Le récit de pratiques lectorales

Nous désirons appréhender des "visions de l'intérieur", c'est-à-dire les manières dont les élèves parlent de leur expérience lectorale. La problématique générale de notre recherche vise la compréhension des articulations entre l'espace scolaire, plus particulièrement les cours de français au collège, et l'espace personnel du jeune en ce qui concerne la lecture. Aussi, le récit de pratiques nous semble intéressant pour bien saisir l'habitus lectoral des élèves.

La méthodologie de cette technique d'enquête a été ainsi précisée dans la note de synthèse d'un travail de recherche mené par le G.R.E.A.S., Groupe de Recherche en Education et Action Sociale 88 ‘:"La méthode de récit de pratiques consiste à recueillir des "petits faits" de la vie ordinaire en se concentrant sur l'expérience du sujet. Un tel récit se construit sur la base d'une focalisation thématique et temporelle : l'interviewé est invité à raconter ses actes concrets, ce qu'il fait, comment il procède, qui il rencontre, à partir d'une question introductive ouverte à propos d'un thème. L'intervieweur tente dans ses relances de suivre la logique du narrateur et de faire clarifier ses propos. Il n'oublie pas pour autant les dimensions du thème qu'il a préalablement dégagées et à propos desquelles il souhaite des informations ; il propose ces dimensions au fur et à mesure, de la façon la plus pertinente possible" ’(1991, 13).

Nous pensons que la manière de dire les pratiques est liée au contenu de l'énoncé et au rapport entretenu aux pratiques. C'est pourquoi nous désirons, avant de proposer aux élèves un questionnaire où ces manières de dire seraient absentes, écouter le récit de leurs pratiques. Les visions et les interprétations des agents sont une composante de la réalité complète du monde social. Certes la société possède une structure objective, mais il n'en est pas moins vrai qu'elle est aussi faite de représentation et de volonté. Comme le souligne Wacquant (1992), les individus ont une connaissance pratique du monde et ils investissent cette connaissance pratique dans leurs activités ordinaires.

Les entretiens consistant en "récits de pratiques" mettent les personnes interrogées "en situation" et sont donc généralement précis sur la nature des relations évoquées à travers des situations concrètes. Cela nous aidera à comprendre comment s'instaure le rapport à l'écrit. L'élève racontera ses actes concrets, ce qu'il fait quand il lit, comment il procède aussi bien pour s'approvisionner en objets de lecture que pour lire. L'objectif est d'accéder de l'intérieur à la manière dont l'élève saisit ses pratiques et son expérience de lecteur. Il existe de nombreux pré-savoirs qui ne se véhiculent pas par la lecture mais qui pourtant l'orientent. Quelles sont les connaissances qui circulent de manière orale et qui conduisent à la lecture ?

Il s'agit de recueillir des "petits faits" de la vie ordinaire d'un lecteur dans son rapport familier à l'écrit avec une double focalisation, thématique, la lecture, et, temporelle, raconter des actes concrets. La narration des faits peut être accompagnée de commentaires comme dans la conversation courante.

Appréhender les manières de lire et les intérêts investis dans la lecture est difficile. L'utilisation du récit de pratiques aide à dépasser la difficulté que soulignent Hauger, Poliak et Pudal (1995, 45) : ‘"L'investigation concernant les intérêts investis dans la lecture se heurte en effet à un problème de méthode difficile à contourner : interroger les enquêtés sur l'intérêt qu'ils portent à la lecture (ou à la littérature, ou au roman, ou à tel roman), c'est en effet leur proposer un sujet de dissertation ou une explication de texte, et on ne mesure alors rien d'autre que leur compétence dans une gamme d'exercices particuliers".’

Après avoir précisé que ce qui nous intéresse, c'est le comportement de lecteur de l'interviewé dans ce qu'il a de plus concret, la question introductrice du récit de pratiques était : ‘"Est-ce que tu peux retrouver dans ta mémoire un moment où tu as lu ces jours derniers, et nous raconter concrètement comment cela s'est passé ? Les plus petits détails nous intéressent."’

De ce récit de pratiques, quatre sortes de données peuvent être extraites :

  • Objet et circonstances :
    Réponses aux questions. Ils lisent :
    • quoi ?

    • quand ?

    • Où ?

    • Comment ? .

  • Influences :
    • Pourquoi lisent-ils ?

    • Qui les guide, les influence ou les conseille ? (Il s'agit de toutes les influences, pas seulement celles de sujets, mais, aussi par exemple : sont-ils sensibles à une couverture d'ouvrage ?).

    • Où s'approvisionnent-ils en objets de lecture ? (Ils peuvent narrer les gestes qu'ils font lorsqu'ils choisissent un ouvrage dans un C.D.I., un rayon livre d'un supermarché... Commencent-ils par lire l'amorce sur la quatrième de couverture ? Feuillettent-ils le livre ? ...)

  • Appréciations :
    • Ces moments passés à lire, comment les jugent-ils ?

  • Sociabilités :
    • Avec qui parlent-ils de ces moments de lecture, de ce qu'ils ont lu ?

Notes
88.

C'est-à-dire R. C. Khohn, E. Callu, K. Famery, O. Abdat.