L'école et les non lecteurs.

Mickaël souligne la difficulté d'articuler un apprentissage scolaire et des pratiques effectives de lecture hors de ce milieu scolaire. Une certaine contradiction se dégage de ses propos. Les cours de français au collège l'auraient aidé beaucoup car cela lui a permis de lire plus souvent. Les exercices de lecture, vécus devant l'ordinateur, "c'étaient des trucs assez courts", lui plaisaient, mais il ajoute, "lire des livres tout seul, j'aime pas trop".

Valérie confirme cette difficulté à passer d'une lecture sous assistance à une lecture autonome :

"Le fait d'étudier avec le prof, ça allait".

Ou Olivier, à propos des cours de français, au collège :

"On nous imposait des livres, ça nous aidait".

Gaël, qui vit avec un frère handicapé pour lequel on s'efforce de rendre les caractères d'écriture lisibles, qui a un vécu difficile avec ce monde de l'écrit déclare que les cours au collège l'ont aidé :

"Ben à travailler, comme je suis pas bon lecteur, à me faire lire".

Ces élèves qui ne possèdent ni la technique et qui n'éprouvent que peu d'intérêt pour la lecture doivent affronter un corpus qui peut leur poser quelques problèmes. Ce sont, comme le souligne Valérie, Candide, La peste , Huis-clos comme pour Gaël aussi, c'est-à-dire les ouvrages du programme qui seront étudiés tant bien que mal. Mireille raconte qu'elle saute de très nombreux passages dans les livres qu'elle doit lire pour la classe. Ce qui fonctionnait très bien pour nos lectrices "classiques", Lénaïck et Céline, étude d'extraits, analyse de ces ouvrages que l'école "canonise", apparaît comme décalé pour ces élèves non lecteurs. C'est une fiction où les seuls acteurs sont les professeurs, les élèves demeurant de l'autre côté d'un rideau très opaque.

Quand on les interroge sur leur rapport à la lecture au collège, Mireille et Olivier se souviennent surtout des dictées. La première ajoute qu'ils ne lisaient que des extraits, elle ne se rappelle que de la lecture d'un seul roman, Le lion de Kessel.

Nathalie, qui a commencé à lire en seconde pour l'école mais qui déclare aimer peu lire, n'a lu qu'un seul ouvrage dans toute son année scolaire et évoque ainsi la fréquentation du C.D.I. de son ancien collège.

"Ou alors pour prendre un dictionnaire, mais il n'y avait personne quoi. Il y avait plein de poussière sur les livres (rires). Ah oui, je ne voyais personne au C.D.I. (...). Les gens qui étaient avec moi ne lisaient pas non plus".

Si Vilay, notre lecteur "distancié" traitait avec ironie tout l'intérêt qu'il y aurait à lire pour améliorer son orthographe, percevant bien que les enjeux sont ailleurs, Mireille ne reste, avec un sentiment de culpabilité, qu'à ce qu'apporterait la lecture pour être meilleure en classe :

"Enfin, je me dis peut-être j'aurais lu plus, mon expression écrite aurait été meilleure. Un petit regret de ce côté-là".

Ces élèves lisent peu, parlent peu de leurs lectures, "cela ne me vient pas à l'idée d'en parler" déclare Mickaël, et n'ont pas de projet de lecture. On distingue mal quelle aide l'école leur a apportée dans l'apprentissage de l'écrit. Notre constat est identique à celui de Privat (1995). S'il est aventureux d'avancer que l'école empêche de lire, il est clair que l'école n'aide pas à devenir lecteur.