « transparence » dans la gestion de la cité. Raymond Barre a ponctué son discours de présentation des listes de Francisque Collomb en usant de ce terme, qu’il a fait suivre de “rigueur”. On voit donc que Michel Noir n’en a pas le monopole. Même s’il s’agit avant tout pour le journal de mettre à l’épreuve chacun de ces acteurs en utilisant à leur égard le “mot slogan” qu’ils ont employé au détour d’une déclaration335. Mais le “rapprochement” entre Raymond Barre, député du Rhône qui caresse alors le projet d’une grande formation centriste (qui restera sans suite, sinon à travers la constition d’un groupe centriste autonome baptisé Union du centre) et le premier adjoint de Francisque Collomb, par ailleurs avocat et président du Parti républicain qu’il dirige dans le Rhône depuis 1986 après avoir été membre du PS, ne s’arrête pas là. Tous deux sont intégrés à la liste de Francisque Collomb intitulée “Lyon d’abord”, Raymond Barre à propos du rayonnement international de la ville et André Soulier en tant que fédérateur d’acteurs économiques lyonnais réunis autour de son association “Un projet pour Lyon”. Mais le fait de pouvoir s’appuyer sur un réseau de “socio-professionnels” n’est pas l’apanage d’André Soulier puisque Raymond Barre a su fédérer des acteurs répondant à un profil similaire dans son mouvement REEL, dont il n’est toutefois pas question dans le discours assumé du journal. Il est à noter que Lyon-Libération fait paraître dans son édition du 10 novembre 1987, soit dans la première période, un long entretien sur deux pages avec André Soulier surmonté du titre : “André Soulier : mon projet pour Lyon” et dans lequel il apparaît que celui-ci est hostile à toute idée de dépérissement du centre, ce qui implique une vision “expansionniste” de Lyon qui ne peut qu’aller de pair avec une remise en cause de la Communauté urbaine imposée par l’Etat en 1969. Pour en revenir à la deuxième période, Lyon-Libération fait encore écho le 15 juin 1988 - sous forme d’encart publicitaire - à sa Lettre aux Lyonnais dans laquelle il se montre favorable à une réforme des institutions de gestion locale. Deux jours plus tard, le journal publie le point de vue de Francisque Collomb en n’omettant pas de préciser que la « tentative de parricide » de l’adjoint au maire relève de la précipitation, même s’il estime que sa défaite aux élections législatives de 1988 en a certainement commandé la rédaction. En marge de ce commentaire, le journal s’efforce surtout d’interroger le recul démographique de Lyon (intra-muros) que le premier adjoint suggère et ne manque pas de souligner qu’

‘en retenant de l’histoire de Lyon ce que la ville a perdu au cours de ces vingt dernières années, André Soulier se garde aussi de citer ce qu’elle a pu acquérir. En outre, le premier adjoint limite ses observations à la seule ville, comme si celle-ci était une cité fortifiée imperméable à l’évolution de l’agglomération.336

Si l’on regarde maintenant du côté de ce que le journal a commenté de Raymond Barre avant qu’il n’apparaisse sur la liste de Francisque Collomb, on est frappé de constater un traitement singulièrement identique, mais à propos cette fois du rayonnement international de Lyon. C’est en effet à l’aune de cette antienne que l’UDF lyonnaise est représentée faisant appel à Raymond Barre. Or, le journal ne manque pas d’en souligner, non sans ironie, ce qui en constituerait le résultat :

‘L’effet Barre a commencé à jouer, mais de façon inattendue, et dès son entrée en campagne. Il a fallu attendre en effet plusieurs semaines pour qu’un comité de soutien lyonnais se constitue tant la perspective des élections municipales obscurcit l’horizon immédiat... Et il a suffi que Barre perde quelques points dans les sondages, pour que ce comité de « soutien » retourne à ses vieilles lunes. Pour qu’on polémique autour des micros « suspects » et qu’on s’accuse de saboter les meetings « unitaires ». [La veille au soir, un meeting du président du Parti radical-valoisien, André Rossinot, s’est tenu devant une salle vide au Palais des congrès.]337

Au bout du compte, André Soulier et Raymond Barre sont encore montrés comme n’ayant pu mener à bien leur quête à cause de leur présence sur la liste du maire sortant, alors même qu’au préalable ils avaient été présentés tour à tour aussi aptes que Michel Noir à l’emporter : Raymond Barre dans la mesure où il avait en commun avec ce dernier une stature nationale et André Soulier en tant qu’il partageait le même type de profil, jusques et y compris dans son programme. A tel point que le seul décrochage flagrant entre Raymond Barre et André Soulier se situe dans le fait que le journal rapporte la position anti-mosquée d’André Soulier (défendue lors de la campagne pour les élections municipales) au moment où Michel Noir, deux mois après son accession à la mairie, en annonce la contruction.

