2) L'hypothèse de figurativité

Plus de cinquante années après l'ouverture effectuée par Bärbel Inhelder, nous ne parlons plus de "débiles" ou "d'imbéciles" afin de caractériser les enfants en plus ou moins grande difficulté d'apprentissage.

Néanmoins dans le prolongement de ses travaux et dans le cadre de notre équipe, nous caractérisons les enfants qui n'apprennent pas, par ce que M. Dolle a dénommé ‘"l'enfermement dans la modalité figurative de pensée".’

Mais revenons aux sources de cette 'hypothèse. C'est Piaget qui a distingué les aspects opératifs des aspects figuratifs de la connaissance. Les premiers se rapportant aux actions transformatrices du sujet, qu'elles soient effectuées pratiquement, par la représentation ou par la pensée, tandis que les deuxièmes concernent toute activité de perception quelle qu'elle soit, et dont relèvent l'image et l'évocation mentale. Piaget n'a pas accordé de rôle particulièrement actif au figuratif et n'a reconnu de dynamisme qu'à ce qu'il a nommé "opérativité".

La pratique du diagnostic opératoire auprès d'enfants en situation d'échec scolaire a permis à M. Dolle d'observer la modalité figurative dans toute son ampleur. Dès lors il parle de figurativité et, tout en l'opposant à l'opérativité la définit comme ‘"cette modalité fonctionnelle de la pensée observée entre l'âge de six ans et l'âge de dix-onze ans et consistant à ne prendre appui que sur les aspects figuratifs de la connaissance, ne se fondant en d'autres termes, que sur les états perceptibles par l'activité des récepteurs sensoriels et leur évocation mentale au détriment des transformations qui les produisent par l'action physique et/ou par l'action mentale"  20 ’. Cependant M. Dolle installe la figurativité et l'opérativité dans la dialectique et vérifie qu'il n'y a pas d'opérativité sans figurativité et réciproquement. A chaque période de développement, que cela soit en macrogénèse ou en microgénèse, l'enfant passe par une étape où les aspects figuratifs dominent. Cette étape lui permet de percevoir, puis d'identifier la situation pour ensuite accéder aux aspects opératifs dès lors qu'il y a nécessité de transformer la situation. Il s'inscrit une alternance régulière où après que le figuratif ait dominé l'opératif, nous pouvons observer son renversement. Cette distinction est fondamentale dès lors qu'on envisage la pratique remédiative d'enfants enfermés dans la figurativité car ‘"si la genèse passe par une dominance figurative pour laisser place à une dominance opérative ensuite à chaque stade, la dominance de la figurativité est exclusive de tout passage à son contraire sans interventions remédiatrices. C'est comme une déviance du développement susceptible de s'installer pour la vie" 21.’

Comment se manifeste l'enfermement de l'enfant dans la modalité fonctionnelle de figurativité ? Dans ce mode d'approche et de connaissance de l'objet et plus globalement du réel, perception et évocation sont prévalentes. Cependant l'objet, a fortiori le réel sont soumis aux transformations et aux variations et le sujet ainsi défini ne reconnaît pas l'objet transformé. Limité à ce qu'il perçoit dans l'ici et le maintenant, autrement dit à l'immédiat, il ne lit que des états successifs sans les relier par la conscience des transformations. La figurativité ne favorise pas l'accommodation au réel, elle n'en permet qu'une lecture parcellaire. En conséquence de quoi l'enfant est soumis au réel, et les abstractions empiriques caractérisent son activité au détriment des abstractions pseudo-empiriques et réfléchissantes qui lui permettraient de s'en détacher. En effet, ces dernières favoriseraient la prise de conscience de son activité et sa reconstruction aux niveaux supérieurs de la pensée. L'enfant enfermé dans la figurativité n'a pas réorganisé son expérience vécue au niveau de la pensée dans les cadres du temps, de l'espace et de la causalité qui permettent la construction du réel.

Notes
20.

"Etude sur la figuralité : une modalité de fonctionnement cognitif", JM DOLLE, p.16. Cahiers de l'U.N.A.D.R.I.O.

21.

Idem, p.17.