L'habitus lectoral et son identification

Lire suppose la possession d'un capital culturel incorporé sous forme d'habitus. Nous avons évoqué la double nature de cet habitus lectoral qui peut fonctionner à certains moment d'une manière non réfléchie mais qui peut aussi, à d'autres moments, soumettre les automatismes à la raison. L'objet de notre recherche est de savoir si l'école peut créer les conditions qui permettent à l'élève de constituer ce capital indispensable pour devenir un lecteur. S'il est aisé de constater une corrélation entre l'origine socio-culturelle de certains élèves et leur comportement de lecteur, il reste difficile de saisir la genèse de leur habitus lectoral parce que celui-ci n'est décelable que lorsqu'il est installé. Les multiples interactions entre influences sociales et motivation individuelle compliquent l'analyse. Cette difficulté est d'ailleurs soulignée par Bourdieu (1992 b, 109) : ‘"Le problème de la genèse de l'individu biologique socialisé ; le problème donc des conditions sociales de formation et d'acquisition des structures génératives de préférences qui constitue l'habitus en tant que social incorporé, est extrêmement complexe".’ L'habitus ne peut être saisi qu'à travers ses actualisations lorsqu'une condition lui fournit l'occasion de se manifester. Ce sera lors des visites à la bibliothèque, des recherches au C.D.I., des compte rendus de lectures, etc, que se distingueront les élèves qui possèdent ou ne possèdent pas le capital culturel qui leur rend familier ce milieu de l'écrit. L'habitus ne pourra être identifié que par induction à partir d'observations réitérées des pratiques. Ce n'est qu'après avoir constaté les pratiques, leur régularité et leur corrélation avec les conditions d'existence passées qu'on pourra supposer l'existence d'un habitus et ‘"remontant du visible à l'invisible, on conviendra alors que les pratiques actuelles mettent en oeuvre des schèmes d'action préalablement habitualisés"’ (Héran 1987, 401).

A partir des pratiques auxquelles nous aurons affaire et dont il faudra objectiver l'enregistrement, on s'efforcera de dégager et d'analyser l'habitus activé lors des rencontres avec l'écrit. Barbier-Bouvet (1988) regrette que la plupart des études portent plus sur les lecteurs que sur les lectures. On sait qui lit quoi, où, pourquoi, etc., mais pas comment ; on connaît les circonstances, les objets, les acteurs mais pas la relation. Comme ajoute aussi Viala (1988, 16), le "comment" se dérobe : ‘"L'acte même de lire échappe largement à l'investigation, parce qu'il se consume, pour une part essentielle, dans son accomplissement même"’. Aussi est-il important de construire une grille de questionnement des élèves qui permette, à partir de ce qu'ils disent de leurs pratiques ou de leurs non pratiques de lecture de reconstituer leur habitus et d'en saisir la genèse. S'arrêter sur les trois moments de la constitution de l'habitus selon Héran (1987, 393) permet de dégager des axes pour élaborer ce questionnement : ‘"C'est d'abord une action organisatrice, c'est ensuite un état habituel, une manière d'être, c'est enfin une prédisposition, une tendance, une propension".’