Le manque de connaissances sur l'écrit et son environnement.

Ce manque de connaissances se traduit par des difficultés à trouver des lectures qui répondent à leur attente :

"Il faut qu'on me conseille. Il faut que quelqu'un l'ait lu avant moi pour ne pas être déçu" (Gabriel).

Les conseils vont venir le plus souvent des pairs. Freddy (E2), qui aime parler avec les anciens, car il apprécie les "vieilles histoires", a ainsi découvert La légende de la mort d'Anatole Le Braz :

"C'est un copain qui m'a dit que sa copine avait ces livres-là, et que c'était pas mal. Et puis comme j'ai toujours voulu lire des livres de ce style-là. Mais je ne savais pas trop quoi choisir. c'est ça. Si tu achètes un bouquin et que tu n'aimes pas les histoires et que tu ne le lis pas entièrement, c'est une dépense inutile" (Freddy).

Ce sont ces sociabilités informelles autour de la lecture qui ont fixé son choix. Quand il s'arrête au rayon livre dans une grande surface, ce sont les couvertures et les titres qui sont déterminants. La lecture des résumés et, à fortiori une lecture de feuilletage sont écartées. Quant au C.D.I. de son lycée, il n'y vient que pour lire les annonces du quotidien local.

Sylvain (E2) n'avait jamais lu jusqu'à sa découverte de Stephen King 123. Cela s'est fait par hasard. Au cours d'un bref arrêt au kiosque d'une gare pour se ravitailler en cigarettes, il est tombé sur le rayon de cet auteur qu'il connaissait par les copains et par un film vu à la télévision. Lui qui ne lisait jamais de lui même un livre termine la lecture d'un troisième ouvrage de cet auteur. La stratégie qu'il a développée pour le choix du premier roman de Stephen King est intéressante. Il a d'abord acheté Différentes saisons..

"Il y avait quatre histoires dedans. Quatre thèmes différents. j'avais plus de chance de tomber sur une histoire qui m'intéresse".

Les pairs, la télévision, ce n'est pas toujours suffisant pour trouver des ouvrages qui répondent à leur attente. Bruno (E1), attiré par la B.D., le policier, le fantastique, genres qu'il déplore ne pas rencontrer au lycée, exprime son désarroi en relisant, cinq à six fois, toujours le même ouvrage, découvert en troisième dans un catalogue d'éditeur :

"J'en ai un que je lis assez souvent mais c'est pas un livre qui est comment... qui est d'un niveau, puisque je l'ai lu au collège, en troisième je crois. C'est un livre policier quoi, que j'aimais vraiment bien quoi et je relis assez souvent" (Bruno).

Comme nous le verrons après, ces élèves refusent les propositions de lecture de l'école. Les ouvrages qui les attirent sont absents de cet univers scolaire où ils n'acquièrent pas les compétences qui pourraient les aider à mener un parcours de lecteur.

Gabriel (E1) refuse de lire, mais développe, pour compenser cette attitude, une compétence qui approche celle de lecteurs expérimentés. Ses outils, les fiches du C.D.I. et un marker. Gabriel explique ainsi comment procéder pour s'en sortir quand on ne lit pas les ouvrages demandés par le professeur de français :

"Je vais au C.D.I., ils ont des fiches, des résumés, tout ça. Je prends ça, je les recopie à ma sauce, et puis, bon, ça passe à chaque fois... Il y a des "mecs" qui ont lu le bouquin. Ils ont passé une semaine à le lire. Ils bossent tous les soirs. Moi, je fais ça en trois heures. Je me tape des meilleures notes qu'eux. C'est un peu normal, ils sont écoeurés" (Gabriel).

Les compétences qu'il développe, il les construit en s'opposant à l'imposition scolaire que ce groupe d'élèves récuse avec force.

Notes
123.

En septembre 1995 un sondage commandé par la Direction du livre, Le Monde et France-Loisirs, auprès de 1028 étudiants d'un âge moyen de vingt ans, indiquait le classement des dix auteurs préférés par ordre croissant :

- Alexandre Jardin ;

- Laclos ;

- Tolkien ;

- Zola ;

- Barjavel ;

- Sartre ;

- Vian ;

- Camus ;

- Kundera ;

- Stephen King (dont on vend 1,3 millions d'exemplaires par an en collection de poche, chez J'ai lu).

Vantroys Carole. "Ils ont vingt ans, que lisent-ils ? " In : Lire n°239 d'octobre 1995. pp. 78-80.