1.2. Fragments et globalité

1.2.1. Agglomération

Le tableau présenté au début de cette section laisse entrevoir le sur-emploi d’« agglomération », mais aussi de « banlieue(s) » et de « quartier(s) », dans la troisième période rédactionnelle. Autant dire qu’il y est représenté à la fois un tout et ce qui en constitue les parties. A l’examen, il s’avère que les formes qui relèvent de l’une et l’autre de ces catégories ne sont que modérément mélangées dans une même unité rédactionnelle. Sur les onze diachronies à l’intérieur desquelles prennent place, dans la troisième période, les 22 occurrences d’« agglomération », cette forme est par deux fois en co-présence avec « banlieue » et l’est une seule fois avec les termes « banlieues », « quartier » et « quartiers ». Si l’on y regarde de plus près, on se rend compte que c’est la construction d’équipements “socio-culturels” dans la banlieue-est de Lyon, qu’elle soit effectivement advenue (une salle dévolue au rock à Vénissieux et un mur d’escalade érigé à Vaulx-en-Velin) ou projetée (un complexe cinématographique dans le « quartier » Démocratie de Vénissieux), qui est donnée à lire à l’échelle de « l’agglomération ». Que ce soit pour représenter Lyon à l’aune d’une attitude “suiviste” (« il a fallu que le communiste André Gerin lance son Truck à Vénissieux pour que Lyon se décide enfin à construire sa salle de rock ») ou pour intégrer un quartier périphérique à un “esprit d’agglomération”. Si cette expression n’est pas répercutée au niveau du discours assumé du journal - au contraire de « projet d’agglomération » ou de « culture d’agglomération » dans la deuxième période, respectivement assignables à la présentation du document Lyon 2010 et à Jean Rigaud -, il n’empêche que l’articulation de Démocratie à l’agglomération correspond bel et bien à une volonté de laisser entendre que ‘“le quartier des Minguettes est aussi important pour Lyon que la rue de la République ’ ‘[trouée “haussmanienne” réservée prioritairement aux piétons dans la Presqu’île]’ ‘ pour Vénissieux”’ 395. On trouve une idée similaire derrière la notion de « vision d’agglomération » - impliquant la fin du « Yalta qui avait prévalu entre Lyon la conservatrice et ses banlieues socialistes » du temps où Francisque Collomb était maire - défendue cette fois par Gérard Collomb, réduit à n’être que le porte-parole de l’opposition après la perte de son siège de député en 1988, et à laquelle le journal fait écho. Mais le croisement entre aspect global de la ville et aspects fragmentaires peut aussi donner lieu dans le discours éditorial de la troisième période à un propos davantage ségrégatif, que celui-ci soit rapporté comme lorsque Michel Noir annonce sur un plateau de télévision nationale qu’à Lyon il avait été décidé « de prolonger le métro jusqu’aux Minguettes, dans un souci de dire qu’il n’existait pas que de beaux quartiers dans l’agglomération lyonnaise » (ici, la dimension ségrégative est inhérente au dire édilitaire lui-même, l’emploi de l’adjectif axiologique « beaux » permettant d’inférer que les Minguettes représentent un quartier “laid”) ou qu’il découle du commentaire même du journal, comme lorsqu’il fait de la sortie d’Oullins du profil « assoupissement pavillonnaire »/« apathie de banlieue-dortoir » « la voie qui permet à une ville reconnue de se faire une place dans une agglomération ». Dans ce cas, nous aurions affaire à une “ségrégation” inversée - ou positive - qui permet à la commune située au sud-ouest de Lyon, et bien qu’elle soit partie intégrante de la Communauté urbaine, de conserver son autonomie, ce que prenait soin du reste d’annoncer le billet un peu plus en amont :

‘Un portique, étrange et saugrenu arc de triomphe en forme de quadrilatère signifie donc à l’automobiliste coincé matin et soir dans un embouteillage que désormais il patiente en terre oullinoise. L’ouvrage se veut symbole. Dans l’esprit de celui qui l’a installé, il est le gardien de l’identité oullinoise.396

Pour le reste, plus du tiers des occurrences d’« agglomération » cantonnées au discours éditorial de la troisième période vont de pair avec le commentaire par le journal d’une part du refus du préfet d’accepter en l’état le schéma directeur prôné par le document Lyon 2010 et d’autre part de la suspension du « contrat d’agglomération » entre la Ville et l’Etat. A ce niveau, l’approche horizontale de l’agglomération fait place à une lecture transcendantale, avec Michel Noir comme figure dominante assurant la médiation entre les deux niveaux territoriaux.

Notes
395.

D’après l’architecte Guy Vanderaa qui, en tant que “conseil” auprès de l’adjoint à l’urbanisme de Michel Noir, Henry Chabert, prône un “esprit d’agglomération” depuis la Ville de Lyon, non pas entendue comme ville-centre mais comme centre d’un réseau de villes. Ce qui implique en retour de redéfinir les rapports entre les collectivités et les opérateurs privés, ces derniers plus aptes selon lui à assurer un suivi des opérations, à condition cependant qu’ils intègrent une structure légère à l’échelon municipal et non plus communautaire (cf. “L’“esprit d’agglomération” vu de Lyon”, n° du 26 avril 1989, p. 4).

396.

Dilemme, Billet Robert Marmoz, 20 janvier 1990.