Le professeur de français, pivot de la politique de lecturisation

Montaigne s'appuie sur son expérience pour nous présenter un précepteur qui se comporte en parfait agent de lecturisation : ‘"Le premier goust que j'eus aux livres, il me vint du plaisir des fables de la Métamorphose d'Ovide. Car, environ l'aage de sept ou huiet ans, je me desrobois de tout autre plaisir pour les lire ; d'autant que cette langue estoit la mienne maternelle, et que c'estoit le plus aysé livre que je cogneusse, et le plus accomodé à la faiblesse de mon aage, à cause de la matière. Car des Lancelots du Lac, des Amadis, des Huons de Bordeaus, et tel fatras de livres à quoy l'enfance s'amuse, je n'en connoissois pas seulement le nom, ny ne fais encore le corps, tant exacte estoit ma discipline. Je m'en rendois plus nonchalant à l'estude de mes autres leçons prescrites. Là, il me vint singulièrement à propos d'avoir affaire à un homme d'entendement de precepteur, qui sçeut dextrement conniver à cette mienne débauche, et autres pareilles. Car, par là, j'enfilay tout d'un train Vergile en L'Æneide, et puis Terence, et puis Plaute, et des comedies Italiennes, luué toujours par la douceur du subject. S'il eut esté si fol de rompre ce train, j'estime que je n'eusse raporté du college que la haine des livres, comme fait quasi toute nostre noblesse. Il s'y gouverna ingenieusement. Faisant semblant de n'en voir rien, il aiguisoit ma faim, ne me laissant que à la desrobée gourmande ces livres, et me tenant doucement en office pour le autres estudes de la regle"’ (Montaigne, I, XXVI).

Le professeur de français peut être cet "homme d'entendement" qui "gouverne ingénieusement" les élèves pour qu'ils ne quittent ni le collège, ni le lycée, avec la "haine des livres". La pédagogie de la lecture impose comme première difficulté de ne pas entraver le "plaisir" de lire que certains peuvent connaître en dehors du système scolaire ; plaisir de se plonger dans des histoires qui parlent à de jeunes lecteurs ; plaisir de s'identifier à des personnages attachants ; plaisir de se faire peur... La praxis pédagogique de la lecture s'emploie à retrouver la triade pestalozzienne, à lier le coeur, le "plaisir de lire" qu'on vient d'évoquer, la tête, la lecture dans sa forme "savante" ou "virtuose" , et la main que l'élève utilise lorqu'il produit de l'écrit. Il s'agit bien, comme l'explique Michel Soëtard (Pestalozzi 1801, ed. 1985, 34) ‘"de trois points de vue sur la force une de l'homme : celui du pouvoir qu'il a de se dégager de ce monde et des impressions confuses qui l'y enchaînent, dans le but de le maîtriser à la faveur de conceptions claires ; celui de l'aptitude qu'il s'acquiert ainsi de mettre en oeuvre sa volonté libre en et malgré les contingences de ce monde ; celui des moyens techniques qu'il se donne enfin dans l'intention de se faire, à partir de ce qu'il est et dans le sens de ce qu'il doit être, 'une oeuvre de soi-même' ".’ Aussi faut-il examiner les compétences à acquérir pour assumer cette tâche.