La rétroaction des exigences lectorales du lycée dans l'enseignement de la lecture au collège

Il semble que la finalité première de l'enseignement du français en collège ne soit pas de faire lire les élèves, mais de les faire mieux lire, alors qu'ils ne maîtrisent pas, pour une majorité d'entre eux, la lecture. Pour reprendre ce que dit de Singly (1993), c'est comme si en mathématique, on commençait par des équations à plusieurs inconnues avant d'étudier celles à une seule.

En 1991-1992, l'Inspection Générale de lettres a mené une enquête sur la lecture des oeuvres intégrales au collège, enquête qui se base sur les rapports d'inspecteurs de vingt-cinq académies ayant travaillé dans cent vingt cinq collèges, et a relevé ‘"une tendance dangereuse à anticiper sur les programmes des lycées"’. Zola, Anouilh, Beaumarchais sont étudiés au collège. Les classes de quatrième et troisième sont considérées par un grand nombre d'enseignants de français comme une propédeutique de l'étude de la littérature entreprise au lycée, avec, en objectif final, l'examen de français du baccalauréat au terme de l'année de première. C'est ainsi que de plus en plus il apparaît important d'apprendre à ‘"lire méthodiquement".’

Une série de deux articles de L'école des lettres (dans les n°4 et n°5 de l'année 1994-1995), la revue pédagogique la plus diffusée auprès des enseignants de collège, commençait ainsi : ‘"Ces quelques réflexions sur la lecture méthodique sont un effort de synthèse des principaux travaux sur le sujet, bientôt dix ans après son apparition à l'oral du baccalauréat, puis dans les I.O. de seconde et de première"’. Dans les compléments aux Instructions pour la classe de troisième, nous lisons qu'un des objectifs de la scolarité au collège est d'apprendre à "lire méthodiquement". Les nouvelles Instructions ont modifié cette appellation, la lecture méthodique est devenue la "lecture détaillée analytique". Les objectifs du lycée pénètrent ainsi au collège sous la justification pédagogique de mieux préparer les élèves à franchir le seuil entre ces deux niveaux d'enseignement.

Il y a chez les enseignants comme un refus d'inciter les élèves à des lectures au premier niveau, celles-ci doivent être appréhendées avec distanciation. Schön (1993) a parlé du "mauvais choix" des textes scolaires pour les élèves allemands car le rejet des lectures obligatoires repose sur une constante : la récrimination contre la façon dont les textes littéraires sont abordés à l'école, contre l'analyse et l'interprétation méthodique qu'il faut leur appliquer et qui empêchent l'identification d'opérer. Pour les élèves qui ne maîtrisent pas les compétences remarquables, qui ne vivent pas en connivence avec la lecture lettrée, il n'est pas certain que cette lecture contrainte se combine aisément avec le plaisir de lire. Aussi, de Singly (1993, 140) propose qu'on en tienne compte sur le plan pédagogique : ‘"Les pédagogies, familiales et scolaires doivent tenir compte de la définition moderne de la lecture qui insistent plus sur le sentiment de liberté et de plaisir que cette activité doit procurer que sur le contenu, moral ou littéraire. A la limite, il n'y aurait rien à faire, toute obligation étant contraire à l'idéal de cette activité".’ Cette forte scolarisation de la lecture, dans le choix des textes et dans la manière de les aborder, se retrouve aussi dans les pratiques d'écriture.