Le refus de l'imposition scolaire.

Les récriminations des élèves contre les lectures imposées sont redondantes.

Gabriel refuse et les incitations à lire de l'école et celles de ses parents, grands lecteurs, soulignant encore ici l'échec des ‘"pastorales de la lecture"’ (Passeron 1987). Il exprime très clairement une première explication à ce refus liée au stade de développement psycho-social qui est le sien :

"Ici, en ce moment, on vous oblige à lire à cause du bac de français. Je ne sais si c'est l'humeur ou quoi, on a souvent l'esprit contradictoire. Quand on nous dit de faire quelque chose, on fait pas. Quand on nous dit de ne pas le faire, on fait. Donc, je pense que, plus tard, quand je serai plus mûr, personne ne m'obligera à lire, et je prendrai un bouquin de moi-même, et je le lirai, et ainsi de suite, je pense" (Gabriel ).

La deuxième explication au refus est liée à ce que l'école "propose" à lire. C'est Stéphane (E1), brillant élève de terminale S qui s'exprime ainsi :

"Au lycée, on nous a dit de lire des livres beaucoup plus classiques. Ça me disait pas trop. Au collège, quand on lisait des livres, c'étaient des livres intéressants, c'étaient des livres contemporains qui étaient bien ? Après, on nous a filé des classiques (...). Ce que j'aime pas, c'est lire une pièce de théâtre, tout ça, j'aime pas. J'aime pas lire les grands classiques, auteurs qui n'ont pas mal de passé" (Stéphane).

Stéphane ne "‘va plus vers le livre".’ Ce refus des lectures classiques, de ces "‘lectures du passé"’ qu'on lui a "filées" a contaminé son rapport au livre. ‘"Vers un roman, je n'y vais jamais de moi-même". "Filées",’ mais aussi ‘"chopé’", ces termes familiers que Stéphane utilise, avec un petit rire traduisant une certaine gêne, pour parler de son rapport actuel au livre, montrent bien qu'il a perdu la qualité de sujet dans le choix des ouvrages qu'il doit ou qu'il compte lire. C'est le hasard, ou ce sont les autres, ici le professeur de français, qui choisissent pour Stéphane.

Plus que le classique, car certains ouvrages de ce genre plaisent, c'est le manque de variété dans les propositions de lecture qui est reproché à l'école :

"Oui, voilà, oui, parce que c'est tout le temps, enfin ça se rapproche tout le temps. Bon, c'est tout le temps un peu le même truc quoi. C'est rare qu'on trouve des textes, enfin des romans sur... comment... les romans policiers quoi, des trucs comme ça. On l'a fait au collège mais c'est complètement fini quoi. on ne voit plus que des romans de grands auteurs quoi, français. Enfin, il y en a qui sont bien, Candide, je l'ai vu il n'y a pas longtemps, ben j'ai trouvé ça pas mal. Il y en a d'autres quoi, Le colonel Chabert, je l'ai lu aussi. (...) L'histoire ne m'a pas plu" (Bruno E1). ’ ‘ "A l'école, qu'on voit plus de genres différents. C'est toujours axé sur les pièces de théâtre. Que ce soit plus varié. Qu'on étudie des auteurs dont on entend parler, de maintenant quoi. Plus de diversité dans les bouquins. C'est bien de voir des bouquins d'avant mais aussi ceux de maintenant" (Sylvain E2).

S'ils souhaitent plus d'ouvrages contemporains, le classique n'est pas définitivement rejeté. Mais le rythme du récit présente une grande importance. Ce que Sylvain (E2) déclare à propos de l'intérêt qu'il porte aux ouvrages de Stephen King :

"Quand on pense que c'est terminé, ça repart" (Sylvain).

Véronique (E2) explique pourquoi elle n'a pu terminer Le lys dans la vallée :

"Je ne l'ai pas lu en entier car j'en avais marre. (...) Il y a trop de descriptions" (Véronique ).

Laurent (E1) qui vient de lire La symphonie pastorale apprécie la "belle histoire", mais regrette le manque d'action :

"Trop de descriptions tout au long du livre qui empêchent d'avancer dans l'action" (Laurent ).

Les exigences de ces élèves, du rythme dans l'action, moins de descriptions, ne sont pas singulières. Ce que confirme Geneviève Brisac, journaliste, écrivain, éditrice, dans une interview à Télérama (n°2441 du 23 octobre 1996) : ‘"On ne peut plus écrire aujourd'hui comme Victor Hugo ou Jules Verne. C'est ennuyeux, trois pages de description pour une malheureuse forêt, non ? Le style doit être rapide, ce qui ne signifie pas bâclé".’

Le bain d'images, télévision, cinéma, jeux vidéo. dans lequel sont plongés les jeunes n'est pas sans conséquence sur leurs exigences de lecteurs. Elles sont si partagées qu'elles marquent de leur influence les écrits contemporains : ‘"La perte de vitesse du type descriptif et l'hypertrophie du dialogue jointe au développement de la scène centrée sur l'événement semblent aller de pair avec des phrases simples traversées par un lecteur habitué aux médias qui ne s'arrête pas sur le détail"’ (Colin 1993, 10).

Si les textes que l'école propose à la lecture sont loin de faire l'unanimité auprès de ce groupe d'élèves, ce qui se fait à l'école n'est pas systématiquement rejeté :

"Il y a certains passages qu'on fait à l'école, qu'on étudie, des trucs quand on lit, on ne les voit pas. C'est vrai quand le prof montre certains trucs, on arrive à mieux les lire" (Sylvain E2).

Laurent (E1) souligne un travers vers lequel le refus de l'imposition scolaire pourrait entraîner, celui de ne proposer que le genre d'ouvrages qui plaît aux élèves :

"On était en train sur des lectures assez simples disons. Donc maintenant si j'ai envie de lire quelque chose, ce sera assez simple aussi quoi, ce sera dans le même cadre" (Laurent ).

Laurent confirme ce que nous avons souligné lors de la présentation des six critères de la politique de lecturisation. Toute l'importance de progresser sur des textes avec lesquels on peut passer des pactes faciles mais qui ne proposent pas un seul pacte de lecture.

Après avoir défini, dans notre population de recherche, un classement entre lecteurs et liseurs, repéré les différents types de lecteurs et ce qui caractérise ceux qui ne le sont pas, il nous importe de distinguer ce qui peut opposer les élèves de l'échantillon 1 et ceux de l'échantillon 2, et de repérer aussi les effets véritables de la politique de lecturisation menée au collège.