- Une gestion personnelle des lectures

Ce sont parmi les douze élèves lecteurs les deux seuls qui parlent de leur intérêt pour la B.D., japonaise pour Vilay qui, en 1994, a participé à un concours pour le festival d'Angoulême. Son discours est celui d'un connaisseur qui s'intéresse d'abord au graphisme avant de considérer le scénario.

Ils émettent un distinguo entre la lecture-travail, lecture imposée par l'école, et la lecture-loisir, celle de détente.

La lecture-loisir apparaît comme une lecture intimiste. Vilay n'a-t-il pas entassé dans un carton déposé dans les toilettes de la demeure familiale des magazines et des journaux dont il se réserve la lecture. Quant à Christelle, les temps et les postures de lecture sont différentes selon les types de lectures :

"Les livres qu'on m'impose, je les lirais plutôt en semaine, le soir. Les autres pour la détente, les week-ends, dans la journée, l'après-midi, surtout l'après-midi" (Christelle).

Les premiers seront lus assise au bureau, les autres allongée sur le lit.

Ce qui frappe dans leurs propos c'est la distance qu'ils prennent avec la lecture. Christelle souligne ainsi le caractère fugitif de certaines de ses lectures, "aussitôt lues, aussitôt oubliées" :

"Quand je n'ai plus envie de regarder la télé ou de travailler, souvent, je préfère me reposer en lisant un livre, souvent un policier pour me détendre".

Elle évalue ainsi sa dernière lecture, un roman d'Agatha Christie :

"C'est assez classique comme bouquin. Je n'ai pas un souvenir très important parce que j'en ai lu beaucoup comme ça, de ce style-là. Donc, finalement il m'en reste peu" (Christelle).

Quant à Vilay, il réfute, avec humour, certaines des justifications qu'on donne parfois pour pousser à la lecture :

"On m'a conseillé de lire beaucoup, parce que j'étais assez mauvais en orthographe à l'école, et, j'ai lu pas mal pour essayer d'améliorer mon orthographe... (rires). Mais c'est toujours pareil... pour l'orthographe ! " (Vilay).

Ce sont des élèves qui acceptent toutefois de lire ce que les professeurs demandent. Ils peuvent même apprécier. Christelle aime Camus, mais indique que ce n'est pas vraiment de la détente‘, "c'est plus scolaire que détente’". Pour elle, la nouveauté est synonyme de détente :

"Déjà les livres qui viennent de sortir, les nouveaux livres, ça c'est vraiment de la détente. Les auteurs classiques, c'est rare que ce soit de la détente".

Mais c'est parce qu'elle est associée à l'école que la lecture des classiques ne constitue pas un moment de détente :

"Pendant les vacances, les vacances scolaires vraiment courtes, j'aime bien lire de nouveaux livres, mais, pendant les grandes vacances, ce sont des vacances qui sont plus longues, je suis un peu en dehors de l'école, je lis plus, cela m'arrive de lire pour détente des livres classiques, car là, je suis vraiment en dehors de l'école" (Christelle).

Vilay présente ainsi L'étranger qui lui apparaît comme un titre qu'on donnerait à étudier à l'école, qui n'est donc pas dans le registre qu'il choisirait de lui-même :

"C'est un livre qu'Albert Camus a écrit pour montrer l'absurde des gens, je crois, parce que c'est trop bizarre comme livre. Il est, à moitié, énervant. Ça raconte l'histoire d'un homme qui vit une histoire tout à fait ordinaire et il finit par tuer quelqu'un. Après il est jugé, mais le personnage ne ressent aucun sentiment, aucune sensation. Il ne ressent rien, il s'aperçoit simplement de ce que font les autres. Il fait un constat du caractère des autres. Mais lui, on ne sait rien de ce qu'il pense. Tout ce qu'on sait sur lui, le narrateur, ce sont ses états physiques. Quand il y a beaucoup de soleil, on sait qu'il a très chaud, il transpire, mais tout ce qui concerne ce qu'il pense, on ne sait rien du tout. Il est tout à fait neutre. C'est pour ça qu'il est bizarre comme livre. Je n'ai pas trop aimé" (Vilay).

Vilay préfère la science-fiction :

"Si ça m'intéresse, ça ne me fait pas peur de lire 600 pages, mais un prof nous dit : 'Oui, vous allez lire Camus, il fait 600 page'. Là non ! C'est pas possible, c'est l'horreur ! '(Vilay).