Nous voudrions terminer en marquant un arrêt sur un montage photographique publié par Lyon-Libération dans son numéro du 11 mai 1988 :

message URL ILL002.jpg

Il ressort en effet qu’une partie des acteurs qui y sont représentés en “médaillons”, sur fond de vue panoramique de Lyon édulcorée, sont précisément ceux dont les noms propres, comptant au moins trois occurrences dans le discours éditorial du journal, contribuent à créer le deuxième axe du graphique. A tel point que nous pourrions dire que ce que fige le journal à un moment précis de sa collection - l’après élection présidentielle, dont le journal estime qu’elle a confirmé Lyon dans “son titre de ville la plus centriste” - se trouve répercuté dans le plan-graphique à l’échelle de la deuxième période en son entier. Autrement dit encore, l’analyse factorielle nous permet d’avancer que le “voyage au centre de la politique lyonnaise” que se propose de faire Lyon-Libération dans l’une de ses diachronies se révèle être sous-jacent au traitement éditorial des acteurs politiques tout au long de la deuxième période rédactionnelle, bien qu’en des termes beaucoup plus variés que ceux qui transparaissent dans le photomontage. Celui-ci, qui relève d’ailleurs davantage de ce que Gérard Imbert a appelé un “iconotexte” puisqu’un texte autonome faisant office de légende “élargie” lui est rattaché, tend en effet à synthétiser les recompositions possibles entre les principaux membres - ou plus exactement ceux que le journal rend principaux en leur donnant visibilité - des trois familles de l’UDF338. A cet égard, la démarche du journal revient bien à tenter d’approcher les “centristes” en fonction des positions individuelles qui les habitent plutôt que de chercher à définir le “centre”. C’est en cela qu’il serait possible de raccorder l’entreprise de Lyon-Libération à l’idée selon laquelle

‘ce sont plus des centristes que le centre qui ont animé l’histoire politique française contemporaine et qu’en conséquence il ne saurait y avoir de modèle idéal du centrisme, de « paradigme centriste », mais simplement des « concentrations », des agglomérats momentanés de forces politiques dont le dénominateur commun est la volonté de créer un gouvernement efficace afin d ’éviter l’aventure des extrêmes, au risque d’engendrer l’immobilisme politique et/ou de déstabiliser le régime que l’on entend protéger.339

Mais la démarche du journal se veut avant tout spatial. En recourant à des indicateurs topologiques, il essaie de motiver l’emplacement dans un cadre des figures “centristes” en faisant correspondre cette position “géographique” avec une posture plus proprement idéologique. Encore la voie choisie ne s’avère-t-elle pas satisfaisante pour tous les acteurs représentés. Intégrer ceux-ci dans une structure visuelle contrastive revient à leur imposer de fait une place, ce qui n’est pas sans poser problème explicitement pour deux d’entre eux (C. Béraudier et A. Soulier) et de façon moins prononcée pour deux autres (F. Dessus, R. Fenech340). A propos des deux premiers, du texte adjoint au photomontage se dégage un certain embarras : ‘“L’indépendance de Charles Béraudier le rend difficile à classer. Et où positionner André Soulier ?”’. Quant aux deux autres, il est dit qu’ils ‘“restent suspendus à l’orientation nationale de leur formation”’. Pour les acteurs restants, il paraît clair que leur emplacement dans le photomontage est conditionné par les “qualités” que le journal leur admet volontiers. Si l’on excepte le maire (CDS) du sixième arrondissement Robert Thévenot, qui représente un cas intermédiaire puisque sa position dans le voisinage de Raymond Barre est due au fait qu’il “s’accroche fermement” à lui, la répartition des quatre dernières figures découle d’indications topologiques :

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Notes
328.

Appellation empruntée à Claude Sorbets (cf. “La science politique et la ville”, in Sciences de la société, 30, octobre 1993, p. 97).

329.

