Les "itératives"

Marie-Laure (E1), Anne-Sophie (E2), et Manuela (E2) aiment la redondance, aussi lisent-elles toujours un même type d'ouvrages et cet ancrage exclusif sur un type d'ouvrages les sépare des neuf autres lecteurs, plus éclectiques.

- Un goût pour l'itération

Le plaisir de l'itération est l'un des fondements de l'évasion, c'est le goût pour la redondance 118.

Ces trois élèves sont les lectrices d'un seul genre d'ouvrages. Pour Anne-Sophie (E2) et Manuela (E2), ce sont les histoires vécues, elles citent d'ailleurs le même ouvrage, Moi l'enfant autiste. Pour Marie-Laure (E1), ce sont les romans et récits autour de la seconde guerre mondiale, la saga de Régine Desforges, La bicyclette bleue par exemple.

Elles ont conscience que ces types d'ouvrages ne sont pas ceux que privilégie l'école. Manuela déclare ainsi, en riant, que sa dernière lecture, Moi l'enfant autiste, n'était pas écrite avec des mots très recherchés et que cela n'avait rien à voir avec Sartre qu'elle avait étudié en classe. Le style de ce récit est jugé "rapide" :

"Ils parlent comme ils ressentent".

Anne-Sophie parle même de l'hostilité des enseignants à l'égard des récits d'histoires vécues :

"Au collège, on m'a un peu découragé. Quand j'y étais, j'aimais bien les histoires vraies. On me disait que c'était nul, le prof de français, et que, jamais, j'arriverai à passer ma seconde parce que j'étais pas géniale. L'enseignement général ne me plaisait pas trop. Maintenant ça va. J'aimerais bien revoir des profs de collège pour leur dire" (Anne-Sophie).

Elles opposent leur passion pour "leurs" lectures à celles que propose l'école. Manuela ne veut surtout pas que ces histoires vécues dont elle apprécie tant la lecture entrent à l'école.

"on découpe trop. On cherche trop.. (...) On découpe trop le livre" (Manuela). ’ ‘ "Je n'aime pas qu'on me donne un plan de lecture parce qu'on avait des plans de lecture et des questions à répondre. J'aime bien ma lecture à moi et la faire comme je veux" (Anne-Sophie).
Notes
118.

Eco (1995 p. 131) évoque ainsi ce plaisir qui assure le succès de la littérature de divertisssement fondée sur ce mécanisme : "Une série d'événements se répétant selon un schéma fixe (itérativement, si bien que chaque événement recommence par un début virtuel, en ignorant le point d'arrivée de ce qui précède), ce n'est pas nouveau dans l'art narratif populaire, c'est au contraire l'une de ses formes les plus caractéristiques.

Ce mécanisme qui régit la jouissance de l'itération est typique de l'enfance, et ceux qui réclament non pas une nouvelle histoire mais celle qu'on leur a déjà racontée mille fois et qu'ils connaissent par coeur sont des enfants".