La passation d'un pacte littéraire

Toute lecture est comparative. L'enseignant peut aider à mettre en rapport le livre qu'on est en train de lire avec d'autres livres déjà lus, et à créer des réseaux entre les lectures. Pour Goulemot (1985), lire, ce serait donc faire émerger la bibliothèque vécue, c'est à dire la mémoire des lectures antérieures et des données culturelles. Il semble donc formateur d'aider les élèves à passer ce pacte littéraire qui naît lorsqu'il se produit quelque chose entre le texte à lire et les autres déjà lus. De livre en livre pourrait ainsi s'élaborer une culture de l'écrit, prête à se mobiliser chaque fois qu'il s'agira de créer les conditions d'accueil d'une nouvelle lecture. Comme le dit Passeron (1987), c'est par rapport à cet "horizon d'attente" du lecteur que le texte fera effet, déception ou surprise. Il existe donc différentes attentes qui donnent des sens différents au texte et le problème posé est celui de la complexité des conditions qui permettent de passer ce pacte littéraire. Tous les livres n'aident pas à cette passation. Et Passeron ajoute que si on désire que le livre permette d'accéder à la lecture littéraire, même si son accès est "facile", il doit posséder au moins deux caractéristiques : être toujours assez complexe pour autoriser la transgression de pactes de lecture et s'intégrer au système général de la littérature par rapport auquel il est écrit et prend toute sa signification.

La littérature pour la jeunesse, parce qu'elle facilite cette identification, peut être introduite en collège. Actuellement, elle l'est, comme le constatent Manesse et Grellet (1994), un peu au cycle d'observation, pas du tout au cycle d'orientation, mais, les nouvelles Instructions officielles encouragent son utilisation en classe. Il semble alors important de proposer des ouvrages qui n'enferment pas le lecteur dans un seul pacte, et, offrent donc une grande variété. Comme le soutient Bruno (1993, 55-56) : ‘"Les livres destinés à la jeunesse, par les dispositions culturelles qu'ils reproduisent et les marquages qu'ils véhiculent, offrent une bonne reproduction de l'ensemble des goûts, des intérêts, des comportements des individus et des groupes qui constituent le corps social. Mais reproduction du réel, le livre peut être aussi un outil de reproduction de cette perception d'une génération à l'autre. Limiter, comme les familles le font souvent dans la pratique, les produits proposés à l'enfant à tel ou tel type d'ouvrages conduit à l'enfermer dans les dispositions culturelles de son milieu et, pour certains jeunes, à les exclure par là de toute intégration véritable. Car la culture n'est-elle pas surtout la faculté d'apprécier et de comprendre les codes de significations différents".’

Cette promotion de la lecture, à travers des ouvrages avec lesquels l'élève peut passer des pactes faciles, ne peut cependant suffire si on veut doter les élèves d'une véritable culture de l'écrit. Un effort de production intellectuelle s'impose. On voit mal pourquoi et comment les élèves vont capitaliser des connaissances si toutes ces lectures ne sont pas animées par un projet qui développe et oriente un besoin de lire.