Le peu d'attention au niveau de compétence technique des élèves

Les évaluations lors de l'entrée en sixième sont pourtant claires, la maîtrise de la lecture fine que nécessitent les activités du collège n'est acquise que par la minorité d'élèves qui possède les compétences remarquables. A la sortie du collège, il n'y a pas d'évaluation nationale On peut toutefois se référer à l'enquête AFL-INRP de 1986, en supposant une certaine élévation du niveau des élèves depuis lors. Soixante et onze collèges répartis dans l'ensemble de la France, dont le tiers dans la région parisienne, étaient concernés, soient 16 005 élèves, 9 369 de 6e, 6 166 de 3e, 310 de SES, 160 de CPPN, dont l'origine sociale se distribuait selon les catégories socio-professionnelles suivantes :

Tableau n° 2.  : Les catégories socio-professionnelles des chefs de famille
CSP 1 7% Cadres supérieurs, professions libérales, professeurs, etc...
CSP 2 53% Cadres moyens, instituteurs, petits patrons, etc...
CSP 3 16% Employés, ouvriers qualifiés, agriculteurs, etc...
CSP 4 24% Ouvriers spécialisés, absence de qualification, etc...

Nous nous intéressons donc aux résultats des 6 166 élèves de troisième dont 2 840 garçons et 3 326 filles avec 16,4% de recrutement rural, 50% de recrutement urbain, 33,6% de recrutement mixte. Leur âge moyen était de 15 ans 4 mois, 50% ayant au moins redoublé une classe. Il leur était demandé de lire intégralement un texte et de répondre ensuite à une série de questions qui vérifiaient sa compréhension. La vitesse moyenne de lecture des élèves de troisième est de 8 600 mots à l'heure. A tous les élèves a été ajouté un crédit de 300 mots pour tenir compte d'un possible dépaysement devant l'écran. Rappelons que 9 à 10 000 mots à l'heure correspondent à la vitesse de la production et de l'écoute de la parole 68. Ceux qui obtiennent moins de 35% de compréhension sont comptabilisés à part, ils représentent 12% des élèves de troisième. Pour ces élèves, on ne peut considérer qu'il y ait lecture effective car le sens du texte leur échappe pour l'essentiel.

Tableau n° 3. : Les vitesses de lecture
Moins de 35% de compréhension De 1500 à 6000 M/H de 6000 à 9000 M/H De 9000 à 15000 M/H Plus de 15000 M/H
CSP supérieures 14% 12% 37% 36% 1%
CSP inférieures 15% 17% 39% 25% 4%
Tableau n°4 : Efficacité (Contraction des vitesses de lecture et de la compréhension)
Moins de 35% de compréhension Moins de 42 en efficacité De 42 à 75 Plus de 75
12% 23% 46% 19%
20%* 38% 33% 9%
(* En italique, les résultats des élèves de sixième).
  • Le calcul de cet indice qui exprime l'efficacité de lecture (Source : Association Française pour la Lecture) se réalise ainsi :

  • Efficacité = nombre total de signes du texte X 3,6 X compréhension (8 réponses/10 = 0,80)

  • durée en secondes

Il s'agit ici du calcul de l'efficacité brute, établi sur un seul test de lecture. Il n'intègre pas l'indice de lisibilité du texte qu'on utilise pour évaluer l'efficacité pondérée. Mais cela nécessite la passation de plusieurs tests, ce qui n'est pas toujours réalisable dans le cadre d'une enquête.

Foucambert (1986, 25) a analysé cette enquête qui concernait une population scolaire très large et il décrit ainsi les trois seuils d'efficacité :

"‘En dessous de 42 points, l'utilisation de l'écrit est possible mais elle reste d'un profit trop faible, aussi bien en raison de la médiocre compréhension que de l'importance du temps investi, pour entraîner des actes de lecture fréquents, fructueux et volontaires. On se "débrouille" avec l'écrit mais, à aucun point de vue, on est lecteur : on s'en tient aux rencontres de survie.’

‘De 42 à 75 points, la zone englobe des comportements encore modestes mais qui commencent à basculer du côté de la spécificité de l'écrit. La lecture devient une opération "rentable" mais continue de demander un effort. On ne s'y livrera pas volontairement et la concurrence des autres moyens de communication jouera toujours contre elle : on en reste aux rencontres imposées.’

