- Un relatif échec scolaire 115

François (E1), Jessica (E1) et Laurent (E2) qui lisent beaucoup ont rencontré quelques difficultés dans leur cursus scolaire au lycée.

François a doublé sa seconde, a doublé sa première et a été orienté vers une série technique, Sciences et technologies tertiaires. Jessica double sa première Science médico-sociale. Quant à Laurent, né en 1974, il est en terminale professionnelle Electricité et Equipements électriques, section pour laquelle il affirme qu'il n'éprouve aucun intérêt, aboutissement d'une orientation fruit d'échecs scolaires. Il indique qu'il a lu davantage que ses camarades de classe parce qu'il a suivi une seconde générale.

Laurent, bien qu'en échec scolaire, ne correspond pas du tout à l'image qu'on peut se faire de ce type d'élèves. Il aime les mots, les manipuler, les travailler. Il nous a avoué, juste avant de nous séparer, qu'il écrivait des poèmes (une cinquantaine déjà), il aime beaucoup le trio Verlaine-Rimbaud-Baudelaire et aussi Prévert. L'histoire peut, pour Laurent, n'être pas passionnante. Par exemple, chez Frédéric Dard, l'intérêt de la lecture des San Antonio est ailleurs, dans les jeux de langage. Et pourtant toutes ses lectures ne l'ont pas aidé à réussir à l'école. L'ont-elles gêné ? Les déclarations de François apportent une explication.

François s'efforce de dompter son envie de lire et de stopper sa lecture à minuit car lorsqu'il lit, il ne ressent pas le sommeil. Il peut rester jusqu'à 2h30 du matin si le roman lui plaît. Tout moment libre est bon pour lire. Jessica, elle aussi, oubliera la monotonie du transport scolaire en se plongeant dans des romans. Au lycée, François n'hésite pas à utiliser les heures de permanence :

"Une heure où je n'ai pas cours. On va en étude. Donc, je lis au moment où je devrais travailler. (...) Je sais qu'il faut que je travaille. Je me dis qu'il faut que je travaille" (François).

Il essaie, le soir, de commencer par le travail scolaire avant de passer à la lecture, mais c'est difficile, tellement son envie de dévorer le livre qu'il vient d'acheter est forte.

La "lecture-loisir", les livres qu'on lit si on veut, par opposition à la "lecture-travail" 116, ceux qu'on doit lire, consomme beaucoup de leur temps, parfois au détriment du travail scolaire. Et il est dommage que l'école ne sache pas utiliser ces lectures pour qu'elles riment avec réussite scolaire. Aussi rejoignons-nous Chartier (1997, 104) lorsqu'il évoque les lectures appréciées par les jeunes mais non légitimes parce qu'en dehors du canon scolaire : ‘"Le problème n'est pas tant de considérer comme non-lectures ces lectures sauvages qui s'attachent à des objets écrits à faible légitimité culturelle, mais il est d'essayer de prendre appui sur ces pratiques incontrôlées et disséminées pour amener, par l'école mais aussi sans doute par de multiples autres voies, ces lecteurs à rencontrer d'autres lecteurs. Il faut se servir de ce que la norme scolaire rejette comme d'un support pour donner accès à la lecture dans sa plénitude, c'est-à-dire à la rencontre de textes denses et forts capables de transformer la vision du monde, les manières de sentir et de penser".’

Notes
115.

François et Jessica ont toutefois tous les deux obtenu leur baccalauréat à la session de juin 1996 et pu ainsi entreprendre les études de leur choix, le droit pour François, d'infirmière pour Jessica. Laurent aussi a réussi son bac mais nous ne connaissons pas sa nouvelle orientation.

116.

De Singly (1993) insiste sur cette dichotomie.