Pour E1, le collège, le temps des lectures choisies

Dans leur collège, les élèves de E1 étaient associés à l'approvisionnement du C.D.I., ils indiquaient à la documentaliste les ouvrages qu'ils désiraient voir dans les rayonnages. Ils parcouraient pour cela les catalogues d'éditeurs. Ils allaient au Salon de Montreuil (en novembre 1990 et en novembre 1991), le plus grand Salon en France pour le livre de jeunesse, Salon où le livre est présenté dans une ambiance festive. Entre 6000 et 7000 ouvrages au choix. Pour Jessica (E1), Montreuil a été le déclic qui l'a menée vers la lecture.

"Il y avait plein de livres et on pouvait vraiment trouver un livre qui nous plaisait" (Jessica E1).

Le roman Une enfance perdue, découvert lors de la visite de ce salon l'a poussée vers la lecture.

Les élèves revenaient, leur sac à dos rempli de catalogues, de posters des maisons d'édition, sans parler de leurs achats. Virginie (E1) vient de retrouver dans sa bibliothèque Mille pièces d'or, un de ses achats effectués lors de son dernier passage au salon de Montreuil. Ce roman dont elle vient de commencer la lecture lui a donné envie de reprendre ses lectures romanesques.

Bruno (E1), assis dans le magnifique C.D.I. de son lycée, n'hésite pas à déclarer, en le comparant à celui de son ancien collège :

"Non, un bâtiment comme ça non, mais au point de vue qualité, quantité si, il y avait dix fois plus de livres qu'il y a là" (Bruno).

Bruno exagère mais a raison. Il n'y avait pas plus d'ouvrages dans le C.D.I de son collège que dans celui de son grand lycée, mais Bruno y disposait d'un stock de livres qui l'attiraient bien plus important. Bruno n'apprécie pas les lectures qui lui sont proposées actuellement :

"Oui, voilà, oui, parce que c'est tout le temps, enfin ça se rapproche tout le temps. Bon, c'est tout le temps un peu le même truc quoi. C'est rare qu'on trouve des textes, enfin des romans sur... comment... des romans policiers quoi, des trucs comme ça... On l'a fait au collège mais c'est complètement fini quoi. On ne voit plus que des romans des grands auteurs quoi, français. Enfin, il y en a qui sont bien. "Candide", je l'ai lu il n'y a pas longtemps, ben j'ai trouvé ça pas mal. Il y en a d'autres quoi, "Le colonel Chabert", je l'ai lu aussi, l'histoire ne m'a pas plu" (Bruno).

Bruno ne trouve pas toujours matière à lecture, aussi avoue-t-il relire (déjà cinq à six fois) un roman policier découvert au collège.

Dans le collège de E1, la documentaliste était au coeur du projet lecture et travaillait d'une manière très active avec les enseignants. Si l'objectif est de diffuser les pratiques de lecture, l'appropriation du C.D.I. joue un rôle important. Il doit être attirant, par la diversité et la nouveauté de l'offre de lecture, mais aussi par la convivialité autour des livres qui y règne. Celle-ci n'exclut pas la rigueur du travail qu'on y mène. Le rôle central du C.D.I. dans toute politique de lecture contraint enseignants et documentaliste à une étroite et féconde collaboration. Aussi sommes-nous surpris de la place restreinte donnée au C.D.I. dans la recherche menée par Manesse et Grellet sur La littérature du collège (1994). Cela signifie, peut-être, que l'enseignement de la littérature au collège, lorsqu'il s'agit de transmettre les "grands textes", peut se passer de cette collaboration parce qu'il s'adresse d'abord à des initiés.

"On avait quand même un plus grand choix, pas trop de livres imposés. On avait des livres à choisir, quoi" (Marie-Laure). ’ ‘ "Je lis moins qu'avant, c'est sûr, par rapport au collège. Je lisais énormément. Je lis moins, mais de temps en temps, je me rattrape quand même, pendant les vacances" (Christelle). ’ ‘ "Depuis que j'ai quitté le collège, je n'y vais pas très souvent. Je vais au C.D.I. de temps en temps.
Pas beaucoup, deux ou trois, quelque chose comme ça. Il y a une époque où j'en lisais huit ou dix par grandes vacances... Toujours la même époque. On nous apprenait vraiment à lire" (Virginie).

Au collège de E1, pas de listes d'ouvrages distribués par les professeurs. Toute l'information repose sur le circuit de communication créé par une revue littéraire et par les sociabilités informelles qui se formaient autour de l'écrit. Cela devait suffire à se fournir dans le stock important de livres. Un exemple de ces communications qui échappaient aux enseignants peut être relevé sur les récapitulatifs trimestriels des lectures en classe de troisième en 1991-1992. Un livre, disponible au C.D.I., Comme toujours de Judy Blume, dans la collection "Médium Poche" de l'Ecole des loisirs, sortait beaucoup. Ce livre n'avait bénéficié d'aucune publicité de la part de la documentaliste ou des enseignants. Ce roman racontait avec pudeur et une grande vérité les premiers émois sexuels de deux adolescents.

Burgos et Privat (1993, 178), qui ont étudié les comportements lectoraux des jeunes participant au Goncourt des lycéens, écrivent, à propos des séances d'exposés suivis de débats que ‘"Ces micro-sociabilités formelles ou informelles autour des livres (débats en classe, discussion au hasard des rencontres amicales ou des échanges familiaux, interviews avec des journalistes locaux ou lecture de la presse spécialisée, découverte du monde de l'édition et rencontre avec les auteurs) sont essentielles sans doute à une socialisation littéraire efficace".’

Si ces élèves regrettent, sur un plan lectoral, le temps du collège, c'est parce que le temps du lycée contraste fortement.