CHAPITRE II
LA POLITIQUE DE LECTURISATION

La lecture est une pratique culturelle particulière puisqu'elle semble s'apprendre à l'école. Ainsi pour E. Rogovas-Chauveau (1993), les enfants qui réussissent sans problèmes au CP sont ceux qui viennent y "terminer" leur apprentissage 72. Ces enfants ont acquis leur rôle de lecteur dans leur famille parce que l'écrit y était présent et utilisé. Une politique de lecture doit, comme l'écrit de Certeau (1980, 290), ‘"s'articuler sur une analyse qui, décrivant des pratiques depuis longtemps effectives, les rendent politisables".’ Il s'agit ici d'introduire à l'école des pratiques pédagogiques qui essaient de compenser ce que le milieu familial apporte "naturellement" à certains. Aussi notre analyse doit beaucoup à la sociologie de la lecture non plus convoquée pour constater des carences, mais pour comprendre leur origine, et ainsi bâtir une politique de lecture qui tienne compte à la fois de la spécificité de l'approche de l'écrit et du milieu scolaire. La sociologie de la lecture souligne l'importance des mécanismes sociaux à côté des mécanismes cognitifs dans l'acte de lire. Les élèves ne peuvent être traités comme égaux devant l'écrit. Certains ont grandi dans la familiarité des livres et n'ont aucune difficulté à se les approprier. Les autres n'ont jamais vu leurs parents un livre dans les mains.

Cette politique doit d'abord inciter à lire et à écrire. Ensuite, ces utilisations de l'écrit seront théorisées pour que chacun puisse construire un autre savoir sur lui-même et sur le monde que celui que procure la seule expérience sensible. L'écrit reste un instrument qui aide à prendre du recul. Mais aucune des deux approches, sensible ou livresque, ne peut être exclusive. Instituer une politique de lecturisation signifie qu'on croit que la maîtrise et l'emploi de l'écrit permettent une meilleure compréhension de l'environnement dans lequel on vit, et par là même, une possibilité de s'en libérer ou de le modifier. Lecturisation est un mot qui engage, aussi est-il important de s'arrêter sur la genèse de ce néologisme qui ne possède pas la neutralité de l'autre mot auquel on peut l'opposer : alphabétisation.

Notes
72.

In M. Alves-Martins, J.M. Besse, G. Chauveau et al, La lecture pour tous. Paris : Armand Colin, 1993.