La nécessaire maîtrise de la lecture visuelle

La maîtrise de la lecture visuelle est indispensable pour pouvoir utiliser pleinement l'écrit. C'est la compétence technique qu'exige la lecture suivie de textes longs. Cette maîtrise, c'est la capacité à lire vite, et, donc, pour cela, l'abandon de toute subvocalisation. Ce qui n'empêche pas de "lire" lentement ou à voix haute, pour déguster un poème, par exemple. Dans ce cas, ce n'est pas l'acte de lire qui est lent, mais ce qui le suit : diction, méditation... (Beaume 1986).

Lire n'est évidemment pas qu'une activité visuelle : ‘"Lire met en jeu deux modes d'information, l'une qui se trouve devant le globe oculaire, sur la page imprimée, que j'appelle information visuelle et l'autre située derrière le globe oculaire, dans le cerveau, que j'appelle information non visuelle"’ (Smith 1992, 34). L'information non visuelle, c'est tout ce que nous savons sur la lecture comme sur le monde en général. L'utilité de ce capital est soulignée par ce que Foucambert (qui s'appuie sur Abraham Moles) appelle la règle des 80%. On ne comprend pas un message écrit si on ne connaît pas déjà 80% des éléments qui le composent. Ces 80% sont les fruits des lectures antérieures mais aussi des expériences de la vie et créent un "horizon d'attente" par rapport auquel le texte prendra sens 12 .

Les indices graphiques que l'oeil prélève à la demande du cerveau peuvent être décrits "‘comme un mouvement de la pensée orientée par une attente, nourrie par une grande diversité de savoirs sur le monde, sur les textes et la langue et finalisée par une recherche, mouvement qui va prélever des informations dans le texte, le contraire d'une activation passive par des stimulus successifs, d'un lexique mental préparatoire à un traitement sémantique"’ (Foucambert 1994, 124).

Cette compétence technique qui se renforce à chaque lecture, car le lire nourrit le savoir-lire, transforme la lecture en un outil des plus efficaces face à tous les médias qui ont besoin de la médiation de la parole. Richaudeau (1996) indique ainsi que la vitesse de lecture est trois fois plus rapide pour un lecteur moyen que celle de la prononciation et, donc, d'écoute sur le même texte. La maîtrise de la lecture visuelle permet de passer d'un ‘"enregistrement de la parole" à l' "enregistrement" de la pensée"’ (Illich 1991).

Notes
12.

Jauss (1994, 49) donne une définition précise de ce qu'est l'horizon d'attente : "L'horizon d'attente est le système de références objectivement formulables qui, pour chaque oeuvre au moment de l'histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs principaux : l'expérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique d'oeuvres antérieures dont elle présuppose la connaissance, et l'opposition entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire et réalité quotidienne". Nous trouvons, avec Lejeune (1975, 320), cette expression d' "horizon" excellente : "Son brumeux lointain représente la manière dont toutes les expériences antérieures de lecture tendent à se fondre dans un paysage-type ; et le propre de l'horizon , on le sait, est d'être un phénomène relatif de perspective qui change lorsque l'observateur se déplace (ici dans le temps)".