INTRODUCTION

‘"Vaulx-en-Velin, c'est une somme de déséquilibres notoires, le revenu par habitant le plus faible du département, la ville la plus jeune, un parc de logements sociaux considérable, un taux de chômage important (24 %), une paupérisation de nombreuses familles durant la dernière décennie... avec sa triste litanie de risque d'échec scolaire ou professionnel, de délinquance, de non-accès aux activités culturelles, de saisies-expulsions, de marginalisations, de dépressions, de maladies..." 1 ’. Si nous ajoutons à cela 24 % de population étrangère venant de trente huit pays différents, nous comprenons alors le classement en zone prioritaire d'éducation (Z.E.P.) de tous les établissements scolaires de la ville, de la maternelle au lycée.

Dans ce contexte, l'école est directement confrontée à un phénomène d'ordre psychologique qui, a priori ne devrait pas directement relever de ses préoccupations majeures et qui est la souffrance : souffrance des familles, des jeunes et des très jeunes. En conséquence de cela, les actions de détection et de prévention de la souffrance précoce sont des axes de travail propres à la circonscription de Lyon XXI 2 en partenariat avec les services sociaux et médicaux de la commune. Ce problème très prégnant à Vaulx-en-Velin, n'est pas spécifique à la ville, cependant il y prend une dimension particulière en raison du cumul des handicaps. Une étude du Grand Projet Urbain 3 datant de novembre 1996 et relative à cette souffrance psychologique, en donnait la définition suivante : ‘"cette souffrance, à la frontière du trouble psychiatrique et de la souffrance sociale, est sous-tendue par un ensemble de facteurs : situation économique, rupture culturelle, destructuration des familles et délitement de l'autorité parentale, incommunicabilité, perte précoce des repères, isolement et expérience d'une certaine forme de honte" 4 .’

Face à la souffrance précoce des enfants, les réponses qui avaient été proposées jusqu'à la fin de l'année 1996 avaient été unanimement reconnues comme non adaptées. Aussi bien dans le domaine des services sociaux, où les professionnels reconnaissaient avoir de plus en plus de difficultés à s'appuyer sur les cellules familiales pour intervenir car les situations de rupture et d'éclatement étaient de plus en plus fréquentes et les situations de rejet des enfants de plus en plus précoces. Ainsi qu'au niveau de l'école, où l'échec scolaire qui y était associé apparaissait comme ‘"un problème insurmontable au point que les responsables de l'académie s'interrogent sur l'inadaptation du système aux diversités culturelles et aux spécificités de Vaulx-en-Velin" 5 ’. Ainsi l'Education Nationale reconnaissait que les moyens dont elle s'était dotée pour contrecarrer l'échec scolaire en répondant efficacement aux difficultés des élèves étaient insuffisants pour les villes de banlieue.

En effet, si nous reprenons l'article premier des missions des écoles maternelles et élémentaires 6, celles-là même qui nous intéressent, nous lisons ceci : ‘"L'école favorise l'ouverture de l'élève sur le monde et assure, conjointement avec la famille, l'éducation globale de l'enfant. Elle a pour objectif la réussite de chaque élève en offrant les mêmes chances à chacun d'entre eux. Elle assure la continuité des apprentissages."’

Les responsables de l'éducation des enfants des banlieues prenaient conscience que l'école n'était plus à même de remplir sa mission globale, en majeure partie parce qu'elle ne pouvait plus compter sur l'irremplaçable éducation donnée par les familles, comme cela avait été le cas il y a encore quelques années.

Le réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté dans lequel nous exerçons, est une structure faisant partie intégrante des moyens mis en oeuvre par l'Education Nationale afin de réduire l'échec scolaire. L'équipe d'un réseau est constituée de personnel allant du maître spécialisé au psychologue en passant par le rééducateur et, vise à apporter comme son nom l'indique des aides spécifiques et différenciées aux élèves en difficulté. Notre structure est implantée sur huit écoles maternelles et élémentaires du Mas du Taureau 7. C'est au sein de ce contexte social et professionnel que nous avons mené notre recherche.

En effet, dans notre pratique de psychopédagogue, il n'est pas rare de rencontrer des enfants, présentés par les enseignants comme étant hermétiques aux apprentissages. Au cours de discussions avec ces enfants qui n'avaient pas appris à lire après un premier cours préparatoire, ou qui n'entraient pas dans l'apprentissage de la lecture en cours de CP, nous nous sommes aperçue qu'il existait d'importantes confusions préalables concernant l'activité de lecture.

Nous observions :

De plus, lorsque nous mettions ces enfants en situation de résoudre les épreuves caractéristiques d'un examen opératoire (conservation de la substance, classification hiérarchique des animaux, sériation et correspondance terme à terme), nous obtenions des réponses d'une extrême pauvreté, et peu significatives des périodes pré-opératoire et opératoire concrète. Périodes dont ces enfants, de par leur âge, auraient dû relever. De ce fait, l'examen et le diagnostic qui en découlaient ne nous satisfaisaient nullement. Il fallait à notre sens aller plus avant dans l'organisation cognitive de ces enfants afin de détecter ce qui leur posait problème pour entrer dans les apprentissages.

Notes
1.

"Temps Modernes, janv. 92. "Banlieues : relégation ou citoyenneté"". M. CHARRIER, Maire de Vaulx-en-Velin.

2.

Lyon XXI comprend la majorité des écoles de la commune, vingt-cinq.

3.

"La souffrance psychologique des enfants et des jeunes" Etude commanditée par la Préfecture du Rhône, le Conseil Général du Rhône et la ville de Vaulx-en-Velin.

4.

Idem p.63.

5.

Idem p.21.

6.

Décret n° 90.788 du Bulletin Officiel du 6 septembre 1990.

7.

Des émeutes, dûment médiatisées, se sont déroulées au Mas du Taureau en 1990 suite à la mort d'un jeune du quartier.