Des pratiques d'écriture surtout scolaires

Pour six professeurs sur dix, parmi ceux que nous avions précédemment interrogés (1993), les travaux d'écriture possèdent une finalité avant tout scolaire. Les écrits exigés, rédaction traditionnelle principalement, n'existent pas en dehors de l'école, ils n'ont aucun statut social. Ce jeu pédagogique en circuit fermé risque de faire oublier qu'écrire est un acte de communication qui, toujours, doit prévoir un lecteur. Cela ne doit pas être négligé, c'est ce que rappelle Foucambert en commentant l'enquête de l'AFL-INRP de 1986 : ‘"Au collège, on écrit pour apprendre à écrire : l'expérience à théoriser est définie par le sujet de la rédaction et le destinataire se réduit au professeur qui l'a fourni ! Ce fonctionnement en circuit fermé débouche sur une non-expérience de l'écriture qui retentit profondément sur la lecture car c'est aussi en anticipant sur la manière dont un lecteur va attribuer du sens à son texte que l'auteur prend conscience de ses propres stratégies de lecture et les fait évoluer"’ (Foucambert 1986, 40-41).

Dans ce domaine profondément bouleversé par le traitement de texte, au point que le poète Jacques Roubaud parle de son "macintoshhuscrit", les pratiques enseignantes restent figées. 25% des enseignants que nous avions questionnés (1993) travaillent avec des élèves initiés à cette technique qui facilitent tant l'édition des travaux des élèves. Mais seulement 20% d'entre-eux profitent de cette opportunité. Et pourtant, comme le souligne Clément (1992, 195), comment faire que les élèves écrivent "pour de bon" ? ‘"Dans notre société, l'écriture manuelle est réservée aux écrits intimes. La communication et la diffusion supposent l'imprimerie. En venant relayer l'imprimerie trop lourde à utiliser dans les classes, et la machine à écrire trop sensible aux fautes de frappe des élèves, l'ordinateur s'avère l'outil idéal pour produire des écrits sociaux"’. Globalement plus de neuf professeurs sur dix, dans notre recherche de 1993, n'éditent, ne serait-ce que simplement pour le groupe classe, aucun des travaux de leurs élèves. Cependant, d'illustres pédagogues, depuis longtemps, ont insisté sur l'intérêt d'une socialisation des écrits des élèves. Ne citons que Tolstoï, dans son école d'Isnaïa-Poliana, ou Freinet, qui imprimaient les travaux de leurs élèves. Cette socialisation des écrits, malgré le triple apport technique : ordinateur, imprimante, photocopieur, n'est pas encore une réalité.

Les auteurs des I.O., de 1985 ou des nouveaux textes, confrontés à la demande sociale d'une meilleure maîtrise de l'écrit, ne se libèrent que difficilement d'un modèle de lecteur, le leur, celui du lecteur lettré. Promouvoir des pratiques de lecture, c'est-à-dire pour le professeur de français être un professeur de lecture, ne s'accorde pas obligatoirement avec un enseignement de la littérature pensé comme un corpus de textes à transmettre et à étudier. Cette double exigence, à la fois être un professeur de lecture et un professeur de littérature, convient lorsque l'enseignant de français s'adresse à des élèves qui possèdent les compétences remarquables en lecture souvent acquises par imprégnation familiale. Pour les autres, c'est-à-dire la majorité des élèves, cela fonctionne beaucoup plus difficilement. Il faut donc déterminer une priorité, être professeur de lecture ou professeur de littérature, du moins si cette fonction n'est pensée que comme transmission d'un patrimoine. Le choix, abandonné aux enseignants de français, risque d'être effectué en fonction de la culture et de la formation de chacun d'entre eux.

L'observation de ces pratiques pédagogiques confirme le paradoxe souligné chez Prost (1992) comme chez Meirieu (1997). Par sa structure indifférenciée depuis la réforme de 1975, le collège se rapproche de l'école primaire. Une école primaire pour grands élèves mais où les classes sont faites par des professeurs du secondaire avec des comportements pédagogiques du secondaire. C'est ce que nous avons pu vérifier... alors que seule une minorité d'élèves possède "les compétences remarquables" du lecteur 71.

Mettre en oeuvre une politique de lecturisation peut aider à surmonter ce paradoxe d'une demande de primaire supérieur auquel on répond par un enseignement uniforme et de type secondaire.

Notes
71.

Aussi ce qu'écrivent Claude Thélot (alors directeur de La D.E.P. au Ministère de l'Education Nationale) et Claudine Peretti dans Enseignant Magazine d'août-septembre 1997 (p. 24) à propos des "compétences remarquables" ne se vérifie pas. "Les compétences remarquables (...) témoignent d'une maîtrise quasi complète des savoirs et du savoir-faire qui ont été enseignés à l'élève sans pour autant être exigibles". La réalité de l'enseignement au collège "exige" de l'élève la possession de ces "compétences remarquables".