TROISIEME PARTIE
LA CONSTITUTION DE L'HABITUS LECTORAL

Introduire le concept d'habitus dans une étude sur la pédagogie de la lecture, c'est reconnaître que certains élèves abordent l'écrit avec un handicap, au sens que lui donne Bourdieu (1997) de "course à handicap", parce qu'ils ne jouissent pas du capital culturel acquis à travers et autour des pratiques de lecture que d'autres détiennent souvent par le seul privilège d'une naissance dans un milieu où le recours au livre est habituel. Chez ces derniers, la lente imprégnation familiale opère, parfois sur plusieurs générations, et donne sens à l'utilisation de l'écrit. Ainsi, la compétence technique, indispensable pour devenir un lecteur, celle qui autorise la lecture rapide de textes longs, s'acquiert à travers une pratique de lecture qui leur apparaît naturelle. La connivence avec l'écrit qu'autorise la possession d'un habitus lectoral constitue un "bien" inégalement partagé. Selon le milieu socio-culturel surtout, mais aussi selon les parcours de vie, les rencontres, l'écrit fait sens et mérite les efforts pour le maîtriser. Ce constat d'un plus ou moins grand éloignement avec l'écrit ne peut être éludé si on désire promouvoir les pratiques de lecture.

Si l'utilisation actuelle du concept d'habitus doit beaucoup à Pierre Bourdieu, les origines de ce concept sont beaucoup plus anciennes. Il n'est pas inintéressant de remonter à ces sources pour définir cet habitus particulier qu'est l'habitus lectoral. Pour vérifier la possession ou l'absence d'un habitus lectoral chez l'élève, un idéal-type de lecteur à l'école a été élaboré. Cela permet de repérer les élèves qui sont des lecteurs et ceux qui ne le sont pas. Ensuite, nous dressons le bilan d'une expérience de lecturisation dans un collège en opposant les deux échantillons d'élèves.