‘(...) Au delà de ce seuil de 75 points. Là, le lecteur se comporte un peu comme un bilingue qui n'a plus besoin de traduire pour comprendre. Son esprit est disponible pour le sens car il n'est plus accaparé par le support même du message. Lire ne lui demande pas plus d'effort que les autres moyens de communication. Il choisira l'écrit volontairement, aussi bien pour s'informer que pour se distraire".’

En ce qui concerne les élèves de troisième, il ajoute que si on observe les résultats à la fin de cette classe, alors qu'une proportion non négligeable d'enfants ont été éliminés depuis la sixième, on constate qu'un tiers des élèves ne savent pas lire ou extrêmement mal, que presque la moitié se "débrouille" assez bien avec l'écrit, ‘"un peu comme on se débrouille en anglais quand on ne le parle pas couramment".’ Presque 20% sont lecteurs.

Si on considère les catégories socio professionnelles, elles introduisent peu de variations et les garçons obtiennent de meilleurs résultats que les filles.

Il existe chez un nombre important d'élèves de troisième un déficit technique. Pour Foucambert (1986), ce déficit technique affecte à tel point une majorité des élèves qu'on est conduit à rechercher son origine au moins pour partie dans le système scolaire lui-même. La situation ne s'est pas aggravée, bien au contraire. Si le problème apparaît avec une telle acuité aujourd'hui, c'est que se retrouve au collège, et ensuite en seconde, la quasi totalité d'une classe d'âge, alors qu'autrefois ne poursuivaient leurs études que 20% des enfants, précisément la proportion qui se situe au-dessus du seuil de technique efficace. Pour Passeron (1991), Le savoir-déchiffrer, en lecture phonique, qui représente au XIXe siècle et encore au début du XXe, une frontière socio-culturelle importante, n'est plus un indicateur pertinent si l'on veut mesurer la compétence qu'exige la lecture suivie de textes longs. Dans une enquête précédente (1993), nous avons été surpris de constater que cet aspect technique de la lecture était occulté par un nombre important de professeurs. Si neuf enseignants sur dix estimaient nécessaire un entraînement à la lecture, près de la moitié de ceux-ci était incapable de préciser ce que pouvait recouvrir un tel apprentissage ou citait des exercices traditionnels comme la lecture suivie ou dirigée. Pourtant dans Lire au collège (1986), complément aux Instructions de 1985, il était indiqué qu'un certain nombre d'outils, issus des recherches sur la lisibilité et la lecture rapide, étaient maintenant à la disposition des professeurs comme les livres, les fichiers d'entraînement et les didacticiels d'entraînement à la lecture silencieuse. C'est ainsi que les travaux de Richaudeau sur la "lecture efficace" ont pénétré les manuels de français utilisés en collège sans effets vraiment repérables sur le niveau de compétence des élèves.

A la fin du collège, les lecteurs restent largement minoritaires par rapport au grand nombre de liseurs. Cette non maîtrise des compétences remarquables par une majorité des élèves, niveau qu'exigent les programmes de collèges dans les différentes matières, n'apparaît pas comme une donnée intégrée et traitée par un grand nombre de professeurs de français. De plus, peu d'enseignants réalisent l'intérêt d'appuyer la progression de leurs élèves sur des lectures faciles qui les familiarisent avec le monde de l'écrit. Pour définir ces lectures faciles, un concept s'impose, c'est celui de lisibilité. Elle peut se comprendre, c'est ce qu'exprime Richaudeau (1991), comme l'aptitude d'un texte, généralement imprimé ou affiché sur un écran vidéo, à être lu avec aisance et efficacité. Les professeurs n'admettent ces lectures faciles qu'à regret parce que ce sont souvent les seules acceptées par les jeunes. Ils ne perçoivent pas suffisamment qu'elles peuvent être une étape dans un cheminement lectoral dont les directions n'ont pas à être imposées. Il existe certainement un déficit de connaissances, chez les professeurs que nous avions interrogés, sur la réalité de l'acte lexique, car, pour eux, l'apprentissage de la lecture relèvent de leurs collègues du primaire. Le corollaire de cette attitude de rejet envers des textes qui offrent une entrée aisée est la grande place attribuée aux textes classiques.

Notes
68.

A titre de comparaison, en C.P., les élèves lisent en moyenne 5 000 mots à l'heure comme l'indique Jean Richaudeau dans le n° 61 des Actes de Lecture de mars 1998 (p. 15).