Une lente érosion des lectures.

Les pratiques de lecture se déclinent au passé. La polysémie du verbe "décliner" traduit précisément l'évolution de leur comportement lectoral.

Mireille qui n'a lu aucun livre depuis le début de l'année scolaire, n'est plus abonnée à Santé Magazine :

"A la fin, à force d'en avoir, je n'arrivais plus à les lire".

Elle ne fréquente plus la bibliothèque communale, alors qu'elle ne possède pas des livres à elles :

"Ben non, j'ai des anciens livres".

Abandon qu'elle justifie ainsi :

"j'ai commencé un livre, mais j'ai tout le temps du mal à finir".

Olivier, le sportif, n'est plus abonné à Onze et à France football. Avant, il lisait et relisait des livres sur le football, lisait des romans policiers. Ses difficultés lectorales expliquent qu'il préfère, pour l'information économique nécessaire au travail scolaire, s'appuyer sur la télévision davantage que sur la presse écrite. Dans le quotidien familial, Ouest-France, seules sont consultées les pages sportives d'abord, et la page locale ensuite.

"Enfin STT, c'est plutôt économiques. Le soir et le midi, je regarde les informations".

Olivier se comporte avec une logique de rentabilité. Quand on lit à une vitesse de lecture inférieure ou sensiblement équivalente à la vitesse de la parole, 11 233 mots/heure dans son cas, avec un taux de compréhension de 50% et un indice d'efficacité de 34, il apparaît plus intéressant d'utiliser un autre moyen d'information que l'écrit.

Nathalie était abonnée, l'année précédente, à l'Expansion. En terminale économique, elle ne l'est plus :

"Je le prêtais à mon frère qui est passionné par ça. Mais pas moi".

Gaël, moniteur de voile, qui ne peut envisager de vivre éloigné de la mer, ne s'est pas réabonné à Voiles et Voiliers. La raison qu'il invoque : "Trop de publicité". Pourtant la publicité dans ces journaux est plutôt informative. Gaël finira par lâcher :

"Je n'aime pas trop lire, je n'aime pas trop la lecture".

Valérie n'est même pas certaine de ce qu'elle lit comme revue :

"Il y a , je crois, Top Santé".

Ces élèves tentent de lire mais n'arrivent pas car cette activité ne les "intéresse" pas. "Intéresse" est à comprendre dans le sens que Bourdieu donne au mot "intérêt". Ils n'accordent pas à cette activité un sens, ne repèrent pas l'importance des enjeux.

(Vendredi ou la vie sauvage) "Le début ne me plaisait pas trop, j'ai arrêté. (...) Il faut vraiment qu'on me dise des trucs qui me poussent à lire. (...) Ben, en français, oui, on a un livre là, et je l'ai lu parce que j'étais obligé" (Mickaël). ’ ‘ "Il faudrait que je lise tout d'un coup quoi. Je n'arrive pas à lire quelque chose en plusieurs fois. Je laisse tomber. (...) De toute façon, des fois, je prenais un peu en voyant le titre. Ça m'intéressait. Donc, je disais : je vais le prendre. Et puis, quand je commençais à lire, ça ne m'intéressait pas" 122 (Mireille).

Nathalie qui préfère écouter de la musique au lieu de lire explique que lorsqu'elle s'arrête au rayon presse dans une grande surface, elle feuillette certaines revues :

"La musique, les trucs de la télé. Enfin des trucs bêtes".

Cette dévalorisation de leur culture quotidienne, télévisuelle souvent, ne doit pas occulter l'apport qu'elle peut parfois créer dans le rapport à l'écrit.

Mickaël a lu La gloire de mon père et E.T. après avoir apprécié les films qui en étaient tirés. Nathalie a fait de même pour un feuilleton télé, Twin Peaks, et un film, Des souris et des hommes. Pour Mickaël et Nathalie, le cinéma et la télèvision peuvent pousser à lire alors que, pour Virginie, lectrice pointilliste, cela générait surtout des perturbations dans la création d'images mentales, diminuant ainsi le plaisir de la lecture. Mais, si la fiction audio-visuelle incite parfois à la lecture, Mireille qui regarde souvent l'émission de France 3, Un livre, un jour, indique les effets limités de ce type d'émissions chez des liseurs :

"La télé, quand on raconte, ça a l'air intéressant. Mais je n'ai jamais acheté".
Notes
122.

C'étaient des histoires vécues : sur la maladie, sur les enfants.