Un peu plus d’un mois auparavant, dans l’entre-deux tours, Lyon-Libération a publié un portrait : “L’irrésistible ascension de Pierre Botton, faiseur de maire” (cf. n° du 15 mars 1989). D’après Damien Roustel, cet article sur Pierre Botton est le premier qui paraît dans la presse française (cf. Les journalistes et Pierre Botton. Vous avez dit déontologie ?, Lyon, Editions lyonnaises d’art et d’histoire, 1996, p. 25). Robert Marmoz nous a affirmé avoir demandé à Bruno Marion (décédé depuis) d’enquêter sur Pierre Botton après que celui-ci lui eut enjoint de ne pas faire paraître une seule ligne sur lui, tandis qu’il apportait en personne une réponse négative à la proposition de Michel Noir de devenir directeur de la communication de la ville de Lyon dans l’hypothèse où il l’emporterait en mars 1989. D’après Robert Marmoz, il semblerait que Pierre Botton, le voyant avec Michel Noir, ait été persuadé de son acceptation du “contrat”, ce qui le transformait de facto en son “obligé” puisque directement salarié par ses entreprises (entretien avec l’auteur, le 11 septembre 1998). Après avoir quitté Lyon-Libération, Robert Marmoz a remplacé Robert Belleret pendant six mois au Monde. C’est dans ce quotidien qu’il publie le premier article sur ce qui sera amené à devenir l’“affaire Botton” : “M. Pierre Botton et les anciens propriétaires de Boisson S.A se renvoient la responsabilité des difficultés financières” (cf. n° du 26 mai 1992). Cette enquête ne donnera lieu à aucun commentaire éditorial dans Lyon-Libération. Quant au volet proprement juridique de cette “affaire” et aux traitements journalistiques afférents, ils adviennent pour l’essentiel après la disparition du journal.

330.

Effondrement, Billet Michel Lépinay, 30 mai 1989.

331.

Ainsi que Commandeur des Arts et Lettres depuis juillet 1998, sur proposition du... ministre de la Culture.

332.

Henri Boyer parle au sujet des mots slogans de “focalisation lexico-pragmatique” dans la mesure où leur “fonction perlocutoire” prend le dessus sur leur sens à proprement parler (cf. Mscope, “Journalistes et linguistes, même langue, même langage ?”, n° hors série, avril 1994, pp. 78-80).

333.

Séisme, Commentaire Michel Lépinay, 18 octobre 1988.

334.

Cf. l’enquête intitulée “La ville dont le « système » est CDS” publiée dans le n° du 23 février 1989, pp. 2-3.

335.

On notera qu’à l’instar d’« ouverture », le terme « transparence » est surreprésenté dans la deuxième période (+5).

336.

Cf. l’article de Bruno Marion et Brigitte Vital-Durand intitulé “Recul de Lyon : les données d’un calcul difficile” (n° du 17 juin 1988, p. 4).

337.

Amplification, Billet Michel Lépinay, 31 mars 1988.

338.

La mise en espace génère (...) des “effets de sens” qui sont la condition même de la lisibilité du journal (...). De ce jeu interne d’intertextualité naît un “iconotexte” qui fonctionne comme macrostructure (structure englobante) et texte en expansion (dérivé des deux textes isolés). Le journal est un iconotexte par excellence !” (Gérard Imbert, “Le Journal comme espace de visibilité”, in Signe/Texte/Image, Alain Montandon (dir.), Meyzieu, Césura Lyon Edition, 1990, p.159 (c’est l’auteur qui souligne)).

339.

Danièle Zéreffa-Dray, Dictionnaire historique de la vie politique française au XXème siècle, Jean-François Sirinelli (dir.), Paris, PUF, 1995, entrée “Centre, centrisme”, p. 144.

340.

Alors maire du 9ème arrondissement, président du CDS et président de la Société d’équipement de la région de Lyon.

341.

On notera que l’expression “du côté de la gauche” dénote une lecture mêlant dimensions spatiale et idéologique, ce qui n’aurait pas été le cas si le journal s’était contenté d’écrire “du côté gauche”.

342.

Pour les grandes villes, Louis Pradel est certainement un des derniers exemples historiques de cette volonté presque anachronique d’un maire de grande ville, de vouloir se situer en dehors, au-dessus ou à côté des partis politiques” (Pierre Kukawka, “Les partis politiques français et la structuration du pouvoir local”, in Les pouvoirs locaux à l’épreuve de la décentralisation, Albert Mabileau (dir.), Centre d’étude et de recherche sur la vie locale, Pedone, 1983, p. 244). Selon Henri Portelli, l’indécision entre une campagne “au-dessus des partis” et un appui sur l’UDF qui a caractérisé Raymond Barre avant l’élection présidentielle de 1988 aura concouru à démobiliser les réseaux à fort recrutement de socio-professionnels qu’il était parvenu à constituer les années auparavant (cf. Dictionnaire historique de la vie politique..., op. cit., entrée “Barre Raymond”).

343.

“Dire l’espace”, in Espaces et sociétés, 48-49, 1987, p. 174.

344.

Boomerang, Billet, Michel Lépinay, 11 janvier 1989. C’est nous qui soulignons.